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Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz : les raisons de son engagement contre la grande pauvreté
©OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP

Bonnes feuilles

Rappelons que, déportée à Ravensbrück à la suite d’une dénonciation (elle fut torturée par la Gestapo et la bande de Bonny et Lafon), elle s’y lia d’amitié avec Germaine Tillion et fut "épargnée" car Himmler voulait en faire une "monnaie d’échange" à un moment où de Gaulle prenait la tête de la France Libre. A la Libération, cette femme intransigeante (le premier volume des Mémoires du Général de Gaulle lui est dédié) s’engagea dans un nouveau combat, contre la misère. Elle fut ainsi à l’origine de la fameuse loi de 1958 , dite "loi contre la grande pauvreté". Extrait de "Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz", de Michaël de Saint-Chéron, publié chez grasset (2/2).

Michaël  de Saint-Chéron

Michaël de Saint-Chéron

Haut fonctionnaire au Ministère de la Culture,  interlocuteur d’André Malraux, d’Elie Wiesel, d’ Emmanuel Lévinas, il fut aussi l’ami et le confident de Geneviève de Gaulle-Anthonioz avec laquelle il écrivit un livre d’entretiens (publié en 1998 aux éditions Dervy) ici reproduit, actualisé et augmenté d’un bref essai : La traversée du Bien.

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MSC : À quoi cette situation est- elle finalement due ? Est- ce une question qui ne s’adresse qu’à l’État, qu’à la société dans son ensemble, ou bien à chacun d’entre nous individuellement, c’est- àdire à chaque citoyen en même temps qu’aux instances publiques et politiques ?

GGA : Je crois que nous avons de plus en plus tendance, dans nos sociétés à développement élevé, à rejeter les plus faibles et les moins performants. Ce phénomène m’inquiète, même par rapport à l’Europe qui est en train de se faire, l’Europe des quinze, qui j’espère, va encore s’élargir grâce aux pays du centre. Je crains que ce ne soit l’Europe des plus malins, des plus riches, de ceux qui vont gagner, et que les autres restent de plus en plus en arrière. Dans ce grand train qui se met en marche, il y a des wagons qui ne vont plus être accrochés. C’est quelque chose à quoi nous devons tous pro fondément réfléchir, non pas seulement les gens qui vont dans les bidonvilles, mais tous ceux qui ont une responsabilité politique. Tous ceux qui ont une pensée devraient examiner comment nous pourrions éviter ce que l’on appelle la société à deux vitesses, qui n’est pas digne d’une démocratie.

>>>>>>>>>>>>>>>>> A lire également : Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz : emprisonnée et monnayée par Himmler

Dans les pays du tiers- monde, il y a souvent une énorme pauvreté, mais il commence à y avoir un degré en dessous de cela, c’est- à- dire les plus pauvres parmi les pauvres. Nous avons maintenant des équipes d’ATD Quart Monde dans les pays d’Afrique et d’Asie, comme aux Philippines ou en Thaïlande, mais aussi en Amérique du Sud 1. Elles vont là où les gens sont les plus rejetés. Au Burkina Faso, en particulier, beaucoup de femmes sont rejetées. C’est un pays très pauvre, alors lorsqu’un homme veut se débarrasser d’une femme qui ne le satisfait plus et qu’il ne peut plus nourrir, c’est très simple, il l’accuse de sorcellerie et il la chasse. Elle arrive donc dans ces bidonvilles surpeuplés, où se retrouvent de même les enfants en surnombre.

Nous avons dans ces pays des équipes qui s’occupent de ces enfants et de ces femmes rejetés de tout le monde pour tenter de leur redonner une dignité, un statut social et leur apprendre un métier. En fait, ATD Quart Monde a une double action.

Mais c’est aussi à la société qu’il nous faut transmettre l’expérience des plus pauvres et le témoignage de leur valeur.

À la fin des années 1980, je suis allée avec un autre responsable du volontariat accompagner une délégation d’ATD Quart Monde, deux hommes et trois femmes, pour rencontrer l’ancien président de la République François Mitterrand. Ce jour- là, il avait fait le vide dans son bureau et demandé qu’on ne le dérange pas. Puis il a noté des questions. Et, à tour de rôle, ces femmes et ces hommes ont dit ce qu’ils jugeaient important. Le Président en a été si frappé qu’il y a fait allusion dans ses voeux aux Français de 1989.

C’est à cela qu’il faut arriver. Quand on pense que ces gens sont incapables de se faire entendre de cette façon, comment ne pas s’indigner du gâchis qui consiste à les laisser dans des endroits sordides où personne ne tient compte d’eux, et que le plus limité des bureaucrates les fiche à la porte, parce qu’ils ne savent pas demander ce qu’il faut ?

Si on prend conscience qu’en les respectant ils parviendront à se faire entendre, je vous assure que cela en vaut la peine. Nous n’avons pas le droit de maltraiter quiconque car toute l’humanité est précieuse. Il n’y a pas un être humain qui ne soit précieux, cela je l’ai appris à Ravensbrück. Le plus défiguré de tous est infiniment précieux.

C’est pourquoi la Shoah est quelque chose de si monstrueux, parce que avoir détruit des êtres humains simplement parce qu’ils étaient juifs est terrifiant, même si l’on peut détruire un être humain sans l’exterminer.

Extrait de "Dialogues avec Geneviève de Gaulle Anthonioz - suivis de La traversée du bien", de Michaël de Saint-Chéron, publié chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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