Effondrement des souhaits d’alliance UMP-FN : le sondage qui souligne que la guerre des droites est vraiment déclarée<!-- --> | Atlantico.fr
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Seuls 30% des électeurs de l'UMP souhaitent établir des accords électoraux avec le FN.
Seuls 30% des électeurs de l'UMP souhaitent établir des accords électoraux avec le FN.
©Reuters

Sondage exclusif

Un sondage Ifop pour Atlantico révèle que seuls 30% des électeurs de l'UMP souhaitent encore établir des accords électoraux avec le FN. Soit une baisse de 20 points par rapport à l'an dernier. L'illustration que, désormais, les deux partis sont bien engagés dans une lutte pour la première place à droite.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Ce sondage est d'abord remarquable car il met en lumière une très forte évolution, alors que les enquêtes précédentes observaient une grande stabilité sur cette question. Il s'est donc passé quelque chose récemment qui a conduit à ce basculement, qui a fait reflué la volonté d'accord local entre l'UMP et le FN, laquelle était très forte puisqu'elle concernait un électeur sur deux chez les sympathisants UMP et  les ¾ chez les frontistes.

Dans les deux familles, on observe une baisse de 20 à 25 points depuis les dernières municipales de 2014, et il faut donc comprendre ce qu'il s'est passé, car cela n'est pas uniquement du au psychodrame de la famille Le Pen. Je pense qu'il y a toute une séquence qui a montré la monté en puissance du FN (sa victoire aux européennes, ses bons résultats aux départementales). Pour l'électorat de droite, le FN n'est plus perçu comme une force d'appoint pour défaire la gauche, mais plus comme un rival potentiel qui a une volonté de manger ou de casser la droite. Ce changement de perception vient de la modification des résultats électoraux, un FN à 18% n'a rien à voir avec un FN à 25%, voire d'avantage, et aussi favorisée par le discours tenu par les responsables de droite. Ce discours a évolué depuis les européennes, où le piège du FN obligeait les responsables à se positionner par rapport à lui. Depuis que Sarkozy a repris les rênes de l'UMP, il a un discours beaucoup plus offensif sur le FN. Cela ne se cantonne plus uniquement sur le plan économique, il le dénonce comme étant un ennemi de la droite, dont le but serait de casser l'électorat de droite et que dans ce contexte, aucun accord n'est possible, ni sur des valeurs, ni sur des accords techniques. Le changement de nom de l'UMP vers "Les Républicains" est, en ce sens, très utile dans ce contexte. Sarkozy essaie de renouer avec la stratégie de 2007 : aller loin dans le discours sur des thèmes proches du FN, il va sur ses terres tout en combattant Marine le Pen et l'appareil frontiste. C'est ce qu'il avait fait en 2006-2007, il s'écartait du FN tout en appuyant très fort le discours sécuritaire, ou sur l'immigration.

Dans la dernière ligne droite des départementales, il parlait des menus hallal, mais en même temps, il répètait à tous les meetings que chaque voix au Front national faisait un socialiste élu. Il disait que, quelque part, le FN était l'allié du PS, et que pour lutter contre le PS, il fallait voter pour l'UMP. Le nom de "Républicains" permet de se distinguer des autres partis, en affirmant qu'il ne faut pas se taire sur les sujets de société tout en restant lié à des valeurs républicaines. Son propos est résumé par cette phrase choc livrée au cours de son interview au Figaro "la République a trop cédé", entendre cédé au communautarisme et à l'islam. Sarkozy prône dès lors un républicanisme de combat, ce qui lui permet d'aller loin dans la confrontation avec le FN.

Les sympathisants de l'UMP ont bien compris que l'alliance avec le FN, seconde force politique de droite qui leur permettait de faire le contre-poids à l'alliance PS-PC n'allait plus de soi. L'idée de s'allier est dangereuse dès lors que la question du leadership est posée, que le FN a conquis plusieurs villes et s'est imposé aux européennes. Un certain nombre de leaders de droite, et notamment Sarkozy, ont parlé de cette lutte à mort avec le FN. Alors, bien sûr, les électeurs frontistes, désignés comme l'ennemi, n'ont spontanément pas forcément envie de s'allier avec la droite. Une autre partie aussi se voit monter en puissance et ne souhaite plus alors être en position de dominé.

Le sondage montre aussi que, si les électeurs frontistes s'opposent à des accords électoraux locaux, ils ne le font pas dans le cas d'accords nationaux. La question "souhaitez-vous que l'UMP et le Front national passent un accord national ?" qui se traduirait donc par la participation du Front national au gouvernement en cas de victoire de la droite à la présidentielle, pose la question de la conscience de la force ou de la faiblesse. Alors qu'au niveau local, les frontistes se savent en position de force et n'ont donc pas d'intérêt à s'allier à l'UMP, ils sont en revanche conscients de l'importance d'un accord avec l'UMP pour pouvoir participer à un gouvernement Sarkozy.

Le score de 30% des électeurs de l'UMP prêts à s'allier avec le FN est à rapprocher des chiffres d'avant 2010 et donc précédant l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du mouvement. Lorsque cette dernière a imposé une dynamique revenant à des valeurs plus républicaines, on a vu un mouvement de sympathie vers  le Front national. Le brusque recul que l'on constate montre qu'il y a une peur qui est née devant la montée en puissance du mouvement, qui en plus affiche sa volonté offensive envers l'UMP. C'est d'autant plus surprenant que Jean-Marie Le Pen, le repoussoir étant parti, on aurait pu s'attendre à un mouvement vers le FN. Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir à ce qu'il s'est passé aux élections européennes et aux cantonales et à la déclaration de guerre de Sarkozy au FN. Cependant, il ne faut pas oublier que 30% représente une large part de l'électorat avec laquelle il va aussi falloir se mettre d'accord.

Roland Hureaux : L'enseignement  principal de ce sondage est que les électeurs de l'UMP veulent moins que dans le passé, en tous les cas le passé proche, une alliance avec le Front national et, de même,  le électeurs du Front national veulent moins une alliance  avec l'UMP. Les deux électorats  semblent donc s'éloigner.

Mais l'interprétation de ce fait  est difficile: l'exclusion de Jean-Marie Le Pen, c'est  aussi un buzz rappelant les origines équivoques du Front national. Est-ce la normalisation actuelle ou au contraire le rappel  bruyant de l'anormalité passée qui a influencé les sondés ?  Je ne sais .

D'autre part , s'agissant de positions des électeurs de l'UMP, on ne fait que revenir aux chiffres de 2010.

Il reste que la tendance lourde est que les deux électorats s'éloignent l'un de l'autre, comme si on assistait à une sorte de dérive des continents. Il y a à cela des raisons sociologiques : l' électorat  FN est de plus en plus populaire et un certain nombre de "bobos" déçus du PS rejoignent l'UMP, renforçant son côté bourgeois.

Ces considérations ont cependant leurs limites : le sondage fait apparaître peu de discordances entre les catégories socioprofessionnelle. Le facteur régional est plus clivant : les électeurs UMP du Sud-Ouest sont davantage en faveur de l'union, parce qu'ils sont minoritaires sans doute et globalement plus à droite que la moyenne.

Dominique Jamet : A la lecture du sondage on constate que, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, l’éviction de Jean-Marie Le Pen n’a pas du tout rapproché les électeurs de l’UMP et ceux du Front national. Au contraire, puisque ce sondage traduit une très forte baisse des possibilités de fusion UMP-FN des deux côtés. Il faudrait commencer par dire que même si c’est le chiffre le plus bas depuis longtemps, il reste non-négligeable, puisque 42% des électeurs du FN souhaiteraient une alliance pour les élections locales. Dans l’hypothèse gouvernementale, il y a quand même 61% des électeurs du Front national qui sont partisans d’un rapprochement, ainsi qu’un tiers des électeurs UMP.

J’interprète cela de deux façons. Pour ce qui est des élections locales, l’UMP n’a pas eu besoin d’un rapprochement avec le FN pour emporter un nombre considérable de départements, pour avoir un nombre considérable d’élus. C’est important. Au-delà de cela, en ce qui concerne la possibilité d’un accord à un niveau plus élevé, gouvernemental, il me semble que nous sommes déjà entrés dans une période de pré-campagne présidentielle, c’est-à-dire que, comme il y aura très probablement un candidat de l’UMP et un candidat du Front, vraisemblablement Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, ce sont des adversaires. Il n’y aura pas, en tout cas pas avant le second tour, de possibilité de fusion entre les candidats ou de désistement de l’un pour l’autre. Le caractère dominant de l’élection présidentielle dans notre système politique me paraît expliquer en grande partie cet éloignement des sympathisants des deux partis.Si on va au-delà, non seulement ces deux partis vont chacun présenter un candidat qui sera l’adversaire de l’autre à l’élection présidentielle, mais le but très clair de ces deux candidats est de siphonner les voix de l’autre parti. Nicolas Sarkozy semble atteint d’un phénomène de droitisation comme cela avait été le cas lors de l’élection présidentielle de 2012, il vise manifestement les électeurs du FN. Quant au FN, je pense que ses électeurs sont dans un état d’esprit optimiste, car, contrairement à ce qu’il s’est passé lors des départementales, ils espèrent arriver devant l’UMP. Le problème serait ainsi résolu, il n’y aurait pas besoin de rapprochement au sommet entre l’UMP et le Front national puisque la candidate du FN serait la seule candidate de la droite.

Je vois une dernière explication : l’enjeu est de savoir s’il doit y avoir union de toutes les droites, comme le pensait à un certain moment une majorité d’électeurs du Front dans toutes les circonstances, ou bien ces droites sont irréductibles. J’ai l’impression que la dénomination "républicaine" que va bientôt avoir l’UMP joue un peu le rôle d’une prise de conscience sur le fait que les électeurs de l’UMP sont en train de se rétracter concernant une alliance avec le Front. Cela explique en partie la désaffection des électeurs du FN pour un tel rapprochement, allant dans le sens de ce qu’ils appellent "l’UMPS". D’un côté les électeurs de l’UMP semblent se dire que le FN n’est pas fréquentable, et de l’autre ceux du Front national semblent penser que finalement l’UMP sera amenée à se rapprocher insensiblement des autres partis républicains et que ce n’est donc plus un partenaire envisageable.

Les sympathisants de droite sont devenus particulièrement opposés à l'idée d'accords électoraux suite à l'exclusion de Jean-Marie Le Pen : est-ce que cela révèle un rejet de Marine Le Pen, ou la peur de se faire absorber par un parti qui serait débarrassé de sa frange extrême et dont le développement menacerait l'existence de l'UMP?

Roland Hureaux : Outre le facteur sociologique que j'évoquais, j'y vois l'effet de l'attitude des états-majors : le FN ne cesse de dénoncer l'UMPS, tandis que  l'UMP, spécialement Sarkozy et Juppé, continuent plus que jamais à diaboliser le FN pour éviter la fuite de leurs électeurs.  Rien ne dit que la récente affaire Le Pen père ait eu un rôle décisif , en tous les cas, comme je vous le disais, pas forcément celui que l'on croit.

D'autre part, les positions actuelles de Marine Le Pen inspirées par Florian Philippot  globalement antilibérales, éloignent de ce parti les classes supérieures de la société, notamment la bourgeoisie parisienne.

D'un point de vue politique, les membres des deux partis sont-ils en ligne avec leur électorat et peuvent-ils, d'un point de vue stratégique, rompre leurs alliances électorales, lorsque celles-ci existaient ?

Roland Hureaux : Je n'ai pas connaissance de telles alliances. Je ne vois donc pas ce qu'il y aurait à rompre. Mais si en décembre, plusieurs régions restent à gauche à cause du  refus de ces alliances, refus certes légitime mais qui comporte des risques, l'attitude des électeurs, spécialement ceux de l'UMP, pourrait  se modifier.

Quant à la relation entre les dirigeants et l'électorat, du côté du FN, je ne vois pas de  gros problème ;  le FN tend la main vers l'UMP qui ne veut pas la saisir : rien de nouveau. En revanche 30 % (hier 50 %) des électeurs de l'UMP souhaitent toujours une alliance avec le FN, alors que pratiquement aucun dirigeant ne la propose : il y a là clairement un décalage même s'il semble moindre qu'avant

Le changement de nom de l'UMP pourrait-il correspondre aussi à un changement d'image du parti, souhaitant se recentrer sur les valeurs de la République, à l'heure où on l'accuse de copiner avec le parti d'extrême-droite ?

Roland Hureaux : A force de parler des valeurs de la République, à gauche, au centre, à droite, je ne sais pas très bien ce que peut valoir encore ce mot  sur la marché.

Le grief fait à l'UMP de frayer avec l'extrême-droite est moins fondé aujourd'hui qu'il l'a été dans le passé - par exemple quand Pasqua parlait en 1988 des "valeurs commues ". Il me semble devenu  peu crédible ; il  exprime l'épuisement des idées au PS : il ne leur reste que cela à dire. Dans ce parti, beaucoup pensent que tout homme de droite est  un fasciste en puissance, mais ce discours ne tient plus. Ce n'est en tous les cas pas en se défendant de cette accusation que l'UMP va reprendre des électeurs au FN.

Est-ce que ce sondage n'entérine pas le succès de la stratégie de Sarkozy visant à s'opposer très fortement à l'appareil frontiste afin de colmater l'hémorragie des électeurs de droite vers l'extrême droite?

Roland Hureaux : Que Nicolas  Sarkozy  - et avec lui touts les dirigeants de l'UMP, son principal rival Juppé en tête -  aient renforcé chez les gens de l'UMP le sentiment de leur différence vis-à-vis du FN et donc consolidé le bloc central de leur électorat, c'est sans doute vrai. Mais ont-ils pour autant enrayé  une hémorragie lente de cet électorat ? Les vitupérations anti-FN sont à double effet : elles retiennent au bercail les uns mais elles exaspèrent certains autres, portés dès lors à changer de camp. Malgré ce qu' on a dit, les résultats des dernières départementales n'étaient pas si mauvais pour le FN compte tenu de son inadaptation à un scrutin de terrain comme celui-là.

Dominique Jamet : Très certainement. A l’heure actuelle, l’éventualité de voir Nicolas Sarkozy, s’il est présent au second tour, adversaire de Marine Le Pen et l’emportant sur celle-ci, est très sérieuse. Les actions de Nicolas Sarkozy sont en train de remonter. De façon contradictoire mais très logique, Sarkozy apparaît comme une alternative plausible et souhaitable pour beaucoup de gens face au FN, mais pourtant il n’a jamais été aussi proche du FN. Nicolas Sarkozy est dans une situation très favorable car s’il est confronté au FN au second tour, il pourra gauchiser sa campagne, afin de bénéficier des voix de la gauche. Si au contraire, il est opposé à un candidat socialiste, comme Hollande, il pourrait parfaitement droitiser sa campagne et bénéficier d’un report de voix très fort de la part du FN. Il est dans une position très enviable à ce niveau-là.

Est-ce qu'on assiste à une méfiance spontanée et temporaire envers le FN générée par l'agitation médiatique autour de la scission du parti ? Ou est-ce une rupture durable, retenue jusqu'à présent par la seule présence de Jean-Marie Le Pen qui empêchait le FN de se positionner en parti aux ambitions électorales réelles, et non plus simplement en tant que parti provocateur?

Roland Hureaux : Le fait que moins d'électeurs de ce parti veuillent un accord avec l'UMP tient sans doute à l'orientation anti-FN actuelle de l'UMP  : comment vouloir s'allier encore à des gens qui vous crachent dessus tous les jours ? Il tient aussi au fait que les nouveaux  électeurs du FN viennent souvent de la gauche où on n 'a jamais aimé l'UMP. Il se peut enfin, comme vous le dites, que la perspective que le FN puisse gagner des élections donne  à  certains de ses membres le sentiment qu'une stratégie d'alliance  n'est plus nécessaire, quitte à attendre un peu plus longtemps pour arriver au pouvoir.

Par rapport à tout cela, l'affaire Le Pen père n'a pas été décisive. L'évolution du FN vers la respectabilité ne date pas de cet événement. D'autre part, cette exclusion n'a pas plu à tout le monde ; certains au FN et aussi en dehors trouvent que c'est une mauvaise manière venant d'une fille à l'égard de son père, d'autres ne croient pas que cela suffise pour purger le parti de toute influence sulfureuse et que, quoi qu' elle fasse, Marine restera toujours  la fille de Jean-Marie.

Peut-on dire qu'il y a une volonté de la part de l'UMP de se repositionner au centre?

Jérôme Fourquet : Les électeurs de la droite sont toujours à droite, mais on observe la volonté de Nicolas Sarkozy d'avoir les centristes avec lui afin de reproduire le schéma des élections de 2006. D'où les accords passés avec une partie des centristes pour les départementales. Mais dans le même temps, en utilisant les thèmes de prédilections du FN, il est allé chasser dans son électorat. Cette recherche du grand écart a eu un certain succès au cours des départementales. Dans ce schéma-là, où les accords avec les centristes priment mais dans lequel on souhaite maintenir une rhétorique forte sur les questions liées à l'immigration notamment, l'image républicaine n'est pas inutile.

L'UMP n'a pas le choix de l'offense pour contrecarrer la dynamique du Front. Elle risque de se faire devancer, et ce pourrait être très dangereux pour des présidentielles, où une position de troisième serait désastreuse. Il faut d'ailleurs répondre à Marine Le Pen qui affiche sa volonté de cannibalisation et de mise à mort de l'UMP.

L'exclusion de Jean-Marie Le Pen pèse peu dans cette mise à distance du Front National. C'est la décision prise au moment des départementales qui permettent de comprendre cet éloignement : le rapprochement de l'UDI et de l'UMP ont permis de limiter les victoires du Front National, et on peut tout à fait imaginer qu'il n'y aura pas de candidat UDI aux présidentielles. Cette stratégie est gagnante d'une part, mais c'est aussi la seule qui soit existante pour s'opposer efficacement au FN et ne pas se faire dévorer, par un parti qui est passé de 10% de l'électorat à 25%.

Cette rupture acte la prise de conscience du changement du rapport de force et devrait donc s'inscrire dans la durée.

Le rejet des accords électoraux avec le FN pourrait-il venir aussi dans une stratégie d'opposition au PS, qui ne peut pas passer par l'extension à droite de l'UMP ?

Roland Hureaux : Même s'il n'y a pas d'accord entre les appareils pour se désister ou monter des équipes de coalition  - et il n'y en aura pas -, il faut à l'UMP pour battre la gauche un apport de voix du FN au second tour. C'est a fortiori vrai du FN vis-à-vis des électeurs de l'UMP pour le cas où il serait en position de l'emporter quelque part.

C'est pourquoi je considère que les résultats de  ce sondage montrant l'éloignement de la culture des deux forces de la droite sont plutôt une bonne nouvelle pour le parti socialiste.

On a aussi beaucoup souligné la stratégie de Nicolas Sarkozy, notamment avec sa sortie sur le "FNPS", qui affirmait que voter pour un candidat frontiste, c’était faire élire un socialiste. Cela a-t-il eu un impact sur les chiffres dont il est question ici ?

Dominique Jamet : Oui, j’en ai la très nette impression. On est sorti, et cela se poursuivra sûrement, de la période où il y avait une porosité croissante entre les deux électorats, et éventuellement les candidats ou les dirigeants des deux partis.On entre dans une époque où le mot d’ordre, du moins du côté de l’UMP, est à l’étanchéité. Dans la mesure où les élections départementales ont prouvé que l’UMP pouvait, grâce à notre système majoritaire à deux tours, sortir d’un duel avec le PS sans avoir besoin du FN, cette démonstration ne peut qu’aller dans le sens du maintien de l’étanchéité des cloisons entre les deux partis.

Alors que le FN redessine ses contours idéologiques, quels sont les points de convergence et de divergence des deux partis ?

Roland Hureaux : Aucun des deux partis n 'ayant encore publié de vrai programme pour 2017, il est difficile de répondre. Comme le FN n'a plus l'intention de rejeter les immigrés à la mer, les divergences portent moins qu'on le croit sur l'immigration, la sécurité, l'école et même les questions sociétales. La différence d'appréciation sur l'euro  que l'UMP veut garder et le FN abandonner est aujourd'hui la plus pertinente. Même si certains élus de l'UMP comme Jacques Myard, et beaucoup d'électeurs de l'UMP sont aussi contre l'euro, la divergence est aujourd'hui insurmontable. En outre  le fossé s'est aussi creusé sur une question qui n'est pas forcément liée à celle de l'euro quoi qu'on pense : celle du libéralisme économique. Le FN évolue vers une sorte de néo-chevènementisme ne remettant pas en question l'âge de la retraite ou le  poids de l' Etat  alors que l'UMP vire de plus en plus ultralibérale. Cela les éloigne. A mon sens, ils ont tous les deux tort : le FN de tourner le dos au libéralisme et l'UMP de s'y abandonner sans frein

En politique étrangère, les divergences sont également  grandes : globalement le FN est pro-russe, alors que les dirigeants de l' UMP sont, en majorité,  pro-américains, quoique moins que ceux du PS. Cette différence n'est pas négligeable.

D'autre part la recherche de têtes nouvelles conduit l'UMP à mettre en avant des personnalités médiatiques dont les positions sont très éloignées de celles des électeurs de base : ainsi le politologue Dominique Reynié choisi comme tête de liste aux régionales en Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon est un partisan non seulement de la loi Taubira mais de la PMA et de la GPA  pour les couples homosexuels. C'est un peu l'effet du pouvoir  des médias qui seuls peuvent aujourd'hui donner de la notoriété mais qui exigent qu'on leur donne des gages sur les sujets de société. En suivant cette  voie,  l'UMP, pardon les Républicains, risque de devenir un parti libéral-libertaire. Il risque ainsi de laisser  partir un peu plus ses électeurs vers le FN et ne se distinguera plus très nettement de ce qu'est devenu, en fait, le PS.

Dominique Jamet : A mon avis, nous sommes à l’heure actuelle dans une période où les points de désaccords entre les grands partis sont de plus en plus rares. Sur l’immigration, l’insécurité, l’ordre public, la justice, que le FN et l’UMP tiennent des discours très proches. La différence se fait sur les personnes, qui sont extrêmement importantes. On prétend bien souvent, et c’est absurde, que dans un système autant incarné que le système français et son président les questions de personne n’ont pas tant d’importance. Au contraire, leur importance est croissante, et chaque grand parti est à l’heure actuelle incarné par un personnage. Etant entendu que sur la plupart des questions d’ordre sociétal et public, les positions de l’UMP et du FN sont très proches et le seront de plus en plus, c’est sur la personne, le programme économique, la position face à l’Europe, que se fait de plus en plus la différence.

On voit que le Front national se rapproche, sur les thèses économiques antilibérales, du Front de gauche. Cela touche-t-il l’électorat de droite traditionnel en rendant rétifs certains électeurs de la droite de l’UMP à passer au FN ?

Dominique Jamet : Très certainement et c’est extrêmement important à souligner. Le point sur lequel achoppe très clairement toute idée de rapprochement avec le FN à l’UMP est le programme économique du Front : l’éventualité d’un retrait de l’euro, la rupture avec l’UE, la condamnation de plus en plus fréquente par les leaders frontistes du libéralisme etc. C’est un point de désaccord fondamental entre les deux mouvements. Autant les positions se sont rapprochées sur les thèmes qui deviennent également communs avec le Parti socialiste, c’est-à-dire l’insécurité, l’immigration. Mais sur le plan économique elles restent très éloignées. Il y a là une explication de cette défiance croissante entre les sympathisants des deux partis.

Cela nous renvoie encore à l’éviction de Jean-Marie Le Pen, car on pensait qu’elle permettrait au FN de se dédiaboliser véritablement. Mais n’a-t-on pas aussi perdu par la même occasion le côté "poujadiste" du parti, son orientation très libérale qui séduisait les petits commerçants et artisans, des catégories généralement fidèles à la droite ?

Dominique Jamet : C’est quelque chose qui était déjà en cours, et c’est confirmé par beaucoup d’autres sondages. La marginalisation de Jean-Marie Le Pen était déjà bien avancée quand se sont produits les derniers incidents. La brouille entre le père et la fille et les sanctions prises contre Le Pen père n’ont pas eu beaucoup d’influence.

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