La crise grecque, dernier épisode d’une guerre luthériens contre catholiques ? Comment les divisions séculaires de l’Europe sont en train de reprendre le pas sur ce qui l’unissait depuis 1945 <!-- --> | Atlantico.fr
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Les divisions séculaires de l’Europe sont en train de reprendre le pas sur la politique.
Les divisions séculaires de l’Europe sont en train de reprendre le pas sur la politique.
©Reuters

Guerre des religions

Depuis quelques années, l'Europe traverse une crise. Économique, certes, mais qui trouve ses origines dans des fractures bien plus profondes et plus anciennes, datant d'avant même le début de la construction du projet continental.

Robert Frank

Robert Frank

Robert Frank, professeur d’histoire des relations internationales à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

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Mathieu Flonneau

Mathieu Flonneau

Mathieu Flonneau est historien et universitaire à Paris I Panthéon-Sorbonne (SIRICE, CRHI), spécialiste d’histoire urbaine, des mobilités et de l’automobilisme. Récemment, il a co-dirigé et publié en 2016 Choc de mobilités. Histoire croisée au présent des routes intelligentes et véhicules communicants aux éditions Descartes&Cie, Vive la Route ! Vive la République ! Essai impertinent aux éditions de L’Aube, et L’automobile au temps des Trente Glorieuses. En majesté, l’automobilisme pour tous aux éditions Loubatières.

 

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico. Le ministre de l’économie Emmanuel Macron a décrit l’Europe dans une guerre religieuse avec d’un coté les calvinistes et de l’autre les catholiques. Les vieilles fractures européennes ont-elles tendance à ressurgir à la faveur de la crise grecque ? 

Laurent Chalard : Si les propos du ministre de l’économie paraissent exagérés, il n’en demeure pas moins qu’ils révèlent effectivement la persistance de certaines fractures au sein du continent européen, en l’occurrence celle entre l’Europe germanique et l’Europe latine, qui remonte à l’empire romain, la seconde ayant été complètement romanisée contrairement à la première. Si l’on a pu croire au fur et à mesure de l’émergence du projet européen que cette grande fracture culturelle s’était résorbée, voire avait totalement disparu, les crises que traversent la zone euro depuis 2008 sont venues la remettre à jour, ce qui est assez logique, le repli sur soi étant une conséquence première de toutes les crises. En effet, les performances économiques des pays latins ainsi que de la Grèce (pays non latin mais méditerranéen) ne sont pas à la hauteur de celles du nord de l’Europe, ce qui conforte certains préjugés germaniques sur le peu de sérieux et le manque de rigueur des latins. 

Robert Frank: Je ne crois pas que ce soit des vieilles fractures, effectivement, il y a ces deux cultures différentes: une europe du Nord, qui a des points de vue financiers plus orthodoxes et une europe du sud qui a une tendance a être moins orthodoxe sur le plan financier et sur le plan monétaire. Mais de là à dire que c’est une guerre de religion je n’irais pas jusque là. Je dirais plutôt qu’il y a une différence de culture monétaire, qui évolue ces dernières années et des différences de situations. Le problème est aussi un soucis d’identité et de gouvernance, le lien se fait mal entre les identités et les institutions. 

Qu'en est-il plus particulièrement de cette fracture religieuse à laquelle Emmanuel Macron fait allusion ? 

Laurent Chalard : On ne comprend pas vraiment ce que veut dire Monsieur Emmanuel Macron par l’existence d’une « fracture religieuse », puisque l’Allemagne est autant catholique, en particulier, la florissante Bavière, que protestante, plutôt au nord (dont l’est du pays à l’économie poussive), et que le facteur religieux n’est pas vraiment celui qui entre en cause dans les différences de point de vue entre les partenaires européens. En-dehors des populations de tradition arabo-musulmane vivant dans nos pays, la religion ne joue plus un rôle important dans la politique des pays européens, étant reléguée à la sphère privée. Emmanuel Macron confond donc la fracture culturelle avec celle religieuse. Manifestement, il s’est emmêlé les pinceaux !   

Quelles autres fractures continuent de hanter l'Europe ? Où prennent-elles leurs racines ? 

Laurent Chalard : La principale autre grande fracture du continent est la fracture est-ouest, héritée du communisme, mais dont les racines sont plus anciennes et à nouveau d’ordre culturel, puisque l’est de l’Europe est à dominante slave, avec des religions variables selon les pays. Par exemple, les polonais sont catholiques, les bulgares sont orthodoxes et les lettons de tradition protestante. En effet, si le modèle économique et politique est le même entre l’est et l’ouest depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, il se constate cependant un maintien de l’écart de développement entre l’est et l’ouest de l’Union Européenne, qui se traduit par d’importantes migrations de l’est vers l’ouest. En outre, la Russie tente dans les pays où l’orthodoxie domine de regagner de l’influence, ce qui est aussi vrai en Grèce, pays d’Europe méditerranéenne mais de religion orthodoxe. 

Robert Frank : L’identité propre à chaque pays et le dispositif poussent les états nation à être les plus forts. Nous le voyons bien dans la crise grecque. C’est une crise de démocratie nationale. Les Grecs disent de leur côté « c’est la démocratie, nous refusons l’austérité, c’est légitime, le peuple à parlé ». D’un autre côté, les autres peuvent aussi bien dire « au nom de notre démocratie, ce n’est pas à nous de payer, nous ne sommes pas solidaires… ». Nous avons du mal à faire une démocratie européenne. La solidarité européenne pourrait marcher mais seulement si les dirigeants étaient un peu plus pédagogues. Seulement, il y a un replis sur soit de tous, dû à l’essoufflement du système, qui fait que les européens ne se sent plus concernés pas tout cela. Nous avons des leaders qui se disent européistes alors qu’ils sont enfermés dans leur cadre national. Les institutions sont mal adaptées à cette double mentalité, nous sommes dans une impuissance institutionnelle. Il y a une chose également qui a été raté en 1990 lorsqu’il était question de faire une Europe sociale, un vrai état providence, cela aurait permis  aux européens de se sentir plus concernés. Si l’Europe fonctionne mal aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’arrive pas à être un état fédéral.

Mathieu Flonnneau : Je parlerais d’une perte de sens du projet européen, à cause d’une mondialisation considérable, d’une innovation qui vient d’ailleurs. Nous avons également une perte des influences militaires, nous n’avons plus de raisons d’être. Nous sommes devant une polarisation du monde.

L'Europe s'est-elle illusionnée sur sa capacité à dépasser son passé ? 

Laurent Chalard : L’Europe s’est effectivement grandement illusionnée sur la capacité d’un projet économique à entrainer la construction d’une identité nationale européenne qui serait venue dépasser les identités nationales. C’est une grave erreur de n’avoir pas su créer un projet politique parallèlement à l’approfondissement de la coopération économique sur le modèle des Etats-Unis. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation ubuesque où les pouvoirs politiques sont nationaux, c’est-à-dire français, allemand, italien… alors que le pouvoir économique est à l’échelle de la zone euro. Nos dirigeants portent une grande responsabilité dans cette situation, s’étant toujours refusés à aller jusqu’au bout de la logique européenne. En effet, au moment de la réflexion sur la mise en place de la monnaie unique dans les années 1990, il aurait fallu faire le choix entre la création d’un état supranational, potentiel concurrent des Etats-Unis, ou de rester sur le modèle d’une Europe fragmentée politiquement, et donc de ne pas s’engager dans une monnaie unique, car il ne pouvait pas exister d’entre-deux. En l’absence de choix, les vieilles fractures ressurgissent logiquement. L’Europe aurait pu complètement dépasser son passé si l’approfondissement de la coopération politique et culturelle avait été aussi poussé que pour l’économie.

Mathieu Flonnneau : L’Europe pendant un temps a pensé pouvoir se construire contre elle même. Voire contre sa propre histoire, qui est une histoire de nationalités qui s’exacerbaient, mais qui en même temps, permettait de stimuler les populations et les économies.

Que pèse encore l'esprit sur lequel s'est construite l'Europe (refus de la guerre et croyance en l'Etat providence) face aux difficultés qu'elle a accumulées ? 

Laurent Chalard : Même si les égoïsmes nationaux ont tendance à l’emporter au niveau de la solidarité économique, il n’en demeure pas moins que le projet européen a au moins eu le mérite d’assurer la paix entre ses états membres, ce qui, au vu de l’histoire mouvementée du continent, est un acquis considérable. Aujourd’hui, comme en témoigne la crise grecque, nous réglons nos problèmes autour d’une table et non plus en envahissant notre voisin. C’est donc un élément extrêmement positif.

Robert Frank: L’esprit de paix né après la guerre s’est banalisé. Il a été un moteur au début de la construction de l’identité européenne, mais il a été tellement acquis et banalisé qu’aujourd’hui il n’en est presque plus un. L’Europe n’a plus son souffle qui l’impulsait.

Laurent Chalard : Parallèlement, l’esprit européen se différencie de celui nord-américain dans son modèle d’organisation de la société, qui repose sur l’Etat-providence et non sur un libéralisme économique absolu. Cela sous-entend que les populations (et les territoires) pauvres ou fragilisées sont mieux protégées en Europe que dans le reste du monde, un acquis certain mais fragile cependant, puisque la crise actuelle et la pression exercée par la mondialisation le remet en cause. En effet, il est difficile de défendre un modèle face à des concurrents, en l’occurrence les Etats-Unis et la Chine, qui n’accordent guère d’importance au creusement des inégalités sociales.

Quelles difficultés nouvelles sont par ailleurs venues aggraver le problème ?

Laurent Chalard : Les difficultés nouvelles sont liées à l’évolution du contexte international. Dans le cadre de la mondialisation de l’économie, la concurrence est de plus en plus rude entre les pays, l’Union Européenne ne formant pas un Etat uni mais étant constituée d’une multitude d’Etats, elle n’échappe donc pas à ce jeu qui renforce les égoïsmes nationaux. L’Allemagne étant une puissance exportatrice, elle a tendance à orienter la politique économique de l’Union Européenne dans son intérêt, qui n’est pas forcément celui de la France par exemple. Un autre problème concerne les approvisionnements énergétiques, certains pays étant très dépendants de la Russie, dont l’Allemagne, alors que d’autres le sont beaucoup moins, comme la France, d’où des politiques étrangères pas toujours facile à accorder. Enfin, la crise des migrants est venue accentuer les tensions entre les états membres, les pays récepteurs de migrants accusant les pays de passage, dont l’Italie, d’être incapables de gérer la situation.

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