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Le déterminisme dans la délinquance, un risque que la France refuse d'évaluer
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Meurtre d'Agnès

Le drame de la petite Agnès, 13 ans, relance le débat sur l'évaluation des risques de récidive des délinquants sexuels. Il existe pourtant une méthode appelée "échelles actuarielles", fondée sur des facteurs permettant d'établir scientifiquement le profil d'un individu et son taux probable de récidive. Pourquoi celle-ci est-elle si peu utilisée en France ?

Olivier Halleguen

Olivier Halleguen

Olivier Halleguen est médecin psychiatre. Chef de service au centre hospitalier d'Erstein, il est également expert auprès de la Cour d'appel de Colmar.

 

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Atlantico : Vous faites partie des experts qui préconisent le recours aux « échelles actuarielles » pour prévenir la récidive. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette méthode ?

Olivier Halleguen : Il s’agit d’instruments d’évaluation du risque de récidive. On entend par là des instruments qui comportent un certain nombre d’items, validés par rapport à des populations de délinquants en surreprésentation.

Un parallèle relativement simple avec la violence routière permet de mieux comprendre en quoi cela consiste. On sait par exemple qu’à partir d’un certain taux d’alcool dans le sang,  il y a un sur-risque d’accident. S’agissant du viol c’est exactement la même chose. Les auteurs de cette méthode se sont demandé s’il y avait des marqueurs de risque de récidive, et ils en ont identifié un certain nombre. A noter que ces marqueurs ont été validés statistiquement, et ce sur un échantillon de 40 000 délinquants. Autrement dit, il s’agit de normes statistiquement significatives.

Ces échelles actuarielles sont donc une agrégation de facteurs de risques de récidive selon un arbre décisionnel. En fonction de l’échelle et de l’instrument on a entre 10 et 15, voire 20 items, qui sont pris en compte et recueillis lors d’un entretien avec le criminel, mais aussi suite à l’examen d’un dossier pénal et d’éléments biographiques. La parole de l’individu n’entre pas seule en ligne de compte.

Tous les professionnels ne sont pas unanimes concernant le recours aux échelles actuarielles. Pourquoi vous prononcez-vous en faveur de cette méthode ?

Tous ne sont pas unanimes, parce que certains ne connaissent pas cette méthode, et d’autres la connaissent de manière imparfaite. Lors d’une étude sur l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive, selon que l’on recoure aux échelles actuarielles ou à l’expertise classique telle qu’elle est pratiquée en France, c’est équivalent à pile ou face. Statistiquement, on peut être dangereux ou non. Pour autant, cela n’aura aucune valeur prédictive du risque de récidive. En revanche ces échelles ont une valeur prédictive qui est supérieure à 0,5, elles sont donc statistiquement significatives.

Qu’est ce qui ne va pas dans la méthode actuelle ? Si l’on transpose à la récente affaire d’Agnès, le recours aux échelles actuarielles aurait-il changé quelque chose ?

Si on avait disposé de la même évaluation qu’au Canada, en Belgique, en Allemagne ou en Suisse, on aurait très certainement pu pointer un facteur de risque rien qu’à travers ce qu’on lit dans les journaux sur cette affaire. On sait en effet qu’il y a eu tentative de viol, ou un viol, chez un jeune homme mineur. Ces simples informations, la tentative et l’âge, indiquent déjà un facteur important de risque de récidive. Si, en outre, on trouve des substances toxiques et une trajectoire de petite délinquance, plusieurs feux rouges s’allument et nous avertissent d’un potentiel récidive. Ce jeune homme présentait ainsi un risque préalablement supérieur à quelqu’un n'ayant jamais eu ce type de comportement. La dangerosité est difficilement évaluable, mais le marqueur statistique de la dangerosité est la récidive, et elle est relativement bien évaluée par les échelles actuarielles. A ce titre, une analyse actuarielle aurait permis de dire « ne le mettez peut-être pas dans un collège mixte avec des jeunes filles », par exemple.

Pourquoi cette méthode ne fait-elle pas l'unanimité en France ?

La France a une difficulté majeure à regarder en face la forme de déterminisme qui peut exister dans la délinquance. Finalement les échelles actuarielles consistent à fixer un niveau de risque de récidive, alors qu’en France on retient plus la possibilité d’une rédemption, d’une deuxième chance pour les criminels... Une majorité d’entre eux la saisiront, mais pour ce type de criminels, la deuxième chance, à mon sens, n’existe pas, en ce qu’on est confronté à un mal profond, qui est pulsionnel, qu’ils ne contrôlent pas eux-mêmes. L’idée que les gens puissent ne pas contrôler certaines choses ne passe pas en France, parce que le corolaire est simple : lorsque des gens sont dangereux, on ne doit pas les laisser sortir.

Le dernier point problématique en France est qu’une vraie perpétuité est inacceptable pour beaucoup. Il existe un préconçu de principe, idéologique : « les échelles actuarielles ne définissent pas un sujet ». C’est vrai, mais elles sont en revanche une corde de plus à ajouter à notre arc, alors pourquoi nous en priver ?

En termes de moyens humains et financiers, combien l’adoption d’une telle méthode coûterait à la France ?

En termes financiers, rien. En revanche quant à la remise en cause idéologique, un certain nombre d'idées préconçues seraient renvoyées à leur place. Et les formations à l’analyse actuarielle que la Belgique nous a dispensées reviennent à peu près à 1000 euros. Ce n’est pas grand-chose… Néanmoins, il faut être prêt à les mettre à profit. On doit ainsi faire une expertise psychiatrique classique, tempérée par la suite grâce à une évaluation de la dangerosité du risque de récidive, par le biais des échelles actuarielles.

Propos recueillis par Audrey Le Guellec

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