Migrants de Calais : comment l'accord franco-britannique révèle les manquements de l'Europe de Schengen<!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants à Calais.
Des migrants à Calais.
©Reuters

A contresens

Bernard Cazeneuve et son homologue britannique Theresa May signent jeudi 20 août un nouvel accord pour faire face à l'afflux de migrants à Calais. Le ministre de l'Intérieur se rendra ensuite à Berlin pour traiter de la question migratoire.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Le texte que Bernard Cazeneuve et Theresa May s’apprêtent à signer ce 20 août évoque différents points de travaux comme la lutte contre les filières criminelles de trafic d’êtres humains et l’accueil humanitaire des migrants, ou la sécurisation des lieux concernés. Un tel plan peut-il être efficace ? Est-il adapté à la situation spécifique de Calais ?

Guylain Chevrier : Ce plan ne peut avoir de sens en dehors d'une politique nationale cohérente sur ce sujet, qui applique à nos propres frontières ce que l'on entend faire pour empêcher les migrants de rejoindre l'Angleterre en passant accord avec elle. D'où, sinon, l'efficacité très relative de telles mesures.

L'appel désespéré de Natacha Bouchet, Maire de Calais, qui demande à l'Angleterre et à la France 50 millions d'euros au titre du préjudice économique subi depuis 15 ans, montre aussi l'Etat d'incrédulité après des années d'atermoiements. Calais n'en peut plus et est otage des incohérences qui se sont succédees par manque de courage politique, en France et en Europe. On pourra toujours bloquer les migrants à Calais, on aura rien resolu d'un point de vue global. Sans parler encore des causes sur lesquelles en réalités on agit peu ou pas.

La question des migrants relève d'un changement d'échelle ou l'ONU doit prendre ses responsabilités et les États développés investir dans le codéveloppement. Une politique de maîtrise rigoureuse des flux migratoires ne peut se faire en dehors de cette vision d'ensemble, qui va de l'échelle des États à celle de la mondialisation.

Fondamentalement, un binôme Franco-Anglais peut-il être plus efficace qu’un accord global européen ? Pourquoi ? Faut-il envisager une généralisation de ce processus inter-étatiques?

On entend envoyer un message fort selon lequel on va dresser un mur sécuritaire, avec poursuites contre les passeurs, pour décourager les migrants. Mais si on pense que cela peut marcher là, c'est bien parce que l'on instaure une frontière entre deux Etats européens, soulignant que seul cela peut marcher que de sécuriser les frontières des États, même si cela s'inscrit dans un cadre plus large européen.

Ce processus met largement Schengen en cause appelant de nouvelles articulations. Il montre l'exigence de réponses de gré à gré entre États, car pas un pays européen ne connait la même situation concernant l'immigration et donc tout accord d'ensemble est d'emblée hypothéqué s'il ne s'intéresse pas à la réalité de chaque Etat. C'est d'ailleurs bien ce qui se passe avec les derniers accords européens en matière de répartition des demandeurs d'asile qui voient encore la France et l'Allemagne en première ligne alors que les autres ne suivent pas et que la confusion règne.

Bernard Cazeneuve se rendra ce soir en Allemagne, afin d'évoquer la question migratoire dans sa dimension européenne, ceci faisant suite à la volonté d'Angela Merkel de prendre le dossier "en mains". Les intérêts européens sont-ils réellement conciliables sur ces questions ?

Précisément, les intérêts des pays européens restent confus sur cette question parce que les termes en sont mal posés, du coup, il n'y pas de politique européenne crédible et les États membres s'en remettent d'abord à eux-mêmes. On le doit principalement à la domination allemande sur le sujet, qui n'est pas représentative de la situation globale européenne et piège la lecture du problème. Par exemple, l'Allemagne est ici certainement moins bien placée que la France pour donner l'orientation générale.

L'Allemagne connait une chute démographique qui peut laisser penser que l'apport de population immigrée pourrait résoudre son problème, modérant le sentiment de risque que l'immigration exponentielle actuelle peut contenir. Un triplement en an du nombre de migrants arrivant sur nos cotes, selon l'agence européenne Frontex. D'autant que l'Allemagne, avec son modele multiculturel de séparations communautaires, se donne l'impression que son immigration ne poserait pas de problème en termes de lien social, d'intégration, s'étonnant ainsi du regain de l'extrême droite et des manifestations anti-immigrés chez elle.

La France elle, qui connaît une démographie positive et est sur un modèle laique impliquant le mélange des populations, voit le problème se poser autrement, la question de l'intégration étant au centre des préoccupations avec celle de la cohésion sociale. L'immigration ne saurait être regardée que comme un enjeu économique, comme le fait l'Allemagne, mais un enjeu de société, ce que ce pays avec ses landers autonomes n'est pas porté à voir. C'est d'autant plus vra qu'une part non négligeable de cette immigration est d'origine de pays qui ne connaissent ni la démocratie, ni les libertés qui ont été acquises de longue date en Europe. Le risque de regroupement communautaire et de rejet de certains de nos principes et valeurs n'a là rien d'un fantasme.

L'immigration ne saurait être donc regardée que comme économique ou sous l'angle de l'humanitaire. Sans poser sérieusement l'ensemble des termes du problème, ce qui ne correspond pas aux besoins de l'Allemagne ni à sa philosophie, il n'y a ici point de salut. Ce n'est malheureusement pas ce qui se dessine.

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