Hitler, cette "canaille indigne de confiance" aux yeux de Pie XII<!-- --> | Atlantico.fr
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Hitler est « une canaille indigne de confiance », pensait Pacelli...
Hitler est « une canaille indigne de confiance », pensait Pacelli...
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Historiquement incorrect

Le rapport entre le Vatican et le IIIème Reich d'Hitler déchaîne, encore aujourd'hui, d'intenses débats historiques et idéologiques. Pie XII a-t-il réellement fermé les yeux sur le régime nazi ? Non pour Jean Sévillia dans "Historiquement incorrect" (2/2).

Jean Sévillia

Jean Sévillia

Jean Sévillia est écrivain et historien. Il est aussi rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine.

Il a écrit de nombreuses biographies (Zita, impératrice courage, Perrin, 1997) ainsi que des essais à succès, dont Historiquement correct (Perrin, 2003) et plus récemment Historiquement incorrect (Fayard, 2011).

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Le 2 mars 1939, le cardinal Pacelli est donc élu pape sous le nom de Pie XII. Le 3 mars, le consul des États-Unis à Cologne adresse au Département d’État une note confidentielle sur l’attitude passée du nouveau souverain pontife à l’encontre du national-socialisme : le diplomate se déclare surpris par l’ampleur de l’opposition que le secrétaire d’État a toujours manifestée envers le régime hitlérien. (...)

Hitler est « une canaille indigne de confiance », pensait Pacelli quelques mois plus tôt. Pie XII ne pense pas autrement. Mais il est tenu par sa fonction. Le procès rétrospectif qui lui est intenté méconnaît d’une part la détestation intime que le national-socialisme et son chef lui inspiraient. Mais ce procès repose d’autre part sur une vision anachronique de la papauté. On prête à celle-ci une audience universelle et une place dans le concert des nations qui lui est chichement reconnue à l’époque. En 1917, Benoît XV échoue à se faire entendre des belligérants quand il veut jouer un rôle d’arbitre international. En 1919, le Saint-Siège est exclu de la Conférence de la paix. En 1920, il n’est pas membre de la Société des Nations. Dans l’entre-deux-guerres, le Vatican n’est pas loin d’être crédité, sauf par les catholiques, de l’importance qu’on accorderait à une principauté italienne, afortiori hors d’Europe. Lorsque le cardinal Pacelli accède au pontificat, les États-Unis n’ont même pas d’ambassadeur auprès du Saint-Siège. De mai à août 1939, Pie XII tente de réunir une conférence nationale sur la paix, mais c’est en vain. Lorsque les hostilités éclatent, en 1939, le Saint-Siège, puissance neutre, ne peut prendre parti.

La parole du pape, en outre, n’a aucune influence sur la soixantaine de millions d’Allemands qui sont protestants. À l’inverse, pendant la guerre, Pie XII, quel que soit son sentiment personnel sur le gouvernement d’Hitler, reste le pape de la trentaine de millions de catholiques qui vivent dans le Reich (en comptant les territoires annexés). Sa mission, écrit-il à Mgr von Preysing en 1943, est de « conserver au chef commun de l’Église la confiance absolue des catholiques du monde entier, quel que soit le front de combat derrière lequel ils se trouvent ». C’est à la lumière de ces données que doit être comprise la difficulté de sa charge pendant la guerre.

En Pologne occupée, la zone située entre Poznań et Lodz, peuplée de Polonais et d’une minorité allemande, est incorporée au Reich. Dénommée le Warthegau, cette région est le théâtre d’une expérience unique en son genre, confiée à Arthur Greiser, gouverneur qui ne dépend que de Hitler. Chargé de mener une politique de germanisation et de déchristianisation totale, celui-ci fait régner la terreur, martyrisant la population polonaise, emprisonnant le clergé, détruisant les églises. Lors de son message de Noël 1939, Pie XII dénonce ces « actes inconciliables aussi bien avec les prescriptions du droit international qu’avec les principes du droit naturel et même les sentiments les plus élémentaires d’humanité ». Mais quand le souverain pontife s’apprête à réitérer ses doléances, l’épiscopat polonais, craignant des représailles, le prie d’adoucir le ton. Des protestations seront alors adressées par voie diplomatique auprès du Reich, mais pendant toute la guerre, la conduite du pape restera la même: prudence, réserve. « Pie XII, souligne Xavier de Montclos, se tient à une ligne de conduite apprise de Benoît XV : il ne faut pas nommer explicitement les criminels de guerre si l’on ne veut pas être accusé de partialité par un des partis belligérants[1]

Nous disposons aujourd’hui de tous les éléments permettant d’affirmer où vont les préférences de Pie XII. Au début de la « drôle de guerre », le pape accepte de se faire l’intermédiaire auprès de l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Vatican d’un groupe de généraux allemands qui, derrière le général Beck, aspirent à se débarrasser d’Hitler et qui veulent connaître les conditions de paix qui leur seraient offertes par les Alliés. L’affaire n’aboutit pas, mais il n’est pas anodin que le pape s’en soit mêlé. Le 28 octobre 1940, l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, Wladimir d’Ormesson, rappelé en France, rédige un rapport d’ensemble sur sa mission. Concernant l’attitude du Saint-Siège, il écrit : « Elle est très favorable à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, nettement hostile à l’Allemagne, encore plus à l’URSS, affectueuse et désolée envers l’Italie. […] Pas la moindre trace de naziphilie au Vatican : Hitler est vraiment considéré comme l’ennemi de la civilisation chrétienne. »

En 1941, lorsque l’Allemagne attaque l’URSS, le Vatican demeure muet. « Je redoute Hitler encore plus que Staline », confie Pie XII à Léon Bérard, nouvel ambassadeur de France nommé par Vichy. 

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Extraits deHistoriquement incorrect, Fayard (octobre 2011)


[1] Xavier de Montclos, Les Chrétiens face au nazisme et au stalinisme. L’épreuve totalitaire, 1939-1945, Complexe, 1983.

[2] Cité par Philippe Chenaux, L’Église catholique et le communisme en Europe, 1917-1989, Cerf, 2009.

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