Et la Chine déclara la guerre numérique qu’elle préparait soigneusement depuis plus de 20 ans<!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre est déclarée... sur internet
La guerre est déclarée... sur internet
©Reuters

Cyberguerre

La guerre est déclarée... sur Internet. La Chine l'a annoncée à travers un éditorial publié mercredi 20 mai dans le journal de l'Armée populaire de libération. Et de nombreux jalons ont déjà été posés pour préparer ce conflit.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Dans l'éditorial du quotidien de l'Armée populaire de libération, la Chine justifie son entrée en guerre numérique. Les "forces hostiles de l’Occident et une minorité de traîtres idéologiques" sont pointées du doigt comme ses enemis qui utilisent la toile pour attaquer le Parti Communiste chinois. Pourquoi la Chine a-t-elle senti le besoin à ce moment précis d'affirmer haut et fort qu'elle entrait en guerre ? 

Emmanuel Lincot : l’usage de la cyberguerre a été clairement prôné par d’éminents chercheurs chinois au lendemain de la guerre du Golfe dans un ouvrage connu en français sous le titre "La guerre hors limites" (1). Le but est de concurrencer l’hégémon américain par des moyens non conventionnels. Conduire ce type de guerre correspond d’abord à des besoins de nature idéologique. Il s’agit d’inscrire le recours à une guerre asymétrique dans une logique qui est celle de l’intimidation psychologique ou du harcèlement continu.

Bref, tout ce que les spécialistes de polémologie connaissent depuis au moins Mao Zedong et dont l’interprétation la plus magistrale en fut faite par Carl Schmitt dans sa Théorie du partisan. Toutefois, les temps ont changé. Les objectifs aussi. L’informatique permet à un adversaire de déployer des moyens de coercition incomparables. Car la cyberguerre se joue à la fois de l’espace et du temps. Elle répond pour la Chine à des intérêts très réels : contrôler l’information et sécuriser ainsi ses intérêts vitaux. Rien de très nouveau, en somme, et le secteur de la cyber-sécurité fait l’objet de rencontres stratégiques très régulières entre la Chine et les Etats-Unis. Que l’Armée Populaire de Libération soit démangée par le prurit d’un nationalisme exacerbé n’a rien de surprenant non plus. Il est dans la nature profonde d’un régime autoritaire de trouver ainsi des exutoires. Il s’agit peut-être et paradoxalement aussi d’une démonstration de faiblesse à l’heure où l’armée chinoise est en proie à de très importantes purges menées par Xi Jinping. Une chose est certaine : le contrôle de l’économie numérique va dans le sens des craintes manifestées par l’Etat-major américain de se voir imposer par la Chine une stratégie dite du "déni d’accès". A l’encontre de Taïwan en particulier dont les élections présidentielles - qui auront lieu au début de l’année prochaine - commencent à crisper au plus haut point Pékin.

La Chine a déjà fait part à plusieurs reprises de cyberattaques orientées contre elle. Souffre-t-elle d’un retard dans ce domaine ? Quels moyens ont-ils été mis en œuvre pour tenter de rattraper ce retard et rivaliser face à un pays comme les Etats-Unis ?  

Un rideau de fer numérique semble s’être abattu sur la Chine. Baidu et Huawei imposent leurs propres normes contre Google notamment. Les conséquences sur le plan politique ont été immédiates. Ainsi, l’impact de la Révolution des tournesols (Taïwan) ou celle des Parapluies (Hong Kong) a été quasiment nul sur le continent. Un gigantesque dispositif de filtrage de l’information s’est imposé d’un point à l’autre de la Chine. La Chine entend sanctuariser ses intérêts et tout particulièrement l’Etat-Parti qui est hanté par le spectre de l’effondrement du bloc soviétique et la contagion des Printemps Arabes. Ce raidissement de la Chine dans le domaine du numérique peut avoir des conséquences néfastes d’un point de vue de l’économie mondiale. Je rappellerai que les enjeux économiques du cyberespace sont 2 milliards d’internautes, 5 milliards de mobiles et 5000 milliards de dollars de propriété intellectuelle. Dans ses applications militaires, d’après Roger Faligot, les cyberarmes occuperaient 40000 spécialistes au sein de l’armée chinoise. Cela signifie non seulement la maîtrise d’une technologie mais aussi des capacités de renseignement très importantes.

L’arrivée de Xi Jinping à la présidence de la République populaire de Chine il y a deux ans a-t-elle eu un impact sur la politique numérique du pays ?

En octobre 2014, le programme chinois Axiom qui avait pendant près de six ans ciblé 43000 ordinateurs a été révélé par le cabinet de cyber sécurité Novetta puis corroboré par les déclarations du FBI. Ce programme a permis à la Chine de collecter des informations sensibles en vue de la réalisation du plan quinquennal dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et de la défense. Ce programme s’est donc poursuivi bien après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Ce dernier renforcera très certainement ce genre d’initiatives dans un domaine où le numérique présente également un enjeu à la fois social et économique : la culture. La conquête des marchés de l’information (universités, médias, industries du film et du disque…) est désormais une priorité et s’inscrit dans la politique de séduction que mène la Chine à travers le monde. Plus insidieuse que la menace terroriste, cette échéance très intrusive à court terme nécessitera, côté européen, de très réelles et rapides prises de décision en matière d’intelligence économique. Nous devons absolument protéger nos savoir-faire universitaires, nos industries culturelles, ce que nous ne faisons pas suffisamment.

La Chine vient d’annoncer en parallèle un vaste plan de plus de 64 millions d’euros en 2015 pour améliorer et développer le réseau avec notamment l’objectif que la 4G couvre l’intégralité du pays dès la fin 2017. Le régime cherche-t-il à utiliser la toile pour renforcer son contrôle sur la population ? En quoi cette politique peut-elle participer à "l’effort de guerre" numérique de la Chine ?

Techniquement, elle y parviendra. Rares sont les provinces de Chine à ne pas être connectées aujourd’hui. On ne peut pas en dire autant de toutes les provinces françaises !... L’enjeu est politique et économique là encore. Assurer la cohésion nationale et éviter que ne se créent de trop grandes inégalités ou frustrations régionales. Le développement de l’intérieur du pays est à ce prix. Mener la "guerre" participe aussi d’une logique et d’une utilisation du vocabulaire marxiste-léniniste à laquelle la rhétorique du pouvoir n’a pas non plus renoncé, avec tous les excès que suppose en acte une telle rhétorique.

(1) Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limites. Préface de Michel Jan, Paris, Rivages, 2003

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