Florian Philippot pourra-t-il longtemps survivre au paradoxe de son lien très fort avec Marine Le Pen et très faible avec le FN ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Florian Philippot.
Florian Philippot.
©Reuters

Couper le cordon

La justice a récemment donné raison à Jean-Marie Le Pen dans son conflit qui l'oppose à sa fille et à Florian Philippot. C'est la deuxième fois que la justice française invalide une décision du FN concernant Jean-Marie Le Pen, qui devait être rapidement mis de côté. Cette crise, qui prend de plus en plus d'ampleur, pourrait bien avoir des conséquences négatives pour ce proche de Marine Le Pen.

Laurent de Boissieu

Laurent de Boissieu

Laurent de Boissieu est journaliste politique au quotidien La Croix et fondateur des sites France-politique.fr et Europe-politique.eu.

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Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Atlantico : La justice a dernièrement donné raison à Jean-Marie Le Pen une fois de plus en obligeant le FN a organiser un congrès si le parti souhaitait suspendre Jean-Marie Le Pen de son statut de président d'honneur. C'est le deuxième camouflet infligé par la justice au FN, et en particulier à Florian Philippot qui a été très actif dans cette crise. Au delà de ce cas d'espèce, quelles sont les chances de succès de Florian Philippot dans sa tentative de "changer" le FN? Les événements ne risquent-ils pas de tourner peu à peu en sa défaveur ? 

Lorrain de Saint-Affrique : A la grande époque des séries historiques de la télévision française, d’immenses acteurs excellaient dans les emplois de traitres de comédie ; je pense à Jean Topart, François Chaumette, et tant d’autres ; hélas pour lui, Florian Philippot peine à incarner la franchise sur les plateaux télé : quand il est contrarié, le discours technocratique s’enraye, on devine des motifs cachés qui font penser aux petites lignes en bas des contrats d’assurance, qu’il vaut mieux avoir lues dans la perspective d’un éventuel sinistre. Florian Philippot : études brillantes – Il détient les mêmes diplômes que François Hollande - vastes ambitions, et aussi cette étrange certitude que du moment qu’un projet est tordu ou déloyal, c’est qu’il s’agit de bonne politique. Seulement voilà, quand on monte un coup contre une cible aussi redoutable que Jean-Marie Le Pen, mieux vaut ne pas se rater ! A peine égratignée, la grosse bête rendue furieuse se retourne et charge.

A plusieurs reprises ces derniers mois, Philippot a déclaré que « le principal ennemi du Front National, c’était l’extrême-droite ». De quel mouvement se croit-il donc vice-président ? Pense-t-il en avoir déjà suffisamment noyauté les rouages par l’infiltration d’amis sûrs pour tester la solidité de son emprise ? En poussant à la roue pour publier coûte que coûte les résultats du « congrès postal » annulé en justice, au risque de diviser encore plus militants et électeurs, quel bénéfice escompte-t-il ? Et Marine Le Pen dans tout cela, quelle est sa vraie part dans les décisions ? Conserve-t-elle la bonne distance entre raison et passion ? C’est la tentative de mise au rancart du fondateur du FN qui a permis, peut-être, la constitution d’un groupe au Parlement Européen ; mais alors, si tel est le cas, quels engagements ont été pris, et avec qui ?

Laurent de Boissieu : Si Jean-Marie Le Pen a désigné Florian Philippot comme son adversaire, Marine Le Pen n’est toutefois pas une marionnette entre les mains de ce dernier : il s’agit bien d’un conflit politique, doublé d’une dimension familiale, entre la présidente et le président d’honneur du FN. Or, Marine Le Pen a perdu une bataille mais n’a pas perdu la guerre face à Jean-Marie Le Pen.

Sans parler du plébiscite interne, même sans effets juridiques, en faveur de la révision des statuts, les jugements ne constituent en effet pas des victoires définitives pour ce dernier. Les juges n’ont pas dit qu’un congrès extraordinaire ne pouvait pas réviser les statuts du FN pour en supprimer la présidence d’honneur, mais simplement que le silence des statuts ne permet pas de l’organiser par correspondance. Les juges n’ont pas dit que le bureau exécutif du FN ne pouvait pas sanctionner Jean-Marie Le Pen, mais simplement qu’en l’espèce il ne pouvait pas être suspendu pour une durée liée à la tenue dudit congrès extraordinaire.

Bref, bien qu’à court terme Jean-Marie Le Pen peut jubiler et rester président d’honneur du FN, à long terme Marine Le Pen possède les outils juridiques pour l’en déloger. Ce n’est donc pas le « Menhir », surnom de Jean-Marie Le Pen, qui constitue le principal obstacle pour Florian Philippot : c’est Marion Maréchal – Le Pen.

La volonté de Marion Maréchal – Le Pen d’incarner une nouvelle génération, dans le contexte de la préparation des élections régionales de 2015, l’a éloignée de son grand-père et rapprochée de sa tante. La jeune députée ne partage pas non plus les dérapages de Jean-Marie Le Pen sur la seconde guerre mondiale. Elle est cependant idéologiquement plus proche du FN « historique » que du « néo-FN » incarné par Florian Philippot.


Que pense la base du parti ? Florian Philippot n'a-t-il pas sous-estimé le soutien dont dispose encore Jean-Marie Le Pen au sein du FN ? Ne risque-t-il pas de paraître en décalage avec la base du parti ?

Lorrain de Saint-Affrique : Dans la longue histoire du Front National, les ascensions trop rapides ont souvent conduit à des chutes vertigineuses. Mais je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen ne se soit jamais autant lié à quiconque comme sa fille semble l’avoir fait avec Philippot, qui, désormais, se pense intouchable. A propos de la démission d’un jeune conseiller municipal du Cannet, qui se disait écœuré par les évènements, Philippot a lâché « qu’il n’apprenait l’existence de ces personnes qu’au moment de leur départ, ce qui prouve qu’il n’apportaient pas grand chose ». C’est dire la considération qu’il porte à la base ! Si le but final est dans un avenir proche l’exclusion pure et simple de Jean-Marie Le Pen, s’ils vont jusque là, on ne sait pas ce que provoquera une telle rupture. Le parricide même symbolique n’a pas bonne presse, et je doute que Marine Le Pen s’en tire sans dommage, de ce qu’un tel acte révèlerait de son caractère profond, de l’absence de scrupules, aux yeux d’une opinion qui la connaît encore mal.

Laurent de Boissieu : Sur le fond, Florian Philippot a apporté à Marine Le Pen un discours « national-républicain » tendant à se rapprocher de ceux de Nicolas Dupont-Aignan à droite et de Jean-Pierre Chevènement à gauche. Premier grand apport : un antilibéralisme interne, aux antipodes des anciens programmes lepénistes, venu compléter l’antilibéralisme externe déjà présent (protectionnisme). Il est difficile de dire ce qu’en pense la base du parti. Mais les sondages montrent clairement que les sympathisants du FN sont sur ce point en phase avec Florian Philippot.

Il s’agit d’ailleurs, avec la construction européenne, qui ne constitue en revanche pas un clivage au sein du parti lepéniste, du principal fossé entre l’UMP et le FN. Marine Le Pen se trouve donc confrontée à un dilemme : revenir à la ligne nationale-libérale de Jean-Marie Le Pen, c’est perdre aux premiers tours l’électorat populaire « ni de droite ni de gauche ». À l’inverse, conserver la ligne sociale-étatiste de Florian Philippot, c’est se priver aux seconds tours du report d’électeurs de droite anti-gauche. Candidate dans une région où la porosité est forte entre électorats de droite et d’extrême droite, Marion Maréchal – Le Pen est logiquement sur la même ligne économique que Jean-Marie Le Pen, celle la plus compatible avec l’UMP.

Second apport de Florian Philippot : l’affirmation de la défense de tous les Français sans distinction d’origine ou de couleur de peau, à condition que les immigrés s’assimilent à la culture française. Textuellement, ces affirmations correspondaient déjà aux statuts du FN, et l’ancien partisan de l’Algérie française qu’est Jean-Marie Le Pen a parfois mis en avant cette idée, notamment dans son discours de Valmy (septembre 2006). Mais il s’en était aussi souvent affranchi en défendant par exemple l’« inégalité des races » ou encore l’appartenance de la France au « monde blanc ».

Sur cette thématique, Florian Philippot est minoritaire à la base du parti. Comme Jean-Marie Le Pen et Marion Maréchal – Le Pen, les militants du FN se sont en effet massivement appropriés le vocabulaire (« Français de souche », « grand remplacement », « remigration ») d’un courant d’extrême droite « racialiste », Les Identitaires. Marion Maréchal – Le Pen vient justement d’incorporer au sein de sa liste en Provence-Alpes-Côte d'Azur un de leurs dirigeants, le Niçois Philippe Vardon.

Florian Philippot ne risque-t-il pas d'être victime de la malédiction des numéros 2 du FN, comme Bruno Mégret avant lui ? Quelles sont les différences entre l'actuel numéro 2 et ses prédécesseurs à ce poste, notamment dans son rapport à la tête du parti ?

Lorrain de Saint-Affrique : Imaginons un instant que je sois encore mêlé à ces affaires-là, ce qui n’est plus le cas depuis 20 ans, je dirais que Florian Philippot réussit le tour de force de me faire regretter Bruno Mégret, qui, lui, était indiscutablement un homme de droite. La ligne Mégret ne conduisait pas à truffer le programme du Front National de mesures de gauche, mais à convaincre les électeurs de gauche de changer d’avis et de voter pour une politique de droite.J’ai lu quelque part que Bruno Mégret aurait dit, à propos des Le Pen : « En fait, on aurait dû se débarrasser de toute la famille ». Philippot, lui, tente de les prendre un par un. Pour le reste, côté charisme, ils sont à égalité, autant que par la place répétitive du mot pouvoir dans leurs rhétoriques respectives, ce qui montre clairement la hiérarchie des préoccupations : servir, ou être servi.

Laurent de Boissieu : La grande différence entre Florian Philippot et ses prédécesseurs au poste de numéro 2 du FN, de droit ou de fait, c’est qu’il ne se dresse pas contre le numéro 1. Bien que critiqué au sein de la direction du parti d’extrême droite, sa principale force, en dehors de son omniprésence médiatique, réside dans le soutien indéfectible de Marine Le Pen. Pense-t-elle qu’il détient la clef stratégique des succès électoraux d’hier et de demain ? Est-elle idéologiquement en osmose avec lui ? Elle seul le sait.

Mais cette force est aussi une faiblesse. Celui qui n’a jamais voté pour Jean-Marie Le Pen à une élection présidentielle n’est pas issu de la « famille » au sens de culture politique, n’en partage ni les codes ni les combats passés. Il demeure en quelque sorte davantage « Rassemblement bleu Marine » que « Front national ». Enfin, il ne dispose ni des réseaux internes qu’avaient tissés les anciens numéros 2 du FN ni d’un bastion électoral sur lequel s’appuyer. Bref, sans sa présidente, il se trouverait isolé. La détermination de Marine Le Pen dans son conflit avec Jean-Marie Le Pen semble néanmoins le mettre à l’abri de ce qui pourrait causer sa chute : une réconciliation politique entre le père et la fille.

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