Pourquoi la génération Y continue à habiter chez ses parents même lorsqu’elle a un emploi<!-- --> | Atlantico.fr
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La génération Y semble peiner à rentrer dans la vie d'adulte.
La génération Y semble peiner à rentrer dans la vie d'adulte.
©Reuters

Nid douillet

On observe aux Etats-Unis que malgré une baisse du chômage chez les jeunes, ils restent toujours vivre aussi longtemps chez leurs parents. L'emploi n'est donc pas le principal frein à l'émancipation de la génération des 18-34 ans qui entre dans la vie active.

Olivier Vial

Olivier Vial

Olivier Vial est Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.

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Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Atlantico : Aux Etats-Unis, malgré une reprise de l'emploi chez les jeunes, le nombre des 18-34 ans qui restent vivre chez leurs parents est resté stable. Observe-t-on des phénomènes comparables en France? Pourquoi rester plus tard chez ses parents?

Olivier Vial : Les profils et les tendances sont à peu près similaires. Il y a une légère augmentation de la durée de cohabitation avec les parents. C'est intéressant car on voit ainsi que le problème n'est pas propre à la France. Il faut avoir en tête que la France est, contrairement aux idées reçues, l'un des trois pays européens où l'on décohabite le plus tôt. La moyenne confondue, toutes catégories de population, est aux alentours de 22 ans et progresse régulièrement.

Ensuite, il y a des choses plus conjoncturelles, liées à l'emploi et au coût. Le fait d'avoir un emploi stable –et c'est cette stabilité qui est importante-, est crucial. Il y a là une spécificité française: la durée entre la fin des études et l'obtention d'un premier CDI est estimée à deux ans. Pendant cette période-là, on a beau avoir un revenu, ce n'est en général pas suffisant pour faire le saut. Plus le marché de l'emploi est tendu, plus il y a une tendance à faire attention au risque que comporte un logement indépendant. La question du coût est aussi importante. On peut par exemple s'interroger sur ce qui motive l'emménagement en couple: est-ce pour des raisons sentimentales ou aussi pour des raisons budgétaires? L'augmentation des prix des loyers que nous avons connus ces dernières années fait qu'il est parfois difficile de l'affronter avec un seul  salaire. C'est aussi pour cette raison que le nombre de collocations augmente, du fait, contrairement aux idées reçues, de jeunes travailleurs plutôt que d'étudiants. Dans plus de 80% des collocations, au moins une personne a un emploi. On estime que le taux d'effort pour un loyer doit être autour de 30% des revenus. Pour un jeune, il est autour de 39% en moyenne et dépasse très fréquemment les 50%. Le coût d'un logement indépendant a donc largement contribué à retarder la cohabitation. Ceux qui sont le moins touchés par ça sont les jeunes issus de familles aisées, ou défavorisées, ces dernières bénéficiant d'aides.

Ces difficultés ont tendance à s'amplifier. Si on observe une augmentation de la précarité de l'emploi et une hausse des loyers, il n'y a pas eu de compensation avec une augmentation des aides au logement. Ces aides n'ont pas suivi la tendance des loyers privés, accroissant les difficultés.

Michel Fize: L'âge de départ de chez les parents ne cesse de reculer. Maintenant, c'est au-delà du chiffre de Tanguy, 28 ans. Ça peut être 30 voire 35 ans. C'est encore pire lorsque l'on regarde les situations de certains pays, comme en Espagne notamment, où la fourchette majoritaire est entre 30 et 35 ans.

Cette évolution est traditionnellement motivée par au moins deux grandes raisons. La première, c'est la prolongation des études qui évidemment, empêche l'autonomie financière. Et la seconde, c'est la montée du chômage et de la précarité.

Par rapport à cette enquête américaine, on peut dire que travailler n'est pas suffisant. Si l'on travaille en n'ayant pas de gros revenus, ce qui est une caractéristique des jeunes, on ne peut pas accéder au logement. Faute de pouvoir aller dans un logement autonome, on reste chez les parents. Il y a aussi la solution intermédiaire, qui se développe depuis plusieurs années, qui est une manière d'être dans l'entre deux : la colocation. C'est une manière de sortir de chez soi, de chez sa famille, sans pour autant entrer dans une vie de couple avec toutes les charges financières que cela implique.

Est-ce uniquement une question de moyens?

Olivier Vial : On se rend compte que l'emploi, en tant que tel, n'est pas le seul facteur… et même que ce n'est pas un facteur déterminant. Il y a des raisons structurelles et d'autres plus conjoncturelles, même si ces dernières tendent à s'installer durablement. Les raisons structurelles, c'est dans un premier temps l'augmentation de la durée des études, qui a retardé la décohabitation. En France, c'est encore assez fort car il y a très peu de logements collectifs, contrairement à d'autres pays européens. Tant que l'on fait des études, on vit chez ses parents. Ces dernières années, on tend à observer une stabilisation de la durée des études, mais c'est un phénomène structurel majeur sur une vingtaine d'années, qu'on retrouve dans tous les pays occidentaux. Deuxième élément structurel, c'est l'emploi. Pour quitter le foyer, il faut effectivement avoir un emploi et un revenu stables, mais il faut aussi une vie sentimentale stable. Or le moment où l'on se stabilise en couple, où l'on vit avec son conjoint, a tendance à reculer. On l'observe dans tous les pays occidentaux, avec des différences entre certains pays: dans certains, on va dé-cohabiter dès que l'on se met avec quelqu'un, tandis que dans d'autres, en Méditerranée, on va dé-cohabiter lorsque l'on aura un premier enfant.

Michel Fize : A côté des paramètres objectifs, il ne faut pas oublier le paramètre subjectif. On peut aussi avoir peu d'envie de quitter sa famille à partir du moment où l'on y vit confortablement, sans contraintes. Là, on est dans une génération qui est mentalement opposée à celle de 1968, pour laquelle le désir de partir de chez soi était important. A l'époque, ce n'était pas une obligation mais le logement familial était perçu comme un lieu de contrainte. La vie de famille n'est plus un tel carcan.

Je crois que les critères objectifs sont prédominants, mais qu'ils doivent être associés aux critères subjectifs. Avec tout ça réuni, on a incontestablement une montée de l'âge du départ de la famille d'origine.

Que tous ces jeunes restent de plus en plus tard chez leurs parents, est-ce vraiment un problème?

Olivier Vial : Ce n'est pas préoccupant en soit. On reste sur des âges très raisonnables et on est loin des difficultés rencontrées dans les pays méditerranéens. Dans ces derniers, cela commence à poser de vraies questions quant à la structure des familles. Malgré tout, ça va commencer à poser des problèmes économiques. Si la décohabitation se fait de plus en plus tardivement, il y aura des conséquences sur l'économie du logement. Ce n'est pour l'instant pas grave en France car le marché est extrêmement tendu, au contraire. Il n'y a pas de raisons d'être inquiets.

Il ne faut pas tomber dans le piège des politiques publiques, proposées en urgence lors de la sortie de film Tanguy, où des responsables ont cru qu'il pouvait y avoir là un phénomène de société. Il ne faut pas pousser à une décohabitation si elle n'a pas été réellement prévue et si tous les critères ne sont pas réunis.

Une décohabitation brutale peut avoir des conséquences négatives. On l'observe régulièrement chez de jeunes étudiants, en première année, qui vivent très mal de se retrouver hors du foyer familial. C'est un processus qui doit être continu, préparé et muri par une progression du revenu et une mise en place de la vie conjugale. L'autonomie des jeunes, ce n'est pas quelque chose qui se décrète, c'est quelque chose qui se construit.

Michel Fize : Lorsque l'on y est contraint par les critères objectifs que je viens d'évoquer, cela peut être psychologiquement éprouvant. A 30 ans ou au-delà, être encore dépendant de ses parents, même si ces derniers n'imposent pas d'obligations redoutables… ça veut dire que tout doit être organisé en fonction. Pour la vie sentimentale, par exemple, ce n'est pas simple si l'on est en couple. Même en ayant une chambre autonome, on reste sous le toit des parents. C'est perturbant.

Ça peut aussi être dérangeant pour les parents, qui estiment qu'il y a un âge pour partir, un âge où il n'est pas souhaitable que les enfants restent. Parce que l'on veut aussi, à cinquante ou soixante ans, profiter un peu de cette vie de couple sans enfants.

Une telle situation implique de devoir bien aménager les conditions de la cohabitation. Avec des enfants âgés, il vaut mieux bien définir les termes de la cohabitation.

Tous les jeunes sont-ils égaux face à cette problématique ? Les niveaux de revenus ou d'étude ont-ils une influence ?

Olivier Vial : Elle touche à la fois les jeunes les plus riches et les plus pauvres, qui sont ceux qui décohabitent le plus facilement. Les classes moyennes sont celles qui ont le plus difficulté.

Il y a toujours une différence entre milieux urbains et ruraux. Il est toujours plus facile de trouver un loyer peu cher en province ou en zone rurale, plutôt qu'en Ile de France. Mais il y a un phénomène de mobilité important chez les jeunes qui fait que tout cela est difficile à mesurer. Cette mobilité est beaucoup plus importante en province qu'en Ile de France. Les loyers, plus élevés en centres urbains, rend plus difficile le départ du foyer parental.

Michel Fize : Je pense que les jeunes de milieux populaires, pour les appeler ainsi, sont en plus grande difficulté que les autres. La solidarité financière y fonctionne moins que pour les autres. Lorsqu'on est diplômé, avec un bon diplôme, au moins bac plus quelques années… on peut bénéficier de solutions qui apportent une semi-autonomie. Les parents louent une chambre de bonne, un appartement. Sans compter tous les services comme le repassage ou la nourriture que les enfants peuvent rapporter le lundi matin en revenant de chez les parents.

Les situations sont sans aucun doute contrastées, en fonction des niveaux de revenus. Mais cela n'équivaut par contre pas forcément au niveau social : on peut avoir des familles modestes qui vont se "saigner les veines" pour aider leurs enfants, quitte à sacrifier d'autres postes de leurs budgets. Ou à l'inverse des familles aisées qui vont être moins complaisantes et qui vont inciter les enfants à se débrouiller.

Quelles solutions peuvent être étudiées pour corriger ce phénomène ?

Olivier Vial : Les politiques publiques doivent se concentrer sur les classes moyennes. Elles doivent avoir le même accès à l'emploi et à la vie familiale que les classes les plus aisées et les plus malaisées. Si il y a un retard, c'est parce qu'elles subissent le coût du logement. Il faut trouver une manière de rendre celui-ci plus abordable. Tout ce qui a été fait par le gouvernement récemment, comme l'encadrement des prix des loyers, aurait pu passer pour une bonne idée mais a un effet inverse puisqu'il gèle le marché du logement.

Il faut aller vers les politiques qui favorisent la construction de logements. On pourrait imaginer des processus qui permettraient d'acheter des logements pour les étudiants, avec un système de défiscalisation à travers lequel les parents transmettraient les biens aux enfants. Ce serait un facteur de création de patrimoine intéressant.

Il faut être très vigilant. On entend tous les jours, depuis cinq ans, une volonté de supprimer les aides au logement. Il faut savoir qu'aujourd'hui, même si ces aides ne sont pas totalement efficaces, que si on les abandonne, on met en difficulté une grande partie de la jeunesse qui n'aura plus d'autres solutions que de rester chez les parents. C'est grâce à ces aides là que l'on reste l'un des pays où les jeunes décohabitent le plus tôt.

Il reste difficile d'avoir une politique sur les jeunes. Il n'y a pas, en soi, de logements jeunes. On pourrait essayer d'avoir une approche par quartiers, avec des politiques incitatives sur certaines surfaces. Il faut identifier les lots où il y a une très forte tension. Une bonne solution est aussi d'ouvrir des HLM aux jeunes.

Il faut aussi noter que la tension sur l'immobilier n'est pas partout la même. Dans certains endroits, les HLM ou les logements Crous ne sont pas tous remplis.

Michel Fize : Les conditions qui favorisent le départ sont l'arrivée à une situation professionnelle stabilisée, par l'accès au sésame qu'est le CDI ; ainsi que la prise en charge d'une famille, que l'on a des enfants. Pour permettre le départ de sa famille, il faut procurer l'autonomie à la jeunesse.

Je vais prendre ma casquette de responsable politique et d'élu régional et répéter ce que j'ai souvent dit. On peut imaginer dans différents secteurs une notion de quota. On pourrait par exemple réserver dans les logements sociaux un quota réservé aux jeunes, qu'ils soient étudiants ou pas. Le logement jeune est en pénurie. Il suffit de voir chaque année la course à la chambre des étudiants qui reprennent les cours.

On peut aussi imaginer de rendre la santé des jeunes quasiment gratuite. Qu'il y ait en tous cas des modalités qui fassent que les jeunes puissent se soigner. Les jeunes, les étudiants en particulier, ne consultent pas et n'ont pas d'argent pour les médicaments.

Et puis on pourrait remettre sur la table l'idée de l'allocation d'autonomie pour les jeunes, qui naît différemment selon qu'elle est portée par les syndicats étudiants ou les partis politiques. C'est un serpent de mer que l'on brandit régulièrement… et que l'on oublie tout aussi facilement.

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