Quand le FMI s’obstine à encourager François Hollande à baisser le coût du travail en France malgré le manque d’efficacité établi de cette politique<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et la directrice du FMI Christine Lagarde.
François Hollande et la directrice du FMI Christine Lagarde.
©Reuters

Droit dans le mur

Les recommandations du FMI se suivent et se ressemblent. Sans surprise, l’institution de Washington propose une nouvelle fois à la France de baisser ses salaires, et ce, malgré l'évidente inefficacité de cette mesure.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le 19 mai, le FMI délivrait ses conclusions relatives à sa mission de consultation concernant la France, et avançait un résultat plutôt mitigé. Si le Fonds monétaire salue les différentes réformes déjà mises en place par François Hollande, comme le pacte de responsabilité ou le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), et remarque ainsi "une reprise solide de l’activité économique à court terme", l’horizon inquiète encore : "mais les rigidités structurelles continuent de peser sur les perspectives à moyen terme". De fait, pour le FMI, la croissance potentielle  française ne serait plus que de 1.25% en moyenne au cours des cinq prochaines années.

En s’appuyant sur cette conclusion, et outre ses recommandations concernant les dépenses publiques, le FMI va s’intéresser plus directement au marché français de l’emploi. Ici, et toujours selon l’institution, c’est la compétitivité qui se doit d’être améliorée pour sortir le pays du chômage de masse. Ce qui nécessite la mise en place de mécanismes de baisse du coût du travail, recette pas franchement nouvelle mais qui semble toujours avoir les faveurs du FMI. Et cette proposition est présentée en trois phases :

"En s’appuyant sur les réformes récentes, il conviendrait d’étendre aux entreprises qui ne connaissent pas forcément des difficultés économiques, la possibilité pour les partenaires sociaux de négocier avec plus de flexibilité au niveau de l’entreprise le temps de travail et les salaires."

Ici, en ouvrant la voie de la flexibilité, l’objectif est de permettre aux entreprises de rallonger le nombre d’heures travaillées pour un salaire équivalent, afin d’aboutir à une baisse du salaire horaire. Puis, le FMI recommande un blocage relatif du SMIC :

"Le salaire minimum joue un rôle social important, mais son relèvement annuel devrait être limité au taux d’inflation tant que le chômage reste élevé, surtout parmi les jeunes et les travailleurs peu qualifiés.". Il est à noter que la recommandation de baisse pure et simple du SMIC n’a pas été retenue, Enfin, dans une dernière mesure, encore plus agressive, le FMI affronte le cas délicat des allocations chômage :

"Les allocations de chômage devraient inciter davantage leurs bénéficiaires à rechercher un emploi, notamment en durcissant les critères d’obtention de ces allocations et en les rendant dégressives. Le respect de l’obligation de recherche d’emploi devrait être pris en compte à la fois pour l’accès à l’assurance chômage et aux allocations sociales."

A nouveau, l’objectif est clair. En fragilisant la situation des chômeurs par la dégressivité des allocations et le durcissement des règles d’obtention, l’incitation pour les chômeurs à accepter un emploi à moindre salaire est renforcée.

Ces dispositions ont ainsi un seul et même objectif ; la baisse du coût du travail en France afin de restaurer la compétitivité perdue de l’économie française. Une tactique qui rappelle les propos de Christine Lagarde, qui déclarait en octobre 2012 :

"En faisant baisser les prix des facteurs de production, en particulier le prix du facteur travail, on espère rendre le pays plus compétitif et plus intéressant pour les investisseurs étrangers.On le voit déjà un peu au Portugal, en Espagne, et on commence à le voir un peu en Grèce"

Bien qu’une telle approche semble relever du bon sens, elle ne s’en heurte pas moins au mur de la réalité. Parce que le coût du travail n’est qu’une composante parmi d’autres du prix des biens et service. Une baisse, même significative du coût du travail, n’affectera donc que marginalement le coût total de production.

De plus, et par exemple, une baisse des charges patronales ne se traduit pas automatiquement par une baisse du prix du bien ou du service en question. En effet, cette baisse ne relève que du choix de l’entreprise concernée. Face à un allègement fiscal, l’entreprise peut préférer  de relever son niveau de marge plutôt que de gagner en compétitivité, ou même d’augmenter les salaires de ses employés. Le résultat est donc marginal, si ce n’est hypothétique.

Mais il suffit de constater les derniers développements des exportations françaises pour se rendre compte de ces résultats. Selon les chiffres publiés par Eurostat, les exportations françaises à destination de la zone euro ont progressé de 1% au cours de la dernière année, c’est-à-dire entre le 1er trimestre 2014 et le 1er trimestre 2015, et ce, malgré la mise en place des réformes françaises. A l’inverse, les exportations extracommunautaires ont progressé de 6%. Ce qui signifie que la baisse de l’euro semble avoir eu un effet bien plus significatif sur la croissance des exportations que la baisse du coût du travail en France. Ceci en toute logique puisque la baisse de l’euro affecte le prix des biens et services dans son ensemble, au contraire du coût du travail. Il est également à noter que l’Espagne, pourtant classée au premier rang des bons élèves de la compétitivité (notamment grâce à son chômage de 23.8% qui pèse lourdement sur les salaires…), ne voit ses exportations croître que de 1% en intracommunautaire. Soit le même résultat que la France. Pire encore, la France fait mieux que l’Espagne en ce qui concerne la progression des exportations extracommunautaires, soit respectivement 5% de hausse contre 2%. De quoi démoraliser les fans de la baisse des salaires.

Mais cette inefficacité relative n’est pas tout. Car la baisse du coût du travail a également un coût pour l’économie française. Si la baisse de la pression fiscale sur les salaires permet de faire baisser le coût du travail, un tel dispositif doit quand même être financé. Soit par une hausse alternative de la pression fiscale, soit en réduisant les dépenses publiques. C’est à dire deux choix dont le résultat à terme est connu : une baisse du PIB.

En conclusion, il apparaît qu’une telle mécanique est aussi improbable que dangereuse. Car une baisse relative du coût du travail ne s’obtient pas en baissant les salaires mais en augmentant le PIB, c’est-à-dire en soutenant la demande. En effet, il suffit de prendre un peu de recul pour se rendre compte que lorsque le coût du travail est considéré comme "trop" cher, la question subsidiaire est de savoir "trop cher" par rapport à quoi ? Par rapport au PIB. Comme l’indique l’économiste américain Scott Sumner : "Cela n’a tout simplement aucun sens. Si c’est un meilleur ratio -salaires sur PIB nominal -que vous recherchez, alors boostez votre PIB nominal!".  Et de poursuivre :

«C’est le genre de politique qui a un sens si vous avez une banque centrale qui dysfonctionne et qui refuse de faire ce qu’elle a à faire". La France ne souffre pas de salaires trop élevés, elle souffre d’une trop faible croissance en raison d’une Banque Centrale européenne trop timide. Et donc d’une faible demande. La cause du chômage français est là ; évidente.

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