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Perpignan, Chattanooga, une même réalité dérangeante : des djihadistes dont la dérive ne s’explique pas par la misère économique et sociale
©Reuters

Terrorisme

les trois jeunes qui ont été arrêtés pour la préparation d'un attentat sur la base militaire de Fort-Béar sont malheureusement représentatifs de l'évolution des terroristes d'aujourd'hui. À l'image du tueur de Chattanooga qui a fusillé plusieurs marines jeudi 16 juillet 2015, ils sont étudiants, relativement intégrés dans la société et ne correspondent pas au profil type qu'on attend d'un candidat au djihad.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Etudiants, militaire, les trois jeunes qui fomentaient l'attentat sur le Fort-Béar diffèrent de l'image communément répandue des islamistes convertis : ils ne vivaient pas dans la misère, avaient l'air relativement intégrés… Fait-on face à de nouveaux terroristes ? En quoi cela représente-t-il un changement ?

Alain Rodier : Il a toujours été difficile pour les services de sécurité de faire un "portrait robot" du djihadiste "moyen". Nous ne pouvons donc pas dire si les suspects mis en cause dans l'affaire de Fort-Béar sortent vraiment de l'épure. Par contre, ce qui est certain, c'est que les services sont désormais sur le qui-vive et toute "anomalie" est relevée et exploitée. Il est donc possible qu'aujourd'hui, des affaires qui seraient "passée à l'as" il y a encore quelques mois, sont traitées avec célérité et efficacité. Cela fausse les analyses qui peuvent être faîtes : plus d'aspirants terroristes ou plus de détections en amont ?

La comparaison avec les événements de Chattanooga est assez compliquée : les cultures américaines et françaises sont trop différentes pour qu'on puisse véritablement s'adonner à ce genre de pratiques. En outre, les attentats commis aux Etats-Unis relèvent bien plus de terrorisme "lourd" que l'attentat prévu par les suspects mis en cause dans l'affaire de Fort-Béar. Les jeux ne se déroulent tout simplement pas dans la même cour.

Le point de comparaison qui tient la route, néanmoins, c'est l'intégration et le passage à l'acte des terroristes : en France, dans l'affaire de Fort-Béar, il s'agit essentiellement d'étudiants, ainsi que d'un militaire. Le tueur de Chattanooga, Muhammad Youssef Abdulazeez, était ingénieur, diplômé de l'Université du Tennessee en 2012. Aux Etats-Unis comme en Europe, les terroristes ne sont pas nécessairement issus de milieux ancrés dans la misère. Au contraire, il s'agit même de personnes en apparence intégrés (étudiants, diplomés, etc).

Muhammad Youssef Abdulazeez était diplomé de l'Université du Tennesse depuis 2012. Faut-il craindre une infiltration des milieux étudiants par des réseaux comme DAESH ? Cette situation est-elle plus valable en France qu'aux États-Unis ?

Il est important, je crois, de rappeler que l'État Islamique compte davantage sur la "charité" des croyants en dehors de sa sphère d'influence principale qu'est le front Syrien. Par conséquent, la majorité des gens qui se revendiquent du mouvement sont en vérités "inspirés" par celui-ci, sans y appartenir nécessairement. En revanche, quand il est question d'attentats muris, réfléchis et organisés, c'est le plus souvent l'oeuvre d'Al Quaida, qu'il ne faut pas oublier. C'était le cas des attentats du 11 septembre, mais également de ceux plus récents dirigés contre Charlie Hebdo. Si infiltration il y a, elle est plus probablement réalisée par les hommes d'Al Quaida (qui dispose d'une branche chargée des "affaires étrangères", incarnée par Al Quaida au Yemen) que par Daesh.

Le fait que l'un d'entre eux soit militaire (sans être néanmoins le cerveau de l'opération) est-il particulièrement inquiétant ? Doit-on s'attendre à une radicalisation au sein de l'armée, avec d'ex militaires frustrés qui cherchent à la frapper ?

Non. Il s'agit d'un matelot qui a été remercié car il ne présentait pas les qualité requises pour effectuer correctement son service. Son cas est loin d'être unique. Nombre d'engagés sont renvoyés dans leurs foyers en cours de contrat parce qu'ils ne répondent pas aux critères de la vie militaire, une sorte de divorce à l'amiable en quelque sorte.

Cela dit, sur l'ensemble de la population militaire, il est logique que quelques "anciens" (qui généralement ont très peu d'années de service au compteur) se laissent séduire par les sirènes du salafisme-djihadisme, mais pas plus que dans la population "civile". Il faut savoir que ceux qui servent sous les drapeaux sont suivis par la DPSD (anciennement sécurité militaire) qui vérifie, en liaison avec la chaîne hiérarchique, leur comportement durant leur service. En cas de besoin, le dossier est transmis, après leur départ, à la DGSI ou à d'autres services qui s'occupent du droit commun ; ce n'est pas parce que l'on a été militaire que l'on est devenu un petit ange. Il semble que cela a été le cas pour l'ancien matelot. Nous sommes donc là dans le domaine de la procédure classique.

Dans cette affaire, les suspects ont été arrêtés avant de commettre un acte répréhensible. Que n'aurait-on pas dit s'il y avait eu un commencement d'exécution. Les services ont fait leur travail. Bravo. 

L'attrait pour le djihad touche de plus en plus de jeunes. Récemment encore, un trio de frères prévoyant un départ en Syrie s'était retrouvé arrêté. Le plus jeune d'entre eux avait 13 ans. S'agit-il d'un cas isolé, ou faut-il craindre un rajeunissement des candidats au djihad ? Comment l'expliquer ? 

Ce qui est inquiétant, c'est que de plus en plus de jeunes en révolte contre le système (ce qui n'est en soi, pas un fait nouveau) n'hésitent plus à envisager de passer dans la rébellion voire au terrorisme. On parle beaucoup de l'islam radical mais moins des autres contestations qui pourraient très bien devenir violentes, voir pour exemple le dossier "Notre Dame des Landes" où des consignes qui frisent l'appel à l'insurrection ont été données sur le net... C'est cette ambiance délétère où l'autorité n'est plus reconnue, quand elle ne devient pas une cible comme lors des émeutes des nuits du 13 et 14 juillet (il faut appeler un chat un chat) lorsque des commissariats de police ont été attaqués, qui est extrêmement inquiétante. La violence devient le seul moyen de communication de ceux qui pensent, parfois à juste titre, être les laissés pour comptes. Et l'Etat a bien du mal à trouver une réponse adaptée sachant que le répressif ne suffit pas.

Fondamentalement, y'a-t-il une nouvelle classe de la population à surveiller ? Laquelle ?

Tous les analystes relèvent une ambiance détestable dans les zones péri-urbaines où la violence, quittant les sentiers de la contestation classique(qui pourraient être explicables même s'ils ne sont pas admissibles) devient gratuite : la violence pour la violence contre la société considérée comme "gauloise, laïque ou héritière de la pensée judéo-chrétienne -les révoltés n'en sont pas à une contradiction près puisque c'est la passion qui les emporte-). En réalité, c'est ce sentiment de haine exacerbée vis-à-vis de l'autre qui est extrêmement préoccupant, à la limite, dévastateur.

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