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Nervosité dans l’air : l’Etat islamique interdit l’accès individuel à Internet à Raqqa
©Reuters

Signal de faiblesse

L'Etat islamique a donné quatre jours aux habitants de Raqqa pour couper leur connexion Internet. Le but de la manœuvre est de contrôler toutes les informations entrantes et sortantes de la ville érigée comme capitale de l'EI. Une mesure qui tend à démontrer une certaine faiblesse...

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Les mesures prises par l’Etat islamique à Raqqa pour contrôler l’ensemble des connexions Internet traduisent-elles une faiblesse nouvelle du groupe terroriste ?

Alain Chouet : L’Etat Islamique n’est pas un "groupe terroriste" mais une organisation politico-militaire qui cherche à implanter son pouvoir sur un territoire défini par des moyens violents – aussi bien militaires que terroristes - et à organiser ce pouvoir en pouvoir d’Etat. Moyennant quoi, cette organisation se trouve confrontée aux mêmes contradictions classiques que rencontrent tous les mouvements révolutionnaires violents quand leurs succès les amènent à devoir assumer un pouvoir d’Etat. L’OLP en Palestine, le FLN en Algérie, les FARC en Colombie, etc.

Constitué au départ de militants convaincus indifférents à toute autre propagande ou idéologie, l’EI – du fait de l’extension de son emprise territoriale - se retrouve contraint à gérer des populations qui se soumettent à sa violence sans adhérer à ses idées, qui sont sensibles aux informations qui viennent d’ailleurs et qui leur donnent l’espoir que le règne de l’Etat Islamique sera éphémère. L’Etat Islamique tente de réagir à ce danger à la manière de tous les partis, gouvernement ou sectes totalitaires par la censure ou l’interdiction d’accès à l’information (qui passe aujourd’hui par Internet) tout comme la Gestapo traquait les auditeurs de la BBC ou comme les dictatures du 20e siècle finissant interdisaient les antennes satellites.

Plus le soi-disant Etat Islamique entend exercer un pouvoir d’Etat alors qu’il n’en a ni la pratique, ni les ressources humaines ni même les ressources financières suffisantes, plus il s’affaiblit.

Les craintes de l’Etat islamique de voir nombre de ses combattants étrangers repartir dans leur pays d’origine car déçus de la réalité à laquelle ils sont confrontés motivent-elles cette mesure ?

Les volontaires étrangers de l’Etat Islamique sont essentiellement des mercenaires. Outre quelques centaines d’Occidentaux qui ont rejoint le terrain par conviction ou ignorance de la réalité, la majorité des volontaires étrangers (Maghrébins, Balkaniques, Caucasiens, etc.) sont d’abord là pour la solde. Internet ou pas, ceux d’entre eux qui sont déçus ou mal payés partiront. L’impact d’Internet se fait d’abord sentir sur les populations conquises et cela "coûte cher" à l’EI qui doit consacrer une partie grandissante de la capacité opérationnelle de ses éléments armés pour le contrôle de ces populations au détriment d’actions sur "le front".

Est-il réellement possible de contrôler toutes les connexions Internet ? Doit-on craindre un déficit total d’informations dans la région de Raqqa ? Et cela constitue-t-il un obstacle pour la coalition ?

L’expérience prouve que, même dans des pays technologiquement évolués, comme l’Iran ou la Chine, le contrôle total du réseau Internet est pratiquement impossible à mettre en œuvre sauf à devoir couper toutes les liaisons radioélectriques et téléphoniques, ce qui pénaliserait autant l’Etat Islamique que ses victimes sans pour autant gêner beaucoup ses adversaires. Les informations sur les mouvements et activités de l’EI reposent essentiellement sur le renseignement d’origine électromagnétique, sur l’imagerie aérienne et satellitaire sur des sources humaines puisque l’Etat Islamique est bien obligé d’entretenir des rapports avec son voisinage pour écouler le produit de ses trafics et pillages.

Pourquoi la coalition n’a-t-elle pas brouillé les moyens de communication, et en premier lieu Internet dans les régions contrôlées par l’EI ?

Il y aurait beaucoup à dire sur ce que la soi-disant coalition a fait ou n’a pas fait en matière de lutte contre la barbarie de l’Etat Islamique….

On est pourtant bien obligés de constater que cette affaire est bizarrement traitée. Cette coalition est composée de quelques pays occidentaux aux stratégies pas toujours convergentes (ainsi la France s’interdit toute opération en Syrie alors que le Royaume Uni le réclame….), alliés à des pays de la région qui ont clairement encore ou qui ont eu des convergences idéologiques et stratégiques avec le salafisme de l’EI comme la Turquie islamiste et certaines pétromonarchies wahhabites. En revanche cette coalition exclut totalement tout contact avec ceux qui sont les premières victimes des djihadistes : les Iraniens, les chiites d’Irak, les Chrétiens d’Orient, les Alaouites de Syrie, les Yézidis, les Kurdes, etc.

C’est donc aux responsables de cette coalition qu’il faut poser la question. En particulier celle de savoir si les bénéfices matériels que nous espérons tirer de notre complaisance à l’égard des théocraties fondamentalistes sunnites justifient nos hésitations face aux dévastations humaines, morales et matérielles du salafisme.

L’Etat islamique est-il en perte de vitesse ? Quelles en sont les raisons ? 

La survie de l’Etat Islamique repose tout à la fois sur les contradictions de la politique internationale telles que nous les avons évoquées à la question précédente et sur sa capacité à piller et rançonner le terrain conquis puisque les islamistes irakiens qui constituent le noyau central de l’organisation ne bénéficient plus depuis deux ans du soutien politique et financier des puissances sunnites fondamentalistes.

Le problème pour l’EI est que ces deux piliers de sa survie sont en train de s’effriter. Ses excès ont fini par inquiéter même ses plus efficaces soutiens comme le parti islamiste turc et servent de prétexte justifié à un activisme iranien grandissant dans toute la région au détriment de ses partisans dans les pétromonarchies sunnites.

D’autre part, sa capacité de pillage et de racket dans la région qu’il contrôle diminue par épuisement de la ressource – y compris la ressource hydrocarbure - alors que ses besoins augmentent pour assurer un contrôle effectif du terrain.

Cette conjonction de facteurs n’est pas de bon augure pour l’EI. Mais il est à craindre que son affaiblissement se traduise par un regain désespéré de violence et de sauvagerie durablement installé dans une zone grise repaire de terrorisme international, surtout si la coalition reste engluée dans les demi-mesures de ses contradictions.

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