Spolié et brutalement expulsé de Russie : quand le financier Bill Browder, petit-fils du secrétaire général du PC américain, met son ex ami Poutine en accusation <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le financier Bill Browder, petit-fils du secrétaire général du PC américain, met son ex ami Poutine en accusation
Le financier Bill Browder, petit-fils du secrétaire général du PC américain, met son ex ami Poutine en accusation
©Reuters

Sales baisers de Russie

Petit-fils du secrétaire général du Parti communiste américain, fondateur du Fonds d’investissement Hermitage, très présent en Russie, Bill Browder s’est fait lester de 230 millions de dollars. Il met en cause des hauts fonctionnaires du ministère russe de l’Intérieur. Hier allié de Poutine, aujourd’hui son "ennemi n°1", il est interdit de séjour en Russie. Pour retrouver ses 230 millions, il multiplie les plaintes dans le monde entier. Dont la France où, en toute discrétion, une instruction a été ouverte

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

Voir la bio »
  • Bill Browder, petit-fils du secrétaire général du parti communiste américain, fondateur d’un Fonds d’investissement Hermitage, très présent en Russie, s’est fait piller de 230 millions de dollars.
  • Une partie de cet argent blanchi-23 millions de dollars- a transité sur les comptes bancaires d’une chef d’entreprise d’origine russe, spécialisée dans l’import - export… de peinture.
  • Le fondateur d’Hermitage, qui se considère lui-même comme « ennemi n° 1 de Poutine »,  affirme avoir été victime de hauts fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur russe qui ont mené dans ses bureaux de Moscou des perquisitions  illégales
  • L’avocat de Browder, Me Serguei Magnitski qui a beaucoup enquêté sur cette ténébreuse affaire a été battu à mort le 16 novembre 2009 par les gardiens d’une cellule d’isolement… alors qu’il  aurait dû être hospitalisé
  • Trois ans plus tard, un conseiller financier qui aidera beaucoup  Browder sera retrouvé mort sur le trottoir à deux pas  de son domicile  londonien…Vraisemblablement empoisonné par du gelsemium, plante asiatique très toxique, souvent utilisée par des tueurs russes et chinois

Imaginez que des malfrats parviennent à piller les serveurs et ordinateurs  d’une entreprise et que  celle-ci se voit délester de dizaines  millions de dollars. Lesquels prennent le chemin de l’ Estonie, de la Finlande, de Hong-Kong, de Chypre, de la Moldavie, de la Suisse,  et même de la France etc…Imaginez encore que ce pillage débouche sur deux assassinats, dont un avocat célèbre. Vous penseriez que cette histoire est parfaitement fantaisiste. Telle qu’on la raconte dans les films. Eh bien, vous auriez tort. Car cette histoire est vraie. Totalement. Elle serait même incomplète sans l’apparition du nom de Vladimir Poutine, le président de la Russie.  Le héros de ce thriller ?  Bill Browder, fondateur au milieu des années 90, du plus important Fonds d’investissement en Russie, dénommé Hermitage (4 milliards de dollars d’actifs). Pourtant, Il s’est fait délester de 230 millions de dollars… dont une partie aurait été blanchie en France par une femme d’affaires d’origine russe, propriétaire d’une entreprise de peinture de luxe, domiciliée dans un village à la mode de la Côte d’azur. A la suite d’une plainte déposée à Paris le 19 février 2014, par les trois avocats français de Browder, Mes Hervé Temime, Safya Akorri et Julia Minkowski, les juges Renaud Van Ruymbeke, Roger Le Loire et Charlotte Bilger  tentent de démêler les fils d’une ténébreuse affaire qui devrait conduire le magistrat à mener des investigations dans une dizaine de pays.  Avec cette interrogation : quel le rôle exact a joué en en France, cette femme d’affaires qui vient d’être mise en examen pour escroquerie et blanchiment de fraude fiscale ?

 Agé de 51 ans, natif de Chicago, visage d’intellectuel, Browder qui vit à Londres, est le petit-fils du secrétaire général du Parti communiste américain, candidat à la présidentielle en 1936 et 1940, et d’une avocate très célèbre dans l’ex-Union soviétique (voir sa biographie  Notice rouge-Comment je suis devenu l’ennemi n° 1 de Poutine paru chez Kero). Brillant, mais ayant eu quelques difficultés pour s’inscrire à l’Université en raison de sa filiation, Bill parvient à entrer à la prestigieuse université  de Stanford en Californie. Son diplôme en poche, le jeune homme commence à travailler au Boston Consulting Group, puis au groupe de Robert Maxwell, le magnat britannique de la presse qui mourut noyé en novembre 1991. A partir de 1996, c’est le démarrage d’une grande aventure, à l’origine de ses ennuis : avec le banquier Edmond Safra, il  crée le fonds d’investissement Hermitage dont le siège se trouve à Guernesey. Objectif : investir en Russie. D’emblée, Browder qui s’installe une partie de l’année à Moscou,  investit, via trois filiales, Parfenion, Rilend et Makhaon dans de nombreuses entreprises. C’est ainsi qu’il met des billes dans Gazprom, la grande entreprise gazière de Russie, et dans Surgutneftegaz, spécialisée dans l’exploration pétrolière et gazière, dirigée par des membres du premier cercle de Vladimir Poutine. Dans ces années –là, les choses se passent plutôt bien entre le maitre du Kremlin et le patron d’Hermitage. En effet, Browder, par la détermination dont il fait preuve à s’opposer aux oligarques russes, sert indirectement Poutine. Jusqu’à ce qu’un matin d’octobre 2003, le président russe fasse arrêter le patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Kodhorkovski. Ce dernier a commis une erreur. A l’approche des élections législatives, il s’est lancé dans la politique, arrosant les partis politiques à coup de millions de dollars et ne se gênant pas pour multiplier les déclarations hostiles à Poutine. Oui, erreur fatale. L’oligarque a oublié une règle intangible en vogue chez Poutine : « Ne te mêle pas de politique et tu pourras conserver des gains  mal acquis »  A partir de l’interpellation de Kodhorkovski, les choses ne trainent pas : perquisition chez les partis d’opposition, procès et condamnation en juin 2004 de l’ancien animateur de Ioukos et son adjoint Platon Lebedev à 9 ans d’emprisonnement. Pour fraude fiscale et escroquerie.   Amnistié par Poutine, Kodhorkovski, quittera la colonie pénitentiaire de l’Arctique le 21 décembre 2013. Il vit aujourd’hui en Suisse. Le sort réservé à l’ancien dirigeant de Ioukos n’est pas sans effet. C’est ainsi que les autres oligarques, qui craignent de d’aller faire un séjour du côté de l’Arctique, n’ont qu’une solution : se rapprocher de Poutine. Ce qu’ils font. Entre-temps, Bill Browder, continue à vouloir  être le chevalier blanc du monde des affaires. Une sorte de lanceur d’alerte avant l’heure. Il le fait savoir. Haut et fort.  C’est ainsi que dès 2002,  il s’oppose à la vente de UES, l’entreprise qui détient le monopole sur l’électricité. La raison : le vil prix.  Ce n’est pas tout : la société Hermitage ne se prive pas pour dénoncer les vols fréquents qui sont commis au sein de Gazprom. Tout comme elle ne se gêne pas pour dénoncer des ventes d’actifs effectuées dans conditions opaques.

 Décidément hardi dans sa quête répétée d’éradiquer la corruption sur le territoire russe, le patron d’Hermitage en fait-il trop ? Croit-il qu’il peut faire céder à lui tout seul le nouveau tsar de Russie ?  En tout cas, lorsqu’il engage des actions judiciaires contre Surgutneftegaz, là, c’est trop. Poutine ne supporte pas que ses proches qui dirigent l’entreprise soient mis en cause. Considérant que Browder constitue « une menace  pour la capacité de défense du pays, la sécurité de l’Etat, l’ordre public, la santé de la population», il le somme, le 13 novembre 2005, de quitter le territoire…  Alors qu’il  se trouve depuis quelques minutes à l’aéroport de Chérémétiévo de Moscou, en provenance de Londres. Au bout de quinze heures de garde à vue, Bill doit rebrousser chemin… Les oligarques russes ralliés, bon gré mal gré, Browder persona non grata à Moscou, Poutine a donc gagné. Si le patron d’Hermitage pense en avoir fini avec les tracas, il se trompe. Lourdement. Un an et demi après son départ de Moscou,  le ciel lui tombe à nouveau sur la tête.  Le 4 juin 2007 en effet, une  escouade  de 25 officiers du ministère de l’Intérieur dirigée par le lieutenant-colonel Artem  Kouznetzov  débarque dans les bureaux moscovites d’Hermitage. Serveurs, ordinateurs, archives, cachets, enregistrements fiscaux, tout est embarqué lors de cette visite qui s’apparente à un vol en bonne et due forme. Mais le plus extravagant, Browder le découvre des semaines plus tard : les documents volés ont été purement et simplement recyclés  pour faire apparaitre – dans une légalité factice- le nom des nouveaux dirigeants. Comme si, à un extrait authentique de K bis, on ajoutait le nom d’actionnaires totalement bidon. C’est exactement la manip mise au point par le Ministère russe de l’Intérieur à la suite de l’étrange et violente visite du 4 juin 2007. Jugez plutôt : dans les jours qui suivent la pseudo-perquisition, les trois filiales d’Hermitage sont ré- enregistrées avec des dirigeants  au pedigree peu encourageant: ainsi, un certain  Wyacheslav Khlebnikov, déjà condamné pour cambriolage devient l’actionnaire de Makhaon ; Viktor Markelov, épinglé pour homicide, le représentant de Parfenion ;  et Valeri Kourotchkine, l’ayant droit de Rilend.  Quelques mois plus tard, arrivent de bonnes nouvelles. De très bonnes même. La directrice du bureau des taxes de Moscou, Olga Stepanova,  rembourse en effet  un trop perçu d’impôts aux trois filiales. Montant : 230 millions d’euros… Une somme coquette qui, par le jeu des « manips » ci- dessus, échappe bien sûr au patron d’Hermitage.  Entre janvier et février 2008, une  partie de ce trésor s’évapore vers d’autres comptes bancaires russes. Parfenion, par exemple, depuis son compte à la banque  Intercommerz, transfère 18 millions de dollars à la succursale de la Sberbank située à Podolsk, à 35 km au sud de Moscou, là où a vécu Lénine. Quelques jours plus tard, Parfenion récidive : cette fois, elle expédie 45 millions de dollars sur un autre compte à Intercommerz.  Au même moment, de son compte chez Universal Savings Bank, Rilend envoie 3,6 millions d’euros à une mystérieuse société Univers, titulaire d’un compte à la Mosstroieconombank.   Enfin, le 4 février 2008, Makhaon, depuis un compte également ouvert chez Universal Savings Bank, expédie 11 millions de dollars  à une société Anika, cliente de la banque russe  Ocean Bank. Vingt-quatre heures plus tard, cette même Anika  transfère 2,9 millions de dollars à la société Univers dont le compte, rappelons-le, est ouvert à la Mosstroieconombank. Comment y voir clair dans ses gymnastiques. Comment savoir où sont allés ces 230 millions de dollars ? Pour le savoir, Browder porte alors plainte, via son avocat Me Serguei Magnitski, pour escroquerie et détournement de fonds. D’abord le 5 juin 2008, puis une seconde fois, le 7 octobre de la même année.  Dans le collimateur évidemment,  Artem Kouznetzov, celui-là même qui, aidé par 25 militaires  a effectué l’ahurissante perquisition dans les bureaux d’Hermitage, le 4 juin 2007. L’avocat ne se prive pas de dire que Kouznetzov a bâti de toutes pièces un dossier pénal ne reposant sur aucune base légale. Tout comme il ne se prive pas de marteler que des documents falsifiés ont été utilisés devant les tribunaux de Moscou, Saint-Pétersbourg et Kazan pour obtenir indûment le remboursement d’impôts de 230 millions de dollars.  L’avocat commence à gêner. En effet, dès novembre 2008 il est interpellé et placé en détention pendant 358 jours dans des conditions « inhumaines et dégradantes » constatera un rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe. Pourtant, Me Magnitski  ne baisse pas les bras, continuant  inlassablement de dénoncer cette grande entreprise de corruption dont son client est victime.  Le 14 octobre, il rédige une nouvelle déposition. Le 16 novembre 2009, usé par cette bataille, alors que son hospitalisation devient impérieuse, l’avocat est emmené, menotté, dans une cellule d’isolement avant d’être battu à mort  par les gardiens. Cet assassinat suscite un immense retentissement dans le monde entier. C’est ainsi qu’en novembre 2012 le Congrès américain adopte  le Serguei Magnitski Rule of Law Accountability  signé du président Obama qui  vise à sanctionner les personnes impliquées dans ce meurtre en les privant de visa d’entrée aux Etats-Unis. A peu près au même moment intervient une deuxième mort,  celle d’un informateur de Browder, très au courant de toutes les gymnastiques financières dont il a été victime. Il s’appelait Alexander Perepilichny. Conseiller financier  vivant à Moscou, il connaissait parfaitement le rôle trouble joué par Mme Stepanova. Grâce à lui, des plaintes ont pu être déposées par Bill Browder… Hélas, après un séjour à Paris, le 10 novembre 2012, il a été retrouvé mort sur le trottoir non loin de son domicile londonien. La police britannique ne se pressera guère,  dit-on, pour connaître les causes réelles de sa mort… Il semble bien qu’en réalité, l’ancien conseiller financier ait été assassiné. On retrouva, dans son estomac, du geselmium, une plante  asiatique mortelle souvent utilisée par des tueurs russes et chinois…Meurtre de Magnitski, meurtre quasi- avéré de Perepilichny : deux raisons pour que notre héraut de la lutte anticorruption poursuive et intensifie son combat. Et il parvient à accumuler des preuves qui accréditent la thèse d’une déstabilisation à grande échelle de son fonds Hermitage. Les plaintes, en 2012, on l’a vu, se multiplient, notamment dans les anciens pays baltes. Jusqu’à ce qu’en 2013, les autorités estoniennes découvrent qu’une partie des fonds détournés des trois filiales d’Hermitage a atterri sur un compte dans une banque française. Un compte qui a vu transité 23 millions de dollars. Son ayant droit ? La fameuse patronne de l’entreprise de peinture ! Interrogée fin mai par le juge Van Ruymbeke, elle se montre on ne peut plus évasive sur l’origine de ces 23 millions de dollars. Se contentant de dire que «  son mari faisait des affaires en Russie, qu’il a fait des bêtises » , que ses clients s’appellent «  le Bolchoï, Gazprom, la Banque centrale de Russie ainsi que de d’importants hôtels » et que « pendant très longtemps, la Russie  était un pays où l’argent noir était très important. »  Elle reconnait qu’elle peut compter  à Moscou, sur une correspondante, une dénommée Tatiana. Pour le reste, motus et bouche cousue. Un silence qui ne peut qu’inciter les trois juges parisiens à accélérer leurs investigations. Avec un objectif : qui est à la manœuvre dans cette entourloupe planétaire ?  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !