FN : Jean-Marie Le Pen hors jeu… mais qui seront désormais les paratonnerres de la politique française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le trublion de la vie politique Jean-Marie Le Pen va-t-il être remplacé ?
Le trublion de la vie politique Jean-Marie Le Pen va-t-il être remplacé ?
©Reuters

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Alors que Jean-Marie Le Pen semble mis au banc de la vie politique depuis plusieurs mois, celui qui était une habitué des propos factieux risque bel et bien d'être remplacé au sein la politique et plus largement dans la société française. Et les habitués des propos transgressifs, plus ou moins marginalisés, ne manquent pas.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2018, il publie "Confessions d'un enfant du demi-siècle" aux éditions du Cerf et "L'imposture du vivre ensemble: Quelques points de repères" aux éditions de L'Artilleur. 

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Atlantico : Jean-Marie Le Pen semble désormais écarté de la vie politique française. Diabolisé par beaucoup, qui le remplacera dans ce rôle dans la sphère politique et/ou intellectuel ?

Paul-François Paoli : Je vois mal comment Jean-Marie Le Pen peut être remplacé. D'une part c'est un personnage qui a acquis au fil du temps une dimension historique, et d'autre part, personne aujourd'hui n'a assez d'envergure pour défendre des thèmes aussi indéfendables, comme il l'a fait des années durant, sans passer à la trapper médiatique. On le voit avec des gens comme Soral ou Dieudonné qui ont tenté de faire carrière dans la provocation mais qui n'ont pas de légitimité équivalente tandis que Le Pen était un ancien de la guerre d'Algérie. Le Pen a fait jouir les médias des décennies durant, et il faut bien reconnaître que les journalistes, qui aiment le scandale, l'ont adoré. Il a permis à la gauche de diaboliser tous les thèmes qu'il a abordé depuis l'immigration à Vichy en passant par la colonisation et ainsi a-t-il empêché la droite française de s'assumer en tant que telle. Sa disparition du champ politique va laisser un vide qui ne peut qu'inquiéter la gauche.

Jean Petaux : Jean-Marie Le Pen a été « diabolisé » par beaucoup dès son arrivée dans le paysage politique et ce n’est pas cette caractéristique qui l’a écarté de la vie politique. Au contraire, on peut sans doute considérer que c’est ce processus particulier de marginalisation qui lui  a donné un statut spécifique lui garantissant une forme de socle, sur lequel il a fondé sa « petite entreprise ». Si sa fille Marine n’avait pas décidé de choisir la voie « Philippot » elle n’aurait pas « tué le père » comme elle l’a fait et le « Menhir » aurait pu tout à loisir continuer à raconter ses vieilles histoires et à faire son numéro de clown principalement destiné à le protéger de toute victoire électorale à quelque échelon que ce soit… Lui qui a toujours considéré, en homme de grande culture classique qu’il est et fort intelligemment, que l’exercice du pouvoir rapproche à grande vitesse et inévitablement de la Roche Tarpéienne.

Qui le remplacera dans la sphère politique et/ou intellectuelle ? Difficile à dire sans doute parce que Jean-Marie Le Pen, dans son genre, est plutôt unique. Mélenchon ? Autant provocateur certes, doté lui aussi d’une grande culture classique, doué d’une langue riche et adepte des formules assassines qui « font but » régulièrement… Mais la différence est de taille. Mélenchon veut le pouvoir, Le Pen n’en voulait pas. Cet aspect rend le premier assez insupportable parce qu’il se prend au sérieux quand le second est un pur « bateleur » de préau d’école. Un « zigomar »… Un « sabreur de boulevard », un « épateur » en somme. A l’extrême-gauche difficile de trouver un profil équivalent à celui de Le Pen. En France les gauchistes sont appréciés par la droite (logique : ils prennent des voix au PS), c’est leur meilleure garantie pour ne pas être diabolisés. Les Ecologistes ? Ils frisent plus avec le ridicule dans notre pays qu’avec la diabolisation… On a rarement vu des bouffons prendre le costume de Lucifer !.... Reste une figure et une seule qui regroupe une quantité importante de détestation, dans toute la gauche, au centre et dans toute une partie des rangs de la droite : Nicolas Sarkozy. Peut-être est-il appelé à jouer ce rôle de « détesté-en-chef »  dans un avenir proche, même si, en politique, Marine Le Pen est quand même assuré de détenir, au départ de son père, comme en héritage en quelque sorte, la « pole » en la matière.

Restent quelques figures « intellectuelles »… Le mot est d’ailleurs imprécis et ne saurait être utilisé à tort et à travers. Eric Zemmour par exemple n’est pas un intellectuel au sens coutumier du mot, celui dont Michel Winock a fait une remarquable étude dans son « Histoire des intellectuels au XXème Siècle ». Zemmour est un journaliste-essayiste qui se prend pour un penseur.. Mais, hélas pour eux, les adeptes du vélo ne sont pas tous des vainqueurs potentiels du Tour de France… Reste que Zemmour sert au moins à quelque chose : il concentre sur lui les critiques d’une partie de la classe politique. Il se fait insulter et adore cela puisque le chiffre de ses ventes grimpe en proportion. Dans le même genre d’auteurs polémistes qui « font parler » on citera Finkielkraut, Todd, Fourest, Onfray ou encore Renaud Camus. Dira-t-on pour autant qu’ils sont comparables à Le Pen ? Evidemment que non. Ce sont des essayistes, de bords diamétralement opposés, mais avec un talent pour la polémique, pour le « buzz ». Ils s’inscrivent dans une tradition bien française, celle de la « dispute », de « l’affrontement ». Déjà entre les deux guerres Julien Benda, l’auteur de « La Trahison des Clercs » s’affrontait sans répit avec un Bergson ou un Alain…

Dans quelle mesure ces individus sont-ils marginalisés ou au contraire bénéficient-ils d'une certaine audience ?

Paul-François Paoli : Il y a en France deux types de transgresseurs intellectuels : ceux qui se taillent un territoire médiatique et ceux qui sont mis hors champs et marginalisés. Onfray, Houellebecq et Zemmour font partie de la première catégorie et Renaud Camus et Richard Millet de la seconde. La force des trois premiers est qu'ils sont légitimés par un vaste public, ce qui n'est pas le cas des seconds. Et puis il y a aussi l'hypocrisie française : ce que dit Renaud Camus en termes naïfs ne diffère quère de ce que proclame Houellebecque et Zemmour : la France est mise à mal par la dynamique de l'islam radicale et par une immigration qui semble irrépressible.

Jean Petaux : Ils ne sont pas du tout marginalisés en France. Ils bénéficient d’une vraie audience. Encore faut-il s’entendre sur ce mot…. Bien sûr que le grand public ne les connait pas et que leur influence sociale et politique de masse est totalement nulle (je parle surtout pour les « intellectuels »). On les « voit à la télé » et ils peuvent être reconnus dans la rue mais bien peu sont ceux qui connaissent le fond de leur « pensée ». C’est là que le mot « audience » trouve ses limites. Autrement dit on les voit mais on ne les écoute pas forcément. Et si on les écoute on ne les comprend pas nécessairement et intégralement… Les Français ont un goût immodéré pour les joutes verbales, la « dispute » au sens de l’université de la Renaissance. Ils aiment que des rhétoriciens s’affrontent et discutent entre eux… La plupart du temps ces débats n’ont absolument aucune espèce d’intérêt mais ils attirent… Souvenons-nous de l’audimat d’émissions cultes télévisuelles comme « Les Dossiers de l’Ecran », « Droit de réponse », « Ciel mon mardi » ou, plus récemment, « Ce soir ou jamais » et encore « On n’est pas couchés ». Ces émissions ne sont pas comparables entre elles. Certaines étaient ou sont de purs divertissements, d’autres de vraies émissions de débats mais elles avaient ou ont en commun de faire s’affronter et échanger entre elles des personnes qui, a priori, ne sont pas d’accord. Et pour garantir à ces émissions un succès d’audience les producteurs ont tendance à inviter ce qu’ils appellent de « bons clients »…. Des « grandes gueules » au sens de débatteurs qui ont la voix qui porte. Le public est ravi. Il en redemande !

Si les sujets polémiques de Jean-Marie Le Pen tournaient autour de la guerre d'Algérie, la France de Vichy et la Shoah, qu'en est-il des sujets factieux aujourd'hui ?

Paul-François Paoli : Les deux sujets qui font clivage aujourd'hui sont liés à l'islam et à l'immigration. Comme l'a procclamé Valls en inquiétant sa gauche : les élections de 2017 auront pour thématique centrale l'identité. Valls a compris, contre Cambadélis, qu'il ne fallait pas laisser ce thème à la droite qui pourrait en faire ses choux gras. Sauf que le thème de l'islam est diabolique : il est en train de détruire la gauche de l'intérieur. Entre les avis islamophiles d'Emmanuel Todd et d'Edwy Plenel, et les sionnistes inconditionnels qui soutiennent Manuel Valls, c'est la guerre ouvert.

Jean Petaux : Parmi les sujets polémiques et « factieux » que vous prêtez à Le Pen, la guerre d’Algérie n’a jamais été vraiment évoquée par lui, ce sont plutôt ses détracteurs qui, à bon droit, lui ont rappelé la « Villa Susini » et quelques autres « fait d’armes » de l’époque… En revanche vous avez raison sur la Shoah et la France de Vichy. Ces deux items ont toujours été les « chiffons rouges » préférés de Le Pen, parfaitement conscient qu’il lui suffisait de sortir une énormité sur l’un de ses sujets (priorité étant donnée à la « question juive », sa grande obsession ontologique) pour reculer de 5 cases par rapport à la menace de la prise du pouvoir, lui permettant ainsi de faire d’une pierre deux coups : 1) focalisation du débat politique autour de lui ; 2) resserrement des rangs des « fidèles » face aux attaques de tous contre lui seul.

Les sujets factieux d’aujourd’hui sont différents mais ils n’effacent pas les sujets d’hier. L’antisémitisme et le racisme sont encore très condamnés aujourd’hui . Les nouveaux sujets factieux, comme vous dites,  portent à mon sens sur la question de la laïcité, de la pratique de l’Islam dans la société française, des droits offerts aux homosexuels et la question de  l’accueil des immigrés. Si vous voulez créer une vraie polémique avec insultes, menaces de procès et, encore mieux, accusation de « diffamation » contre tel ou tel groupe humain ou individu particulier, faites en sorte d’utiliser un de ses sujets et d’y « aller fort »… Le « must » étant bien sûr la « diffamation », l’audience devant la « 17ème Chambre correctionnelle » avec tout le tralala du ballet des avocats des différentes parties en présence… « Buzz » assuré !

Ceux que l'on peut appeler paratonnerres de la politique française sont-ils une spécificité française ?

Paul-François Paoli : Du fait d'une certaine culture républicaine, la censure intellectuelle est plus forte que dans les autres pays. Il est relativement facile en France de faire scandale. Notre culture républicaine est en effet marquée par une contradiction insoluble qui n'existe pas dans les pays de tradition libérale : la liberté est le premier principe de la trinité républicaine, mais aussitôt proclamée, celle-ci est mise sous le boisseau des deux autres axiomes que sont l'égalité ou la fraternité qui la limitent fortement. Que se passe-t-il si au nom de la liberté je refuse l'égalité ou la fraternité, ainsi que le font par exemple certains libertariens américains ou certains ultra-individualistes ? Les valeurs d'égalité et de fraternité dont se réclame la gauche ont une potentialité totalitaire indéniable. Et c'est pourquoi la France a besoin de paratonnerres : la liberté intellectuelle y est par trop surveillée par toutes sortes de censeurs de moins en moins légitimes.

Jean Petaux : Non bien évidemment. La Pologne a eu ainsi dans les années 2000 une figure toute destinée à être la « tête à claques » de la vie politique polonaise : Andrezj Lepper. Une sorte de Pierre Poujade qui aurait muté avec un Louis de Funes sans talent. Il n’a pas vraiment fait une longue carrière mais après un succès foudroyant il termina sa carrière aussi vite qu’il l’avait entamée. Jorg Haider, le leader autrichien réussit, en son temps, à concentrer une très forte opposition interne et européenne contre lui. Mais l’UE alors n’était que de 15 membres et les « populismes » dangereux (modèle Syriza en Grèce ou Jobbik en Hongrie, voire Victor Orban dans ce même pays) n’étaient pas encore généralisés.  Ces paratonnerres (ou fusibles selon l’endroit où l’on se tient) ont une vraie fonctionnalité, ne nous y trompons pas. Ils attirent sur eux la foudre et sont, à plus ou moins brève échéance, appelés à « griller » comme des fusibles. La seule question qui se pose est la suivante : s’ils ne « grillent » pas  quelles peuvent être les conséquences de leur survie ?  Les dégats collatéraux que ces paratonnerres foudroyés par l’histoire peuvent provoquer sont-ils graves ? En d’autres termes s’ils ne jouent plus leur rôle de paratonnerres que peut-on craindre pour la démocratie ? Voilà la vraie question : si les idiots utiles ne sont plus considérés comme idiots quelle est leur utilité fonctionnelle ?

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