Encyclique Laudato Si : le pape met la barre très haut, peut-être même trop haut<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François s'est saisi des problématiques environnementales.
Le pape François s'est saisi des problématiques environnementales.
©Reuters

Environnement

Dans un document qui devait être publié jeudi 18 juin (et qui a fuité mardi) le Pape analyse les problématiques d'ordre environnemental dans le monde et appelle à une action urgente pour lutter contre le réchauffement climatique.

Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Quelle peut-être la portée d'une telle position, d'un tel appel, pour les catholiques dans le monde ?

Christophe Dickès : L’encyclique Laudato Si’ (Loué sois-tu) est un texte magistériel c’est-à-dire, au sens propre, un enseignement. Traditionnellement l’encyclique est adressée à la hiérarchie catholique et aux catholiques eux-mêmes. Or, comme Jean XXIII en 1963 avec Pacem in Terris (La Paix sur la terre), François tient ici à s’adresser à tous les hommes. On retrouve dans cette adresse la volonté d’ouverture au monde du pape argentin. Mais la réception du texte sera une toute autre affaire.

Quand on le lit, on remarque qu’il s’adresse autant aux populations qu’aux chefs d’Etat mais aussi à des catégories socio-professionnelles comme le monde de la banque, de la finance et de diverses industries. Chacun est en quelque sorte responsabilisé et doit prendre ses responsabilités. C’est la force de cette encyclique mais aussi sa faiblesse car les textes des papes ont été reçus diversement dans l’histoire. Laudato Si’, qui cite plus de soixante fois le nom et l’adjectif "pauvre", ressemble en partie à l’encyclique de Paul VI, Populorum Progressio sur le développement des peuples. Or cette dernière a été publiée en 1967 et n’a pas empêché les graves problèmes de sous-développement du Tiers et du quart Monde… La question écologique peut subir le même sort.

Après, François pense sur le temps long. Il sait très bien que son encyclique est aussi un rendez-vous avec l’avenir. A titre d’exemple, ni Benoît XV, ni Pie XI, ni Pie XII ont été entendu dans leurs appels à la paix entre 1914 et 1939. Jean XXIII, lui, a été entendu en 1962 dans la crise de Cuba … François sait donc qu’il faut laisser du temps au temps.

Christian Gollier : Elle rappelle chacun d’entre nous à nos responsabilités envers les générations futures. Le pape est parfaitement légitime pour le faire. Le problème climatique soulève des questions éthiques très profondes à ce sujet. Que vaut la perpétuation de l’être humain sur terre, et que devrions-nous être prêts à sacrifier pour la garantir ? Suis-je personnellement responsable des émissions de mes aïeuls, alors même que ces derniers ne pouvait avoir conscience du mal qu’ils causaient ? L’Encyclique Laudato si contribue à répondre à ces questions délicates qui doivent être sérieusement posées en préalable si on veut avoir une chance de mettre d’accord les Nations sur un projet ambitieux de réduction des émissions. La plupart des occidentaux refusent encore de débattre de ces sujets, alors qu’ils constituent une exigence des pays du Sud, qui veulent absolument mêler les enjeux climatiques avec ceux des inégalités et du développement. La position papale, certes très généreuse car alignée sur cette position, ne constitue pas un progrès diplomatique face à des pays riche qui la refuse.

Le document précise qu'au-delà des catholiques, son appel est destiné à tous. Sur quel appareil diplomatique le Pape est-il en mesure de s'appuyer pour peser dans les négociations internationales ?

Christophe Dickès : L’Eglise catholique compte aujourd’hui près d’un milliard trois cent millions de fidèles. Toute cette population à travers le monde peut ne pas rester indifférente au message pontifical. Elle constitue en quelque sorte les premiers ambassadeurs du message de François. Parallèlement, surtout dans les pays où l’Eglise possède une place reconnue par l’Etat, les évêques peuvent jouer un rôle plus officiel et public sur ces questions.

Quant au réseau diplomatique du Saint-Siège, il constitue un autre moyen d’action. Le Saint-Siège fait partie ou participe en tant qu’observateur aux travaux de plusieurs organisations supranationales comme la FAO (Food & Agriculture Organization) ou l’UNCSD (Commission des Nations unies pour le développement durable). Enfin, les nonces du Saint-Siège (c’est-à-dire les ambassadeurs) peuvent eux-aussi agir au niveau des Etats sur cette question. Mais la mesure du succès est difficilement quantifiable d’autant que le Saint-Siège reste discret quand il intervient auprès d’eux, surtout quand il s’agit d’obtenir d’un Etat de revoir à la baisse ses prétentions.

La semaine dernière le G7 réuni en Allemagne avait également abordé la problématique du réchauffement climatique. Pourquoi l'encyclique du Pape n’a-t-il pas la même valeur ?

Christian Gollier : Les postures politiques sont évidemment très différentes. Le pape François, lui, ne doit pas gérer d’opinions publiques certes acquises aux enjeux climatiques dans certains pays, mais encore très réticentes à sortir leur portefeuille. C’est particulièrement vrai si ces sacrifices devaient financer des projets en dehors du pays. Le concept de solidarité internationale est encore à construire, comme le montre les écarts béants de richesse dans le monde sans qu’on y prête réellement attention. Quoiqu’il en soit, éveiller les consciences est toujours bon à prendre quand il s’agit de gérer un bien commun comme le climat. Le G7 est quant à lui englué dans ses propres contradictions. Chaque pays veut en faire le moins possible pour sauver la planète, sauf en cas de gros problème de pollution locale comme en Chine. Hélas, je crains que les promesses des pays ne valent que pour ceux qui y croient.

Christophe Dickès : En droit, la papauté est une sorte d’autorité tierce c’est-à-dire indépendante de toute pression. Elle se place en position d’arbitre, de facilitateur ou encore de médiateur. C’est ce qui fait sans aucun doute sa force, tout autant que sa faiblesse. Sa force parce qu’on sait qu’elle n’a pas d’intérêt militaire ou économique. Pour cette raison, elle sera plus facilement écoutée ; sa faiblesse car elle n’a que la parole pour arriver à ses fins… Elle n’a pas, par exemple, des moyens de pression financiers.

C'est la première encyclique du Pape (il s'est personnellement investi dans son élaboration, et la précédente avait été rédigée par Benoit XVI). Au regard de ses positions précédentes, qu'est-ce que cela peut préciser de sa vision ? De sa manière de voir son action et ses responsabilités ?

Christophe Dickès : De mon point de vue, cette encyclique est, avec la question de la miséricorde (le thème de l’année jubilaire 2016), un des deux ou trois piliers du pontificat. Rien que le choix du nom de François révèle sa volonté de placer au centre de ses préoccupations la question écologique qu’il lie aux questions économiques et sociales. On le sait, le cardinal Bergoglio a pris le nom de François car un de ses amis cardinal lui a soufflé à l’oreille quelques minutes après son élection : "N’oublie pas les pauvres."

Mais le nom de François est aussi une référence à saint François d’Assise qui, au XIIIe siècle, aimait la nature. Il fut l’auteur d’un Cantique des Créatures dont est tiré le nom de l’encyclique du pape argentin. Le saint italien y évoque l’eau, la terre, les astres, etc. Il s’agit d’un hymne. Mais le pape va plus loin. Comme le montre le texte Laudato Si’, l’écologie est bien un moyen d’évoquer aussi la préoccupation majeure du premier pape issu d’une mégalopole frappée de plein fouet par la misère et la pauvreté. D’un point de vue plus général, on peut aussi resituer l’encyclique dans la lignée des grands textes pontificaux condamnant les idéologies voulant faire de l’homme des dieux.

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