Pire que le Grexit, le Grimbo : pourquoi l’Europe se dirige vers une fin de crise grecque sans sortie de l’euro… et sans solution au problème de fond<!-- --> | Atlantico.fr
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Que la Grèce dise "non" au référendum n’implique pas forcément une sortie de l’euro.
Que la Grèce dise "non" au référendum n’implique pas forcément une sortie de l’euro.
©Reuters

Quand c'est flou, y'a un loup

Après le Grexit, voici le Grimbo ! Contraction de Grèce et de Limbo, ("flou" en anglais), le Grimbo serait une porte de sortie (provisoire) à la crise de l'euro. Un "non" au référendum prévu samedi en Grèce et un défaut de paiement ne signifierait pas forcément la sortie du pays de l’euro, mais l’Etat devrait s’engager à respecter des conditions drastiques pour que les banques continuent d’être soutenues par la BCE.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Xavier Timbeau

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau est directeur du département "Analyse et prévision" à l'Ofce.

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Atlantico : Le ministre allemand des Finances a déclaré le 30 juin qu’un "non" grec au référendum sur l'acceptation des mesures d'austérité imposées par les créanciers de la Grèce n’entraînerait pas forcément la sortie du pays de la zone euro. Comment est-ce possible ? S’agit-il du fameux "Grimbo" dont il est de plus en plus question dans la sphère financière ?

Nicolas Goetzmann : Le Grimbo est une nouvelle formule utilisée depuis avril dernier, utilisée pour la première fois par Ebrahim Rahbari, économiste de la banque Citigroup, qui avait déjà articulé le néologisme de Grexit en 2012. Grimbo est la contraction des mots Grèce et limbes (Greece-Limbo) et signifie une situation de pourrissement maximum d’une situation qui ne trouve pas de solution, et ce de façon indéfinie. En l’occurrence, le cas imaginé est que la Grèce fasse défaut sur le FMI, que le contrôle des capitaux soit mis en place, et que rien ne se passe. Une absence de sortie de la zone euro qui serait permise par une mise sous perfusion minimale de la Grèce avec, par exemple, un nouveau plan de sauvetage. C’est-à-dire la poursuite de la politique initiale mais dans un contexte toujours plus dégradé. Ou, autre possibilité, le gouvernement grec pourrait commencer à émettre une nouvelle monnaie parallèle, mais sans sortir effectivement de la zone euro. Dans les deux cas, il s’agirait d’une poursuite du feuilleton grec, puisque toutes les options resteraient ouvertes, et que rien ne prendrait réellement de caractère définitif. Le défaut grec va avoir lieu sur le FMI et sur la BCE, et non pas sur des créanciers privés, les conséquences sont donc assez limitées. La BCE ne va pas vendre la dette qu’elle détient pour autant. La situation est donc critique, mais pas encore irréversible. 

Alexandre Delaigue :Si la Grèce répond "non" au référendum cela va générer une forte dose d’incertitudes, mais cela n’implique pas forcément une sortie de l’euro. De surcroit, voter "non" ne signifie pas qu’on ne pourra pas voter "oui" à une autre proposition qui permettrait de rester dans la zone euro. Ce référendum ne ressemble pas à grand-chose car il est organisé dans la précipitation et la question est floue. La vraie question est de savoir comment le résultat sera interprété. Le "oui" serait un désaveu pour le gouvernement actuel et il y aurait de nouvelles élections. Un "non" peut être interprété de plusieurs manières. Mais in fine, c’est la volonté politique des pays de l’Union et de la Grèce qui sera déterminante pour la suite.

Le Grimbo c’est un peu comme "le chat de Schrödinger". La Grèce serait dans la zone euro tout en n’y étant plus. Le pays se rapprocherait des Etats qui "utilisent" l’euro, mais qui ne sont pas membres du système européen de banque centrale. Mais pour cela, il faut avoir suffisamment d’entrées de devises (via les exportations et l’industrie du tourisme) pour compenser les importations. C’est théoriquement possible, mais dans le cas de la Grèce ce sera compliqué. La banque centrale grecque pourrait aussi continuer à créer des euros si la BCE lui en donne l’autorisation, mais rien n’est certain.

Xavier Timbeau : effectivement, il existe une voie étroite qui permet d'envisager un défaut de l'Etat grec sur ses échéances et de rester dans l'euro. D'un côté, le défaut est avéré, laissant les créanciers négocier avec le gouvernement grec la décote sur leurs créances. Le gouvernement grec n'aurait plus accès à de nouveaux financements, ni du côté des marchés, ni du côté des institutions européennes, tant qu'un accord ne serait pas trouvé avec les créanciers. De l'autre, la Grèce resterait dans l'euro. La Banque de Grèce serait toujours membre du SEBC et aurait accès à la liquidité de la la BCE. Seul problème, le collatéral utilisé par la BdG auprès de la BCE ou par les banques grecques auprès soit de la BCE soit de la BdG verrait sa valeur fortement dégradée par le défaut de l'Etat grec. Les obligations ou les bons du trésor de l'Etat grec aurait en effet une valeur fortement décôtée, probablement 0. Or pour accéder à la liquidité, les banques grecques devraient produire un collatéral. Si l'Etat grec recapitalise les banques, elles auront le cash qui limitera leur besoin en liquidité. Si le maintien de la Grèce dans l'euro est crédible, une partie des dépôts évaporés pourrait revenir, ce qui dégagerait de la liquidité pour les banques grecques.

Éventuellement, les banques grecques pourraient être soutenues par les institutions européennes (ce qui n'est pas simple). La condition serait bien sûr qu'elles ne prêtent plus à l'Etat grec et qu'elles réduisent leur encours de titres public à 0. On aurait ainsi une séparation entre les banques (et la banque centrale) et l'Etat grec. L'euro aurait cours en Grèce, on pourrait envisager la fin du contrôle des capitaux, et les banques pourraient financer l'économie. 

Le gouvernement devrait alors impérativement avoir un solde (primaire puisque les intérêts seraient suspendus) positif ou nul, puisqu'il n'aurait accès à aucun financement, ni de marché, ni des institutions européennes, ni des banques grecques. Il faudrait cependant probablement recapitaliser les banques pour compenser les dépôts qui ont fuit et qui ne reviendraient peut être pas. Comme le budget n'est pas (trop) loin de cet équilibre, cela peut être atteint. Ce serait donc une solution.

Un tel scénario dessinerait-il vraiment une sortie de crise ?

Nicolas Goetzmann : Il s’agit bien plus de repousser le problème de la dette grecque à plus tard mais en sauvegardant l’unité de la zone euro. Mais la remise en place d’un nouveau programme pour la Grèce, sur les mêmes bases que les précédents, tout en tenant compte de l’affaiblissement quotidien de l’économie grecque, ressemblerait plus à mettre le pays en situation de coma du pays plutôt qu’à une sortie de crise. Au niveau européen, une telle éventualité serait plus satisfaisante puisqu’Alexis Tsipras s’affaiblirait progressivement, et notamment en cas de victoire du oui au référendum, son remplacement deviendrait alors probable. Le Grimbo prendrait alors la forme d’une guerre d’usure, entre Syriza qui veut éviter une sortie, mais s’en sert comme une menace, et des Européens qui peuvent prendre le temps. Mais puisqu’aucune question ne serait réellement tranchée, aussi bien sur une renégociation de la dette que sur la sortie de la zone euro, le Grimbo fait partie de ces solutions intermédiaires qui ne peuvent en rien permettre une sortie de crise pour le pays et sa population. 

Alexandre Delaigue : Quoiqu’il arrive, la crise grecque ne sera pas terminée. Même s’il était décidé que la Grèce fait défaut et que sa dette n’existe plus, elle aurait quand même besoin de se refinancer sur les marchés. Cela générerait des coûts pour les autres pays. Le défaut est une manière de solder les comptes et d’apurer une partie de la dette, mais même cela ne règlerait pas tous les problèmes.

Xavier Timbaud : Disons qu'un tel scénario clarifierait la situation. Tout d'abord, plus (ou moins) de menace au Grexit et ensuite une négociation sur la restructuration de la dette une fois le défaut constaté. L'Etat grec n'accroîtrait pas son endettement et ferait face à ses obligations tout seul. Une négociation sur le paiement partiel de sa dette lui ouvrirait plus de marges de manœuvre et supposerait de sa part un nouveau jeu d'engagements. Cela permettrait en fait de reprendre la négociation à zéro et garantirait aux partenaires européens que la dette de l'Etat grec ne réaugmente pas.

Quelles conséquences une telle solution aurait-elle pour les Grecs ? A quel prix ce nouveau délai serait-il accordé ?

​Nicolas Goetzmann : Le seul avantage est de se préserver de la crainte de la sortie de la zone euro, et donc de garder toutes les possibilités de sortie de crise en réserve. Mais en dehors de cela, c’est la solution du pire. Un purgatoire. Avec la mise en place d’un nouveau programme européen, la TVA sera augmentée, les retraites seraient à nouveau entamées etc…et ce, dans un contexte actuel ou l’économie grecque est déjà à l’agonie. En effet, l’indécision de ces derniers jours se cumule au ralentissement économique que le pays subit depuis le début de l’année, c’est-à-dire depuis l’arrivée de Syriza et son "mandat populaire" de remise en cause de la stratégie européenne pour la Grèce. Et plus l’économie s’enfonce, plus les efforts à réaliser seront importants. Chaque baisse du PIB éloigne l’objectif à atteindre en termes de surplus primaire.

Il est probable qu’un tel accord ne soit possible qu’en cas d’éviction d’Alexis Tsipras et de Syriza à la tête du gouvernement, c’est-à-dire en cas de vote oui au référendum. Un vote Non donnerait un avantage à Tsipras, pour que les européens transigent, notamment sur la dette, si ces derniers veulent réellement éviter la sortie du pays, et donc l’existence d’un précédent.

Alexandre Delaigue :Si la Grèce se retrouve dans une situation où il y a une pénurie de liquidités, les banques vont avoir du mal à fonctionner. La course aux liquidités deviendra infernale pour le citoyen grec. En pratique il va falloir baisser les salaires pour pouvoir baisser le prix de ce qu’on vend obtenir in fine des euros. La BCE peut aussi décider de continuer à soutenir les banques grecques par le biais du mécanisme européen de stabilité. Une partie du capital des banques grecques serait alors dans le giron de l’Union et c’est un moyen de court-circuiter les banques du Gouvernement. Le Gouvernement ne pourrait plus se financer auprès de ses banques. Cela reste de la théorie, mais aujourd’hui rien n’est impossible.  

Xavier Timbeau : La première conséquence serait qu'il faudrait absolument équilibrer le budget de l'Etat. Cela imposerait un tour de vis budgétaire, d'autant que le début de l'année, contrairement à une analyse trop rapide a été très mauvais. Il manque plus d'un milliard d'euro de recettes et le gouvernement s'est financé sur les arriérés de paiement (plus d'1 milliard à l afin avril). Ceci dit ce tour de vis serait moindre que celui négocié le 26 juin avec la zone euro, puisque l'objectif était un surplus primaire de 1% du PIB, soit de 1.8 milliards d'euros.
L'autre conséquence serait que les banques grecques (et quelques autres institutions grecques probablement aussi) auraient une grosse dépréciation de leur actif. Cela nécessitera soit de les mettre en faillite et de restructurer le secteur bancaire (bad bank nationale d'un coté, banques privées au bilan nettoyé de l'autre). Si le gouvernement grec ne fait pas cette restructuration, la BCE ne pourra pas continuer à fournir de la liquidité et les banques seront paralysées. Le risque d'une solution chypriote (contrôle des capitaux, taxation des dépots au dessus d'un seuil) restera ce qui peut empêcher le retour des dépôts et prolonger la zombification des banques. Sans banques, avec un Etat à la recherche du  moindre euro, il est difficile d'imaginer une reprise forte de l'économie.

Un tel scénario est-il, par ailleurs, souhaitable pour la zone euro ? De quoi se protégerait-elle vraiment ?

​Nicolas Goetzmann : Pour la zone euro, l’essentiel, c’est vraiment d’éviter une sortie de la Grèce. Lorsque Mario Draghi indique en 2012 qu’il fera tout pour sauver l’euro, lorsque l’intégralité des dirigeants européens et des instituions indiquent depuis des années indiquent que la sortie de la Grèce n’est pas une option, un Grexit porterait un grand coup à la crédibilité de tous. L’Europe perdait également sa dimension unitaire et solidaire, ce qui fragilisera, à coup sûr, la viabilité du projet à terme.

Concernant la mise en place d’un nouveau plan d’austérité, l’Europe pourrait ici affirmer son autorité, mais devrait également s’attendre à la non amélioration de la situation pour la population grecque, au niveau économique. Ce qui produira, encore une fois, la nécessité d’un nouveau plan, et la glaciation de l’idée que les européens sont incapables de répondre efficacement à une crise, aussi bien en raison du processus décisionnel que de la politique économique menée.

Alexandre Delaigue : Dans ce cas de figure, on respecte le fait que l’euro est intangible. L’euro n’est pas appelé à disparaître dès lors qu’un des pays est insolvable à l’intérieur de la zone monétaire. C’est une manière de préserver la zone euro. Dans ce cas, l’Europe réussirai le pari de devenir assez fédérale pour prendre le pas sur "les collectivités nationales".

Ce qui serait le plus souhaitable est de trouver un accord. On déplore une situation paradoxale dans laquelle personne n’est d’accord alors que tout le monde sait sur quoi on pourrait être d’accord. Il manque la volonté politique  pour atteindre ce qui est souhaitable. Les postures prennent trop de place aujourd’hui.

Xavier Timbau : L'avantage pour la zone euro est de fermer le robinet ouvert du financement à l'Etat grec. Il permet d'isoler le problème bancaire (devenu considérable, puisque l'assistance de liquidité est aujourd'hui à 89 milliards d'euros, en augmentation de presque 60 milliards d'euros depuis le débit de l'année) et d'y chercher une solution. Il place aussi les créanciers face à un défaut (avec fermeture du financement à la Grèce) et en position de négocier un paiement partiel de leur dette au lieu de conduire une négociation en voulant préserver au moins l'apparence d'une dette non réduite. Cela permet aussi de gagner du temps, puisqu'il n'y aurait plus d'échéance et qu'il ne serait pas nécessaire de négocier le troisième plan d'aide.

Dans l'hypothèse d'un nouveau délai accordé à la Grèce, à quelles conditions pourrait-on espérer ne pas se retrouver dans la même situation qu'il y a six mois ? Le "Grimbo" peut-il s'apparenter à autre chose qu'un tout ça pour ça ?

​Nicolas Goetzmann :Le Grimbo est évidemment la solution la plus décevante, puisqu’effectivement, il ne se passe rien. Il s’agit simplement de continuer ce qui ne marche pas en attendant autre chose. Mais pour qu’une solution de sortie de crise efficace puisse enfin émerger, il est nécessaire de mettre en place une approche globale. D’abord monétaire en incluant la Grèce dans le programme d’assouplissement quantitatif européen. Puis, une aide budgétaire, avec l’injection de fonds européens, notamment ceux qui ont été proposés par Jean Claude Juncker, et enfin, des réformes mises en place en Grèce, par exemple sur la fiscalisation de l’immobilier ou des armateurs, ou encore sur la TVA. Enfin, une renégociation de la dette est indispensable pour trouver un équilibre sur ce que la Grèce PEUT payer. L’ensemble doit être assorti d’une déclaration d’irréversibilité totale de la zone euro, et en excluant totalement la possibilité d’une sortie. De cette façon, en soutenant véritablement et efficacement l’économie grecque d’une main européenne, en échange de réformes utiles, le pays retrouverait un horizon. L’annonce de l’irréversibilité totale apporterait un nouveau degré de confiance nécessaire à la zone euro.

Alexandre Delaigue : Il est possible qu’on arrive à une situation qui dure encore, mais il existe une réelle lassitude de la part des différents gouvernements. La situation est actuellement insupportable. Les Grecs ne vont pas rester six mois avec leurs banques fermées alors que la saison touristique démarre. Cela va finir par exploser d’une manière ou d’une autre. Un accord sera peut-être finalement trouvé avant, mais tout est malheureusement très compliqué. 

Xavier Timbeau : Le risque est que le gouvernement grec n'arrive pas à se dépatouiller de la situation. D'une part, il n'arrive pas à remettre les banques en état de marche, de l'autre, il n'arrive pas à redresser les recettes fiscales. Il serait obligé alors de couper les dépenses ou de continuer à jouer sur les arriérés. Il est sans doute possible de reformaliser une partie de l'économie parallèle et d'accroître ainsi les recettes fiscales sans nécessairement augmenter les taux marginaux (et peut être même en les baissant). Mais si le gouvernement n'y arrive pas, la fuite vers l'informel peut s'accentuer et le gouvernement serait obligé à un tour de vis austéritaire majeur et récessif. La situation pourrait pourrir jusqu'à l'effondrement de l'Etat grec. Pour le reste de la zone euro, ne plus être le bourreau et l'ordonateur de réformes forcement maladroites serait plus confortable. Mais la faillite complète de l'Etat grec ouvrirait une période chaotique dont les conséquences ne resteraient pas cantonnées à l'intérieur des frontières de la Grèce. Le risque est également que le gouvernement grec refuse la règle de séparation des banques et de l'Etat et qu'il fasse financer ses dépenses par les banques. L'eurosystème ne pourrait plus les soutenir et cela finirait en sortie de l'euro dans un conflit majeur. Si le risque de sortie de l'euro subsiste, la zombification (le Grimbo) de l'économie grecque peut durer une éternité, jusqu'à l'implosion.

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