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Christiane Taubira va-t-elle discrètement enterrer le rapport qui préconise une réduction drastique des frais de justice ?
©Reuters

La balance et l'écu

Si le fonctionnement de la justice est fondamental pour notre pays, il n'en a pas moins un coût très élevé. Et à la fin, aux contribuables de payer. Mais, si la garde des Sceaux y consent, un rapport pourrait bien nous faire faire de sérieuses économies.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • On désigne par "frais de justice" l'ensemble des frais de procédure engagés dans le cadre d'un procès
  • Un rapport remis il y a quelques jours à la garde des Sceaux propose des mesures efficaces qui devraient permettre de réduire les frais de justice qui s’élèvent à près de 500 millions d’euros
  • L’étude se penche notamment sur l’épineuse question des véhicules saisis. Elle souhaite que ces derniers puissent être cédés avant la fin des procédures judiciaires. Ce qui éviterait un gardiennage trop long et onéreux. Le système commence à fonctionner
  • S’attardant sur le mauvais état de l’expertise psychiatrique en général, qui est l’un des postes très importants des frais de justice -88,6 millions d’euros- les auteurs du rapport réclament une réflexion spécifique sur cette question au sein du ministère de la Justice
  • Evoquant la médecine légale, science fondamentale, pas seulement en matière criminelle, l’étude recommande que les autopsies et analyses soient confiées à une seule et même personne. Comme cela existe en Allemagne et en Suisse

Comment réduire les frais de gardiennage des véhicules saisis lors de procédures pénales ? Comment faire que le coût des interprètes des tribunaux soit moins élevé ? Quels remèdes à apporter pour que la médecine légale, à laquelle ont recours juges d’instruction et enquêteurs, soit moins salée pour le contribuable ? Comment faire pour que les sommes dépensées pour les enquêtes et les poursuites soient réduites ? Périodiquement, la question est posée.

Il y a quelques mois, la Cour des Comptes s’était penchée sur la question en s’inquiétant du coût élevé des frais de justice : près de 500 millions d’euros. Voilà qu’aujourd’hui, un rapport qu’Atlantico a pu lire, remis il y a quelques jours à la garde des Sceaux, Christiane Taubira, propose des solutions pour réaliser des économies. Son titre : "Mission sur les bonnes pratiques en matière de frais de justice." Pendant plusieurs mois, quatre personnalités – une ancien premier président de cour d’appel, Alain Nuée, un ancien procureur général, Bernard Legras, un ancien directeur de greffe, Jean-Michel Calard et un ex-contrôleur général de la police, Bernard Trenque- ont enquêté auprès des tribunaux, des cours d’appel, des services de police, des greffes, des instituts médicaux-légaux etc… afin de proposer des solutions pour endiguer la montée en puissance, ces dernières années, des frais de justice. Quelques chiffres cités témoignent de cette croissance. Songez, par exemple, que les opérations de communication électronique, la location de matériel d’interception et d’analyses en laboratoire tournent autour de 146,4 millions d’euros chaque année. Que les actes médicaux reviennent à 152 millions d’euros. Que les frais de justice pénale représentant 269, 8 millions d’euros.

D’emblée, les quatre rédacteurs du document, très complet, très argumenté, décrivent les axes essentiels qui pourraient donner lieu à économies : "Le gardiennage des véhicules, la traduction et l’interprétariat, la médecine légale, la toxicologie et la génétique ont été, dans une quasi-unanimité, présentés par nos interlocuteurs, dans les juridictions, comme des enjeux majeurs, dans la mesure où, au-delà de leur poids économique, ces secteurs sont pour les gestionnaires de terrain ceux dans lesquels leur marge de manœuvre reste encore importante." Une liste non exhaustive : la question délicate des frais engagés pour régler les traducteurs –interprètes de plus en plus sollicités- devient elle aussi cruciale.

1- La gestion des véhicules et des scellés en garde extérieure.

Il s’agit, principalement, de véhicules confisqués dont les auteurs ont été alpagués pour conduite en état d’ivresse, sans permis ou après usage de stupéfiants. Le montant de ces frais s’élève à environ 19 millions d’euros. Contre un peu plus de 15 millions en 2009. Or, selon le rapport,"la gestion des véhicules placés sous scellés est depuis plusieurs années, une préoccupation pour les chefs de juridiction et les directeurs de greffe" Pour éviter cette montée exponentielle des frais de justice, il serait judicieux d’instaurer un contrôle effectif de la durée de garde des véhicules en fourrière et de développer leur vente pendant l’instruction. Cette solution, qui recueille l’assentiment des services judiciaires, a aussi celui des rédacteurs de l’étude, qui relèvent au passage, qu’au 30 juin 2013, sur 16 000 véhicules en gardiennage, 2211 étaient susceptibles d’être vendus ou détruits et 2025 insusceptibles d’être rattachés à une procédure, faute de numéro de parquet. En clair, d’être répertorié. C’est dans ces conditions qu’un plan d’apurement a été décidé. Et ça a marché, grâce à "une forte mobilisation des magistrats et des fonctionnaires des juridictions". C’est ainsi qu’au cours de l’année 2014, dans le ressort de la cour d’appel de Colmar, 405 véhicules ont été sortis de l’inventaire et 253 ont été déstockés par destruction. A la fin 2014, cette nouvelle stratégie de déstockage a permis sur une année plaine, une économie globale de 9 millions d’euros. Ces résultats, encourageants, grâce à un plan d’action initié par les juridictions, dont Montpellier, Belfort, Béthune, Colmar et Rennes, devraient s’amplifier pour les mois à venir.

Outre le développement de la vente des véhicules saisis, le rapport propose que magistrats et greffiers puissent identifier plus facilement le véhicule. Ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’on ne dispose pas de l’accès direct au Système d’immatriculation direct des véhicules (SIV). En effet, ce fichier contient des éléments essentiels : nom, nom d’usage du conducteur du véhicule, sexe, date et lieu de naissance, raison sociale, SIREN et ou SIRET, caractéristiques techniques du véhicule, situation à l’égard du contrôle technique, saisie, gage etc… Les avantages d’un tel accès sont évidents : en un rien de temps, on connait tout du véhicule et on peut le vendre très rapidement. Ce qui permet une économie de temps et de gestion.

2- La médecine légale

Dans ce domaine, les pistes d’économies semblent plus difficiles à mettre en œuvre. D’emblée, les auteurs du rapport l’écrivent noir sur blanc : la prudence doit être la règle. En effet, à ceux qui pensent que trop d’autopsies sont pratiquées – hors affaires criminelles bien évidemment-, ils répondent que "l’autopsie reste un acte très précieux pour la manifestation de la vérité". Et de marteler : "Constater qu’une autopsie n’a pas été ordonnée alors qu’elle aurait été nécessaire, peut avoir de lourdes conséquences. De même, la décision de recourir à un expert unique ou à une dualité de médecins légistes ne saurait être encadrée pour des raisons budgétaires. Elle relève de la liberté du prescripteur."

Alors, quelles pistes à explorer pour réaliser des économies ? A dire vrai, les pistes ne sont guère évidentes, puisque le magistrat et l’enquêteur, guidés par le principe de précaution, soucieux de ne pas commettre une boulette, auront tendance à ordonner des actes avec "un spectre large" … En clair, prescrire des opérations parfaitement inutiles pour la manifestation de la vérité. Au fond, à lire les conclusions de l’étude, une solution permettrait de s’en sortir : la globalisation des actes, c’est-à-dire regrouper sous la direction d’une seule personne, l’ensemble des actes qui, avec l’autopsie, s’avèrent indispensables à la manifestation de la vérité. C’est d’ailleurs la solution adoptée en Suisse et en Allemagne.

3- Les expertises psychiatriques

Elles demeurent, selon la Cour des comptes, avec les frais liés à d’autres examens médicaux, le premier poste de dépenses des frais de justice pénale avec 88, 6milllions d’euros contre 85, 9 en 2013. Le constat est clair et net : entre les formations contrastées, les recrutements hasardeux, le problème de la rémunération, l’expertise psychiatrique n’est pas au mieux de sa forme. Pis encore selon les professeurs Daniel Zagury et Jean-Louis Senon, cités par les rédacteurs de l’étude, elle est à la dérive. Il n’empêche. Il faut rationnaliser ce secteur. Pourquoi, par exemple, ne pas étendre la convention entre la médecine légale et la psychiatrie médico-légale comme cela s’est fait entre la Cour d’appel de Colmar et l’Institut médico-légal de Strasbourg ?

En conclusion, le rapport fait deux recommandations : 1- Initier, au sein du ministère de la Justice, une réflexion spécifique sur la problématique de l’expertise psychiatrique. 2- Expérimenter une organisation reposant sur l’intégration de la psychiatrie médico-légale dans les Instituts médicaux-légaux/

4- Traducteurs et interprètes

Avec la forte croissance et la diversification des flux migratoires, ce poste s’avère non négligeable : 30 millions d’euros en 2013. Soit une hausse de 90% depuis 2009. Dire que le monde des interprètes est celui d’une grande misère serait fortement exagéré, voire caricatural. Encore que le rapport écrit noir sur blanc : "En raison de l’absence sur les listes des cours d’appel d’interprètes de langues plus rares et du manque de disponibilité des interprètes inscrits[…], les services de police et de gendarmerie ont été conduits à requérir dans l’urgence des personnes issues généralement du même milieu que la personne interrogée, dont certaines à la limite de l’illettrisme( …) Il est clair que dans ce domaine, une bonne utilisation des interprètes fait cruellement défaut. En effet, dans 57% des cas, ces derniers sont désignés dans l’urgence et dans plus 60% des cas, ils sont désignés dans un délai d’un jour ou dans un délai ne dépassant pas huit jours.Autre donnée qui a de quoi surprendre : 21% des interprètes ne sont pas inscrits sur une liste de la Cour d’appel. Devant cette situation qui engendre bien des abus en matière tarifaire, l’étude propose une rationalisation qui pourrait tourner autour de deux axes : 1- Le recrutement de contractuels dans les juridictions pour les langues les plus usitées. 2- La mise en place au sein des services pénaux des TGI d’une structure destinée à optimiser le recours aux interprètes.

Totalement en phase avec l’actualité, ce qui mérite d’être souligné, les rédacteurs de l’étude se demandent s’il ne serait pas habile de recruter dans certains tribunaux quelques interprètes contractuels dans des langues désormais très usitées –arabe et roumain- qui seraient à la disposition des magistrats. Une sorte de remake du corps des interprètes judiciaires, qui dans le passé, lors des protectorats de Tunisie, du Maroc, et en Indochine et Madagascar, se sont avérés très utiles pour les juridictions. Enfin, toujours dans un souci d’économies et de saine gestion des audiences, le rapport souhaite que les pratiques déjà généralisées dans les Tribunaux se perpétuent. A savoir : l’organisation des audiences en fonction de la présence d’interprètes, la mise sur pied des interventions de l’interprète, l’instauration de permanences de nuit, week-ends, jours fériés, et bien sûr la mise en alerte de l’interprète le plus rapidement possible en cas de déferrement d’un suspect.

Voilà donc un travail qui montre son utilité car il propose des pistes aisément réalisables… à condition que les pesanteurs sociologiques ne l’emportent pas sur toute autre considération. Certes, on pourrait toujours arguer que par les temps qui courent, cette remise à plat des frais de justice, n’est pas fondamentale. Ce serait une erreur. Car les quatre auteurs ont bien perçu l’importance de leur mission : démontrer que la justice n’est pas destinée à demeurer un maquis aussi incompréhensible qu’infranchissable pour le citoyen. A la garde des Sceaux de faire savoir que ce rapport, d’autant plus qu’il est de qualité, n’est pas destiné à rester quelque part dans une réserve de la place Vendôme.

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