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Paroles de flic : non, "il n’y a pas plus de gangsters en Corse qu’ailleurs"
©Reuters

Bonnes feuilles

Charles Pellegrini est né dans un petit village corse. Il a eu assez tôt la « vocation » policière, chose plus fréquente qu’on ne le croit sur l’île de beauté. Car, si l’on entend souvent parler des gangsters corses, il faut remarquer que les policiers de haut rang d’origine insulaire ne sont pas rares. Se connaissent-ils ? S’apprécient-ils ? Est-ce que leurs racines et leurs contacts leur sont utiles ? Extrait de "Flic et Corse-Grosses affaires et coups tordus", de Charles Pellegrini, publié aux éditions du Toucan (1/2).

 Charles  Pellegrini

Charles Pellegrini

Charles Pellegrini a fait une carrière policière en Corse.

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Flic et Corse ?

Oui, je sens déjà siffler à mes oreilles quelques moqueries d’esprits chagrins mais c’est à bras ouverts que je les accueille. Laissez venir à moi les tristes mines et les contempteurs, j’ai deux mots à leur dire. Et d’abord au sujet des bandits, puisqu’en tant qu’ancien fonctionnaire de police, c’est bien là que l’on m’attend.

Acceptons pour débuter, un préalable qui pourra surprendre : il n’y a pas plus de gangsters en Corse qu’ailleurs. Mais il y a effectivement une histoire corse longue, tourmentée et sanglante. Elle a fait du Corse un individu plutôt méfiant à l’égard de l’étranger et de l’inconnu, qui préférera à toute chose la discrétion, et cherchera souvent à se dissimuler derrière quelques mystères dont il saura exploiter toutes les ficelles, des plus romantiques aux plus usées.

Il faut imaginer la Corse comme un monde clos, montagneux, compartimenté en vallées où, jusqu’à la dernière guerre, les hommes menaient une vie essentiellement pastorale aux déplacements limités.

A spessu conquista mai sottumessa – « souvent conquise, jamais soumise » – ainsi le veut la devise et, comme on a pu le voir, elle est exacte à bien des égards. Disons, pour être tout à fait honnête, que l’île de Beauté, pour envahie qu’elle fut, a eu l’intelligence de s’imprégner des apports de ses divers conquérants. Elle s’est toujours adaptée aux nécessités du moment en acceptant les rares avantages qu’on voulait bien lui abandonner. Ces conquêtes multiples n’ont fait qu’enraciner au plus profond de son peuple, l’amour d’une terre idéalisée par des récits qui se sont transmis de génération en génération. Alors oui, acceptons de dire que les Corses se sont toujours nourris de leurs propres légendes et que l’histoire continue.

Dans cette société isolée, le berger était l’un des personnages centraux de l’économie locale. Solitaire, peu enclin aux diatribes, jaloux de son indépendance et de sa place au sein de la nature vierge, le berger pourrait être à lui seul une sorte d’icône de la « persona corse » comme on aime à la considérer sur le continent.

On prétend souvent que c’est l’occupation génoise qui est responsable du banditisme corse. Même si c’est de l’histoire ancienne et qu’on ne saurait si facilement se défausser sur le voisin aussi longtemps après les faits, ce n’est pas complètement faux.

En effet, pour la seule période allant de 1682 à 1714, on recense sur l’île quelque 28 000 meurtres. Étonnant quand on songe qu’en temps normal, si les génois avaient fait correctement leur métier de colons, ils auraient dû pacifier l’endroit ne serait-ce que pour affermir leur domination sur les populations autochtones – dont tout envahisseur qui se respecte sait qu’elles sont originellement sauvages, belliqueuses et seulement bonnes à manger du foin.

Disons que, dans un premier temps, les choses furent faites correctement. Un gouverneur du nom de Georges Doria fut nommé par Gênes pour administrer l’île et, en 1571, il publia des Statuts civils et criminels, sorte de code pénal censé encadrer la peuplade indocile.

Seulement voilà, quand on édicte la loi, on s’oblige soi-même à s’y plier pour montrer l’exemple. Or le fonctionnaire génois de l’époque est plutôt vénal et, contre espèces sonnantes et trébuchantes, il sait rendre la justice au bénéfice du plus offrant. Dans ce genre de cas, l’occupant étant toujours plus nanti que l’occupé, les Corses se sont vite rendu compte que le plateau de la culpabilité penchait un peu trop fréquemment de leur côté. Déjà brimés dans leur esprit d’indépendance, les insulaires devaient désormais supporter l’offense d’être spoliés de leurs droits les plus élémentaires.

Voilà comment on passe du tribunal au maquis après avoir préféré au principe de justice inégale, celui de vengeance immanente.

Extrait de "Flic et Corse-Grosses affaires et coups tordus", de  Charles Pellegrini, publié aux éditions du Toucan, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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