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Une génération perdue
à cause de la crise ?
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Au boulot

La génération qui entre dans la vie active fait face à des difficultés inédites. Mais c'est aussi l'occasion d'un formidable défi à relever. Passé le sentiment d'indignation, il faudra mobiliser les ressources qui permettront de redresser le pays.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : La crise a-t-elle fabriqué une génération perdue ?

Eric Deschavanne : La formule dramatise sans doute à l’excès. Avoir 20 ans entre 1914 et 1918, c’était assurément appartenir à une génération perdue. La crise actuelle apparaîtra peut-être au regard de l’histoire comme catastrophique pour la nation, introduisant à une période de récession durable, mais il est encore un peu tôt pour le dire.

Cela dit, il est certain que ce n’est pas le moment idéal pour faire son entrée dans le monde du travail, d’autant que la jeunesse en France est affectée par un problème de « surchômage » plus important qu’ailleurs, qui se trouve bien entendu aggravé par la crise. Ce qu’il faut espérer, c’est qu’il n’y ait qu’une ou deux générations « perdues » en ce sens, et non pas, du fait d’un déclin qui serait irrémédiable, toutes les générations à venir. Une mise en perspective historique fait déjà apparaître qu’une « fracture générationnelle » s’est produite dans les années soixante-dix, avec la sortie des trente glorieuses et l’entrée dans l’ère du chômage de masse.

Donc pour vous cette génération perdue ne vient pas de la crise de 2007 ou 2008, elle est née dans les années 1970 ?

C’est de là qu’est née l’inquiétude au sujet des « générations perdues » et des phénomènes de déclassement. Il faut toutefois relativiser : depuis les années 1970, le niveau de vie a continué d’augmenter, plus faiblement, certes, et de manière plus chaotique ; l’espérance de vie n’a cessé de progresser, et la jeunesse a bénéficié d’une démocratisation historiquement inédite de l’accès à l’enseignement supérieur.

Il est probable, cependant, que nous ne retrouverons jamais l’expansion que nous avons connue durant les trente glorieuses. Nous sommes désormais confrontés, comme tous les pays occidentaux, aux défis de la mondialisation qui nous place en situation de concurrence avec les puissances émergentes telles que la Chine, l’Inde ou le Brésil. Ce contexte de compétition économique nous a fait entrer dans une période historique difficile, ou l’exigence d’adaptation est constante.

Que va devenir la génération qui est diplômée aujourd’hui ?

Les générations des jeunes qui vont sortir des études dans les années qui viennent vont connaître plus de difficultés que les générations précédentes - pour lesquelles ce n’était déjà pas facile – à entrer dans le monde du travail. Le problème est que la situation économique au moment du départ dans la vie active conditionne pour une part le niveau de vie sur l’ensemble du cycle de vie. Ces générations seront donc pénalisées.

Cela dit, l’analyse générationnelle a des limites. La fracture intra-générationnelle est beaucoup plus déterminante, et ce ne sont pas les diplômés qui souffriront le plus de la crise. Le fossé qui sépare les jeunes diplômés de ceux qui ne le sont pas ne cesse en effet de se creuser. Le diplôme, dans un contexte où la demande de travail non qualifié est en baisse, protège du chômage et de l’emploi précaire : les trois quarts des diplômés du supérieur sont en CDI trois ans après la fin de leurs études, contre approximativement un tiers des sans-diplômes. En 1980, les jeunes non diplômés connaissaient un taux de chômage supérieur de 7,7 à la moyenne des diplômés ; en 2009, d’après l’INSEE, cet écart s’élevait à 29 points. Le diplôme amortit donc le choc de la récession.

N’oublions pas non plus que la jeunesse est dotée d’un formidable atout : elle est riche en avenir ! La situation historique conditionne le destin d’une génération, mais nous sommes libres de faire face et de nous adapter. Pour les générations qui viennent, il y a un formidable défi politique à relever : redresser le pays, réformer le système de protection sociale et la politique économique pour faire face au problème du désendettement et assumer la compétition avec les émergents. Ces défis, auquel il faut ajouter la question écologique, peuvent nous écraser, mais ils peuvent aussi être surmontés.

Ce que j’espère, c’est que cette génération ne va pas s’engager uniquement sous la forme des mouvements d’indignation, lesquels sont toujours stériles. Si la récession nous frappe durement, je ne doute pas, compte tenu de nos traditions, que nous y aurons droit. Mais passé le sentiment d’impuissance et de révolte, il faudra bien trouver les ressources intellectuelles et morales qui permettront, sur le long terme, de désendetter le pays, de mieux éduquer nos enfants, de développer les connaissances, les technologies et le tissu de PME susceptibles de nous remettre sur le chemin de la croissance.

Un rapport publié par Terra Nova il y a quelques mois préconise d’inverser le modèle social actuel. Ce serait aux personnes âgées de payer pour les jeunes. Qu’en pensez-vous ?

Le thème du conflit des générations prospère dans les analyses, mais pas dans la pratique : l’an dernier, les jeunes ont ainsi manifesté pour le maintien d’un compromis sur les retraites dont ils n’ont pourtant aucune chance de bénéficier un jour ! Cela tient au fait que le seul lien qui apparaisse aujourd’hui indestructible et fiable est celui qui unit les générations au sein de la famille. Ce n’est pas en se plaçant sous le signe de la lutte des générations que l’on aidera la jeunesse, sans parler du fait qu’il serait immoral et absurde (nous sommes tous destinés à vieillir) de ne pas financer les dépenses de santé requises par le vieillissement démographique.

Il est vrai, cependant, que l’investissement dans l’éducation est la clef de la croissance et de l’emploi. Vrai aussi que l’écart de revenu entre les jeunes et le reste de la population s’est creusé ces dernières années, et que le niveau de vie des retraités est aujourd’hui en France supérieur à celui des actifs. Il est également vrai que le retard pris dans la réforme du système des retraites bénéficie aux anciennes générations au détriment des nouvelles. L’idée que les plus aisés des retraités puissent contribuer davantage à la solidarité nationale, à cet égard, ne me choque pas, d’autant que les actifs ont désormais à charge l’éducation des enfants d’un côté, les retraites et la dépendance de l’autre, dans un contexte d’allongement de la jeunesse et de la vieillesse.

Il importe surtout d’ouvrir davantage le jeu social, économique et politique. Le Conseil d’analyse de la société va très bientôt remettre au Premier ministre un rapport sur la politique de la jeunesse dans lequel il préconise des mesures susceptibles de débloquer la situation des jeunes. Il soutient par exemple, sur le plan politique, la proposition de supprimer le cumul des mandats, ou encore, en vue de mettre un terme au système dual CDI/CDD qui pénalise les jeunes (puisque 80% des nouvelles embauches sont réalisées en France en CDD, et que les jeunes sont par définition des outsiders), l’idée d’un contrat unique de travail, dont les droits pour le salarié augmenteraient progressivement avec le temps passé dans l’entreprise.

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