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Choc en toc : le grand bal des hypocrites autour des révélations sur les écoutes des présidents français par la NSA
©Reuters

Secret de Polichinelle

Les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande auraient été mis sur écoute par la NSA entre 2006 et 2012, selon WikiLeaks. Des révélations sur des pratiques qui n'ont pourtant rien de nouveau, puisque Angela Merkel avait déjà subi le même sort en octobre 2013, comme des milliers de discussions téléphoniques de citoyens français.

Atlantico : La France après l'Allemagne ! Selon des documents de Wikileaks publiés ce mardi  23 juin par Libération et Mediapart, les Etats-Unis ont espionné les trois derniers présidents français en les plaçant sur écoute. Comment croire qu’ils n’étaient pas au courant des pratiques des services de renseignement américains ?

Alain Chouet : Depuis sa création dans les années 1950, la NSA est chargée tout à fait officiellement de l’interception à l’échelle planétaire de toutes les communications hertziennes ou filaires susceptibles de concerner la sécurité ou les intérêts nationaux des États-Unis. Il n’y a donc là rien de nouveau et encore moins de surprenant. Les seules nouveautés sont que : 1/ le développement exponentiel des communications utilisant Internet - donc un support technique - a beaucoup élargi le champ des interceptions ; 2/ le Patriot Act, dans le sillage des attentats du 11 septembre, a fourni une justification à la fois morale et juridique à ces interceptions, même si elles ne concernent que très marginalement les menaces terroristes.

Michel Nesterenko : Bien sûr qu'ils ont toujours été au courant de ce qu'ils pensaient être des tentatives américaines sur des communications officielles. Je pense qu'ils n'ont jamais pu imaginer que le gouvernement américain soit disant démocratique puisse se comporter comme un groupe de vulgaires malfrats avec les moyens en sus. C'est l'ampleur et la systématisation de l'espionnage américain qui a surpris. En plus, nos dirigeants se sont rendus compte des possibilités de chantage tous azimuts du fait de l'enregistrement des conversations familiales privées, ce qui fait que même les enfants et la famille sont devenus des cibles de choix pour les services américains. Tout cela pendant que les services allemands et français aidaient les services américains sur des sujets similaires !

"Les Américains nous espionnent sur le plan commercial et industriel comme nous les espionnons aussi", a déclaré mercredi au Figaro l'ancien directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini. Malgré leurs protestations, la France et l’Allemagne espionnent-elles effectivement leurs plus proches alliés par des procédés similaires ? Dans quelles proportions ?

Alain Chouet : En matière de renseignement, il n’y a ni ami ni allié. Si tous les États du monde entretiennent, souvent à grands frais, des services spéciaux, c’est pour pouvoir s’affranchir en cas de nécessité de leurs engagements et de la légalité internationale. De même qu’aux 17e et 18e siècle les rois de France et d’Angleterre armaient des navires corsaires pour aller piller l’or des galions espagnols. Le renseignement est considéré comme un moyen d’économie puisqu’il permet d’accroître son propre potentiel au moindre coût. Tous les États qui en ont les moyens le pratiquent d’autant plus volontiers que le renseignement technique, même si il est toujours indélicat, est rarement illégal. Si quelqu’un disperse ses secrets sur les ondes ou sur le net sans prendre des mesures de protection, il ne doit pas s’étonner que tout le monde les surprenne.

Cela dit, chacun fait les choses en fonction de ses moyens. En France, le renseignement technique est mis en œuvre par environ 2 000 personnes alors que la NSA compte plus de 50 000 fonctionnaires sans compter les sous-traitants. Les petits services, comme les services français ou allemands, ont donc tendance à concentrer leurs capacités techniques sur les menaces les plus immédiates comme le terrorisme, la criminalité ou l’espionnage.

Michel Nesterenko : Oui, tout le monde espionne tout le monde depuis toujours. Mais cette pratique à toujours été ciblée et chacun savait à quoi s'en tenir et suivait les règles de gentleman. Mais c'est l'ampleur et la systématisation du système américain qui fausse toutes les règles. Il n'y a plus de limites. Les enfants et les familles des décideurs sont eux aussi devenus des cibles pour le Big Brother américain. Le risque sur eux va perdurer pour les 30 ans à venir si rien ne muselle l'ardeur de la NSA. Quand on sait que le gouvernement américain n'hésite pas a faire kidnapper ses cibles n'importe ou sur la planète pour faire appliquer la torture, il y a de quoi s'inquiéter. Tout cela au nom de la démocratie. On croit rêver .

Qui sont les grands acteurs de l’espionnage mondial aujourd’hui ? Quelle part les États européens y prennent-ils, et sont-ils dépassés ? Si oui, comment pourraient-ils rattraper le retard accumulé ?

Alain Chouet : L’espionnage est une affaire de moyens et de volonté politique. Les grands acteurs sont donc ceux qui conjuguent une stratégie volontariste en matière de renseignement et les moyens pour la mettre en œuvre. C'est-à-dire : en premier lieu, les États-Unis, pour assurer et conforter leur domination. Viennent ensuite les pays émergents à fort potentiel, qui ont la volonté de faire des progrès rapides et peu coûteux en matière de recherche et développement, à savoir principalement la Chine et la Russie.

Les choses sont plus contrastées en Europe entre les Britanniques, qui ont une réelle culture du renseignement dans tous les domaines, les Allemands qui ont une politique active de renseignement en matière de sécurité et de politique étrangère, et les Français qui "voudraient bien mais qui n’osent pas" et dont les politiques traitent le renseignement au mieux par la méfiance, au pire par le mépris… Puis s’indignent de constater que "l’ami américain" ne fait pas comme eux….

Michel Nesterenko : Les USA sont dans une classe à part, loin devant tout le monde, en ce qui concerne la collecte et le stockage de l'information. En ce qui concerne l'utilité de ce gigantesque effort, le doute est permis. Les Britanniques coopèrent avec les services américains pour leur avantage.

Tous les autres services, dont les Israéliens avec une stratégie beaucoup plus ciblée comme par le passé, et disposant de moyens normaux, ont une efficacité très supérieure.

Les discours auxquels nos dirigeants se livrent consistent-ils à un exercice de désinformation dont l’unique but serait de rassurer l’opinion publique, ou l'espionnage a-t-il des proportions beaucoup plus importantes ? Si oui, comment l'expliquer ?

Alain Chouet : Les politiques français redécouvrent à peu près tous les dix ans avec une intense stupéfaction à l’occasion d’une affaire plus ou moins scabreuse que l’allié américain n’est pas un bisounours et ils font une grosse colère d’ailleurs très passagère. Cette affaire, comme les précédentes, celle des Blackberry par exemple, sera vite oubliée et nos hauts fonctionnaires comme nos chefs d’entreprises continueront d’utiliser des matériels et logiciels de communication ouvertement raccordés à la NSA, et à confier leurs données confidentielles au "Cloud", qui est en fait un système de serveurs basé à 98% sur le territoire U.S. et tout à fait légalement accessible aux investigations de la NSA. Le problème est chez nous, pas aux États-Unis.

Michel Nesterenko : Nos dirigeants ne voient pas de vraies solutions à proposer à leurs concitoyens devant la menace du Big Brother américain aux moyens illimités et qui contrôle toute la technologie informatique indispensable à l'économie nationale.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Cette article a été publié le 25 octobre 2013 et mis à jour

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