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Égypte : "L’armée n’a pas trahi la révolution. Elle ne l’a pas comprise"
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Printemps en novembre

Au Caire, les affrontements entre habitants et forces de l'ordre durent depuis samedi. Le gouvernement a même présenté ce lundi sa démission... refusée par l'armée. Mais à quel jeu jouent les généraux ?

Sarah  Ben Nefissa

Sarah Ben Nefissa

Sarah Ben Nefissa est politologue, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

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Atlantico : En Égypte, les affrontements entre habitants et forces de l'ordre ont déjà fait 22 morts et plus de 1750 blessés. Le gouvernement a même présenté sa démission... que l'armée a refusée. La situation semble particulièrement confuse. Assistons-nous aujourd'hui au contre-coup du "printemps arabe" en Égypte ? 

Sarah Ben Néfissa : Ce qui se passe aujourd’hui en Égypte est propre à ce pays. Comparativement à la Tunisie, le régime d'Hosni Moubarak était issu de la révolution de 1952 par les Officiers Libres, et la direction de l’armée semble encore attachée à cette légitimité qui lui donne un droit de regard sur la vie politique du pays. Par ailleurs, comme nous l’avons  constaté  durant la révolution du 25 janvier 2011, les Égyptiens accordaient une très grande confiance à l’armée. Ils s'en sont remis entre ses mains pour organiser la période de transition.

Le problème réside dans le fait que l’armée n’a pas compris l’importance de la révolution du 25 janvier, et petit à petit les relations entre cette dernière et les forces socio-politiques se sont détériorées. Du fait notamment de la lenteur des réformes politiques, la lenteur des jugements contre l’ancienne équipe dirigeante, les graves atteintes aux droits de l’homme, les tribunaux militaires pour les civils, le dossier des martyrs de la révolution qui n’a pas été traité convenablement...

En réalité, les mesures positives prises par l’armée n’ont été décidées que sous la pression de la rue, et notamment des différentes manifestations "millionièmes" organisées sur la place Tahrir au Caire.

Était-ce finalement aller vite en besogne que de croire au processus de transition démocratique ?

Il importe de bien distinguer le moment révolutionnaire lui-même, et sa traduction sur le plan institutionnel. 

Le départ d'Hosni Moubarak est bien lié à une véritable révolution sociale et politique, qui est un méga-événement dans l’histoire de ce peuple. Comme pour la Tunisie, il y aura un "avant" et un "après". Pour preuve, il y a une poursuite des mobilisations.

Par contre, la mutation institutionnelle vers la démocratie est liée à d’autres paramètres et acteurs : la direction de l’armée et ses intérêts économiques et sociaux ; les « anciens » du système politico-administratif qui n’ont jamais été délogés ; le poids des forces politiques de l’opposition, et notamment les Frères musulmans, sans oublier les salafistes. Ces derniers ont toujours soutenu Moubarak, et osent désormais se présenter comme des révolutionnaires... Sans compter évidemment les rôles de pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui veulent à tout prix « contrôler » et brimer les forces révolutionnaires dans les pays de la zone.

L'armée condamnait la répression du temps d'Hosni Moubarak, et use désormais de procédés violents à l'encontre des révoltes. L'armée a-t-elle trahi les espoirs portés par les manifestants de la place Tharir ? 

L’armée n’a pas trahi la révolution. Elle ne l’a pas comprise. Cette dernière est obnubilée par ses intérêts propres. Il n’est pas étonnant que le document constitutionnel, rendu public il y plus de 15 jours, place l'armée au-dessus de tout contrôle politique ou financier. 

Même après la Révolution de 1952, les Officiers Libres n’ont pas osé inscrire une telle clause dans la Constitution, qui a provoqué la colère de toutes les forces politiques, aussi bien islamistes que non islamistes. Nous ne sommes plus dans le cadre d’une « transition » démocratique, mais dans celui d'une restauration de l’ancien système autoritaire.

Ce que peuvent espérer les manifestants, c’est la démission du gouvernement Essam Charaf qui a démontré son inefficacité et sa soumission à la direction de l’armée. Enfin, il serait souhaitable que s'établisse la constitution d’un gouvernement de salut national, regroupant toutes les forces politiques. Un gouvernement qui devra d’une part s’imposer devant l’armée, et d'autre part reprendre à nouveau l’ensemble du processus de transition démocratique, qui a été très chaotique jusqu’à présent.

Ce que souhaite l'armée au fond, c'est se construire une nouvelle légitimité en assurant l’équilibrage entre « islamistes » et « laïcs »… un peu comme le faisait Hosni Moubarak.

Pouvoir gouverné par l'armée ou par les Frères musulmans, l'avenir égyptien semble teinté de gris... Quel dénouement peut-on espérer pour le peuple d’Égypte et l'Occident ?

Pour l’Occident, je ne sais pas... mais pour les Égyptiens, aucune de ces deux solutions n’est viable. Comme le dit si bien Alaa El Assouani à la fin de tous ses articles, "la démocratie c’est la solution…"

Aujourd’hui, personne n'est en mesure de déterminer l’issue de ce processus. Nous sommes à quelques jours de la première étape des élections législatives, qui vont se tenir sur plusieurs semaines dans une atmosphère politique très tendue. La compétition se fera entre les islamistes et les cadres locaux de l’ex PND (Parti national démocratique). 

Ces derniers demeurent les plus importants concurrents des Frères musulmans, car ils disposent de réseaux et de ressources. D’autres forces politiques vont sûrement émerger, mais auront-elles le poids des Frères Musulmans ? Ce n’est pas certain... car elles sont trop morcelées pour peser dans la balance électorale. La direction de l’armée a d'ailleurs encouragé à la dispersion politique pour ne pas se retrouver prisonnière d’un seul courant, et notamment des Frères musulmans…

Enfin, il y a l’opinion internationale, très attentive à la question des droits de l’homme, et notamment du respect des droits des coptes, qui pèsent de manière relative dans la balance électorale. Un des grands dirigeants de l’armée a d'ailleurs déclaré, il y a quelques semaines, que la question de l’État "civil" (au sens d’un État non religieux) était une question de sécurité nationale pour l’Égypte. A la suite de cette déclaration, l’armée a décidé d’émettre un document en faveur d'un État civil, dit document "des principes au-dessus de la Constitution". Ce dernier étant supposé éviter que la nouvelle Constitution, rédigée par une commission choisie par une majorité parlementaire (très probablement islamiste), instaure un État religieux. Ce qui a provoqué la colère des Frères musulmans et des salafistes.

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