Charmer les électeurs du Front National, la stratégie de la terre brûlée qui pourrait faire triompher Nicolas Sarkozy <!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy ne cache pas ses intentions de séduire à nouveau les électeurs du Front National.
Nicolas Sarkozy ne cache pas ses intentions de séduire à nouveau les électeurs du Front National.
©Reuters

Jeu dangereux

Dans un entretien accordé à Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy ne cache pas ses intentions de séduire les électeurs du Front National et de les faire revenir dans le giron de la "droite républicaine" lors des prochaines élections. En se tournant davantage vers le FN que vers le centre, Nicolas Sarkozy fait le choix d'un pari risqué mais audacieux si jamais sa stratégie réussissait.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Dans une interview publiée le 6 août par Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy se rapproche un peu plus des électeurs FN qu'il tente de rallier à lui pour 2017, affirmant qu'il souhaite que ces derniers votent "pour la droite républicaine". Est-il en mesure de répéter sa stratégie gagnante de 2007 ? Les électeurs déçus par Nicolas Sarkozy et ayant rejoints le FN pourraient-ils lui accorder de nouveau leur confiance ?

Jérôme Fourquet : Il faut partir des réalités. Sur cette base là, on constate quand même aujourd'hui que l'électorat qui s'est tourné vers le Front National, au fil des scrutins, représente un quart du corps électoral, voire un peu plus. Quand la droite républicaine est régulièrement soumise à ce choix cornélien de savoir s'il faut plutôt se tourner vers le centre ou plutôt vers sa droite, bien évidemment, des considérations idéologiques et morales rentrent en jeu. Et chacun va avancer les arguments qui viennent conforter leurs penchants personnels.

Mais l'argument arithmétique électoral doit aussi être pris en considération et d'un point de vue objectif, c'est d'abord là-dessus qu'il faut s'appuyer. Or, comme je viens de vous l'indiquer, on est sur un volume électoral qui représente un quart du corps électoral qui campe sur la droite des Républicains, quand l'électorat centriste représente aux alentours de 10-15%. Donc en terme d'arithmétique, bien évidemment, aujourd'hui, pour un candidat comme Nicolas Sarkozy, il est nécessaire de s'adresser à cet électorat.

Au regard du poids de cet électorat d'une part, et au regard de son propre positionnement, car avant même d'envisager de battre la gauche, il devra devancer et surclasser ses concurrents, dont Alain Juppé, dans sa propre famille politique. Or celui-ci est positionné pour bénéficier des faveurs ou des reports d'une partie importante de l'électorat centriste et modéré. Nicolas Sarkozy, au regard de la configuration de la compétition à droite, est plutôt porté à s'intéresser à ce qui se passe sur sa droite. Il faut rassembler 50% des voix plus 1. Donc il faut faire flèche de tout bois et s'adresser de manière assez globale à l'ensemble du corps électoral même si bien évidemment, toute une partie du spectre ne va pas se sentir séduit par le message que vous avez porté.

Mais si on se réfère à 2007, ce qui avait marqué les esprits, c'était la réussite de cette opération de siphonnage opérée par Nicolas Sarkozy sur une partie de l'électorat frontiste. A noter que Nicolas Sarkozy avait séduit d'autres franges d'électeurs, notamment des déçus de la gauche et une partie également de l'électorat du centre pour porter son score à 53% au deuxième tour, avec un discours assez énergique, mobilisateur, et une vision de la France qui a su séduire toute une partie des électeurs qui ne se reconnaissaient plus dans les clivages traditionnels. Ce n'était pas uniquement l'électorat frontiste qui avait fait sa victoire, même s'il y avait contribué très fortement. L'idée de s'intéresser à cet électorat là peut se justifier au regard du poids qu'il occupe aujourd'hui. Il peut se justifier également au regard de la configuration de la concurrence à droite, mais le discours et la stratégie ne doit pas uniquement être tourné vers ce seul électorat là, il y a d'autres cibles à séduire.

Est-ce que cette stratégie peut fonctionner ?

En gros sur les 25% des électeurs qui voteraient aujourd'hui Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy fait mine de croire qu'ils viennent tous de la droite et qu'il faut les ramener dans le giron de la droite républicaine. Une bonne partie en provient, mais il y en a aussi qui viennent d'ailleurs. Même parmi ceux qui en proviennent, si beaucoup aujourd'hui sont tentés par le Front National, c'est parce que Les Républicains ne donnent pas satisfaction. Même si on remonte un peu plus loin le fil de l'histoire, et ils ont été très déçus par l'expérience de la droite au pouvoir entre 2007 et 2012.

On l’avait vu déjà, pendant la campagne présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy avait réessayé de rejouer la même stratégie de 2007 avec une fortune moins grande, puisque Marine Le Pen avait fait quasiment 18% au premier tour. Au deuxième tour, au gré d'une campagne d'entre deux assez musclée, les reports des voix frontistes s'étaient améliorés. Mais il avait manqué beaucoup de monde au deuxième tour et Nicolas Sarkozy avait été battu.

Sur cet entre deux tours, beaucoup de choses ont été dites, chacun défendant le discours qui l'intéressait lui. Certains ont dit que cette course effrénée avec le FN a été suicidaire pour Nicolas Sarkozy. D'autres au contraire disent que, si Sarkozy n'avait pas fait ça, il aurait été battu encore plus largement. Un avis que je parage et que j'ai essayé de défendre dans un papier publié au Figaro, qui montrait que dans l'entre deux tours, le discours de Sarkozy très à droite sur la question des frontières notamment avait permis un report des intentions de votes de Sarkozy dans l'électorat du FN sans dégrader le vote chez les centristes, qui certes n'était pas massif. Mais il avait fixé la partie gagnée de cet électorat centriste en parvenant à accroître la part de votes du côté des frontistes. Notamment en tirant à boulets rouges sur Hollande et sur la thématique de la fiscalité, chère à l'électorat centriste. 

Est-ce que cette stratégie ne va pas le pénaliser vis-à-vis des centristes, favoriser Juppé pour la primaire voire même avoir comme conséquence une candidature de Bayrou au premier tour des présidentielles ?

C'est un risque qui peut être pris, mais aujourd'hui, ce n'est pas dans l'électorat centriste que Sarkozy est le plus fort. Et ce n'est pas ça qui lui permet de devancer Juppé. En revanche, dans la perspective d'une primaire avec les autres candidats de droite, cet électorat là n'est pas celui qui spontanément va se tourner le premier vers Nicolas Sarkozy. On peut se dire que cet électorat n'étant pas très actif, on peut tenir les deux discours : il faut faire des efforts pour aller le chercher ou alors au contraire, on va d'abord essayer de jouer sur nos points forts. Et nos points forts, lesquels sont-ils ? Ce sont les soutiens dont Sarkozy dispose dans la droite la plus dure.

Il ya donc une stratégie à mener en s'appuyant sur un certain nombre de barons centristes. C'est l'accord que Sarkozy va passer avec l'UDI, en leur concédant trois têtes de listes pour les listes d'unions en vue des régionales. Avec Hervé Morin en Normandie, Sauvadet en Bourgogne, et puis Philipe Vigier dans la région Centre, au détriment notamment de Guillaume Peltier. La stratégie n'est donc pas uniquement orientée sur un axe, il y a aussi une réflexion sur comment essayer de ne pas perdre complètement pied dans l'électorat centriste. Même si, ce n'est pas aujourd'hui la priorité numéro un.

Dans son interview à Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy n'attaque le FN que sur son programme économique. Il prend soin de ne pas culpabiliser les électeurs du Front National, en donnant l'impression qu'il veut valider implicitement le diagnostic du FN sur l'immigration et la sécurité. Est-ce vraiment le cas ?

Je ne pense pas qu'il vienne valider le diagnostic du FN et que cela soit sa volonté. Ce qu'il a bien compris, c'est que même au sein de sa propre famille politique, l'électorat campe sur des positions très dures en matière de sécurité et d'immigration. Il faut prendre en compte cet état de fait. Ses positions sont d'autant plus dures que vous approchez du FN. Ses anciens électeurs partis au Front, l'on fait pour ces raisons-là. Il n'est donc pas question de les accabler et de se livrer à un procès moral, bien au contraire.

En revanche, en s'appuyant sur l'analyse qui est donnée sur ce qui s'est passé au deuxième tour des élections départementales, où on a vu que dans des duels entre la gauche et le FN, le report électoral de la droite sur le FN n'a pas été aussi élevé que pendant les scrutins partiels précédents. Sans doute parce qu'une partie de cet électorat de droite est un peu interrogatif, pour ne pas dire plus, vis-à-vis des positions économiques du Front. Sur cet angle, Nicolas Sarkozy a décidé de taper. En disant "je partage avec vous un certain nombre de vos préoccupations sur la menace identitaire, sur le laxisme de la gauche en matière de sécurité, etc. Mais ne vous trompez pas de colère, si vous votez pour le FN, vous votez pour un très mauvais programme économique".

Autre angle d'attaque que Nicolas Sarkozy avait utilisé pendant la fameuse élection partielle du Doubs : "si vous votez FN au premier tour, c'est un député socialiste de plus à l'arrivée". L'idée c'est de laisser croire qu'il y a une collusion entre la gauche et le FN. Nicolas Sarkozy essaie donc de s'adresser à cet électorat de la droite dure et de la faire revenir. Non pas en disant "il faut condamner moralement ceux qui ont des mauvaises pensée", mais en disant "on est d'accord avec un certain nombre de vos colères, mais voter FN, c'est faire le jeu de la gauche". Il joue donc sur le réflexe très anti-gauche de cet électorat : vous voulez allez plus loin en matière de sécurité, vous votez FN, mais au final vous avez Taubira à la Justice.

A propos de cette interview, le secrétaire général du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis a déclaré "Nicolas Sarkozy tombe le masque frontiste". Est-ce que Nicolas Sarkozy prend le risque de faire un cadeau au PS, en lui donnant du grain à moudre pour l'attaquer directement ?

C'est une prise de risque qui a sans doute été calculée, mais la réaction de Cambadélis renvoie aux propos que la gauche a pu tenir notamment dans l'entre deux tours de la présidentielle en 2012. Même avant cela, dès 2007, et le fameux discours de Grenoble de l'été 2010, en affirmant que Sarkozy était lancé dans une course sans retour et perdue d'avance avec le Front National, cela a abouti à droitiser le débat. Et selon l'adage lepeniste : "on préfère toujours l'original à la copie". C'est une critique traditionnelle de la gauche et Sarkozy a intégré ce fait là. Je pense qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil de ce point de vue.

Le risque, si on veut aller au bout de la démonstration, c'est évidemment de se faire attaquer par la gauche sur cet axe, mais aussi par une partie des centristes et notamment si Sarkozy gagne la primaire à droite. On peut alors penser que Bayrou trouvera les mots pour dire que dans cette configuration, il serait nécessaire pour lui de se présenter car il ne voudrait pas que l'électorat de centre-droit ait la possibilité de voter pour un Sarkozy qui serait de plus en plus droitisé. Il y a ce risque, qui est majeur, si ce que vous perdez au centre n'est pas regagné à droite. On arrive à la question de savoir si ce type de sorties et de positionnement peut être suffisamment efficace pour dégonfler le FN et faire revenir assez substantiellement l'électorat qui a quitté la droite pour le Front comme cela a été le cas en 2007. La question est de savoir ce qui se passe si jamais cette stratégie de séduction ne fonctionne pas. Il est un peu tôt pour le savoir, mais Marine Le Pen a aussi des arguments pour rappeler aux souvenirs de cet électorat les promesses de 2007 qui n'ont pas été tenues.

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