1 collégien sur 5 largué en maths : les racines du mal<!-- --> | Atlantico.fr
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Un élève de 3ème sur cinq n'est capable de traiter que des exercices de mathématiques très simples.
Un élève de 3ème sur cinq n'est capable de traiter que des exercices de mathématiques très simples.
©Flickr

Bien avant le collège

Selon une étude du ministère de l'Education, les origines des lacunes en mathématiques des élèves de collège se trouvent dans un manque d'éducation à la logique, qui doit se faire essentiellement entre 2 et 7 ans. Un apprentissage essentiel que seul 20 % des enfants ont.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Selon une étude du ministère de l'Education, un élève de 3ème sur cinq n'est capable de traiter que des exercices de mathématiques très simples, de niveau de CM2. Comment peut-on l'expliquer ? Quelle est l'origine de ce déficit de connaissances ?

Pierre Duriot : On se focalise sur les maths en tant que discipline scolaire et on tente de résoudre le problème par la discipline elle-même, par la méthode, en tournant, mais un peu tard, savoirs et compétences techniques dans tous les sens. En réalité les maths sont une disposition d'esprit, un genre d'attitude mentale et cela se construit très tôt, lors de la découverte des formes, des quantités, de l'espace et des situations opératoires. Très tôt mais également, la suite du programme scolaire de maths est sensée s'appuyer sur ces compétences de base qui ne sont pas là et tout l'édifice s'empile de manière fragile et trop peu étayée. Le problème n'est pas tant de résoudre l'opération, les élèves savent le faire, mais de savoir quelle opération il faut poser et c'est cela qui manque à nos élèves. La situation problème, l'aptitude à analyser, à mettre en relation la pratique et la théorie sont nos point noirs.

A l'origine, notre manière d'appréhender les maths, dès la petite section de maternelle avec des fiches, des fiches, des fiches... Il faut colorier des formes identiques, colorier un nombre donné de formes, tout cela est d'une extraordinaire abstraction pour des enfants de trois à quatre ans qui apprennent principalement avec leurs corps et leurs sens, en manipulant, en expérimentant. Cela avec été dit et redit lors des expériences initiées par nos savant prix Nobel, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak et appelées « La main à la pâte ». Situations problèmes, expériences scientifiques, permettaient de donner un sens, une utilité aux mathématiques. On continue dès le CP et le CE1, avec des batailles rangées de fichiers de maths, très chers, assortis le plus souvent d'un livre du maître, contenant une marche à suivre, de nombreux conseils d'expérimentation. Mais en pratique tout cela reste au placard puisque la formation professionnelle est devenue peau de chagrin et que le sens de l'expérimentation, de la manipulation, expliqués, ne peuvent être mis en musique que moyennant une solide formation au sens des matières que l'on enseigne. On a préféré la hauteur du diplôme et on est passé en trente ans, d'un recrutement au niveau bac, assorti d'une formation professionnelle de trois ans, avec des stages de terrain très encadrés, à un recrutement à bac+3+5 et une formation professionnelle très courte et encore, pas pour tout le monde. Les crédits à la formation continue ont diminué dans le même temps. Il en résulte parfois un surfaçage intuitif des pages de fichiers qui peuvent être réalisées presque d'instinct, avec des explications sommaires, au cours d'une séance où la majorité des enfants réalise le travail demandé mais n'ancre pas profondément le sens des mathématiques et des situations problèmes.

Sur un autre versant, on a ce que j'ai coutume d'appeler « les gammes de l'écolier », des tables d'additions et de multiplications sues par cœur, des règles de bases en algèbre et géométrie, connues sur le bout des doigts pour appréhender au mieux les nombres et les espaces réels qui préfigurent les espaces vectoriels et orthonormés. Mais cela ne s'apprend plus beaucoup et surtout pas par cœur, a été décrété rébarbatif, puisqu'en plus, il faut souvent faire « en s'amusant » : bref, il manque les bases, les fondations de l'édifice. Et une fois passé le jeune âge, il est trop tard. On ne comprend pas le sens des mathématiques à quinze ans mais entre trois et huit ans. Si les capacités de perception, de conceptualisation et d'analyse ne sont pas des composantes engrangées avant l'arrivée au collège, on se condamne à un vague apprentissage des techniques opératoires qui débouche sur des compétences « bachotées » et une incapacité à traiter une situation problème : ce que montrent les enquêtes concernant les mathématiques. Le problème est presque le même en français où on a prétendu apprendre l'orthographe sans savoir les règles et sans lire : ce résultat là aussi est d'actualité et antérieur à celui des maths.

Quel est le profil des élèves qui ont des problèmes avec les mathématiques ? Qui sont ceux qui réussissent et qu'ont-ils de plus que les autres ?

Ceux qui réussissent sont ceux qui ont une vie riche en expérimentations. Ne nous y trompons pas, la mathématique est un espace vaste, bien au-delà de la géométrie et de l'algèbre. C'est le domaine de la perception de l'espace, des formes, des quantités, des mesures et de l'analyse. Il va conditionner les futures capacités de traitement d'une situation problème, quelle qu'elle soit et présider à la capacité d'initiative, une qualité réclamée à cors et à cris aujourd'hui par les recruteurs, ceci explique cela. Ces enfants qui font du sport, des sorties, qui suivent des parents intéressés eux-mêmes par la situation problème, la construction, sont aussi ceux qui réussissent le mieux en maths. Soyons-en convaincus, pour un jeune cerveau, toute expérience constructive est bonne à prendre : tracer un parterre de fleur au cordeau, décrypter une recette de cuisine, construire une maison en Lego, pratiquer des activités sportives, de la musique, lire, jouer aux dames ou aux échecs, sont autant de situations au cours desquelles le cerveau va élaborer, créer des connexions mettre en relation et en application des compétences antérieures au service d'une difficulté nouvelle à surmonter. Ce mode de vie va concerner environ 20 à 25 % des élèves et ne manque pas de corroborer une autre donnée : l'école reproduit les inégalités sociales. On mesure bien le fait que la multiplicité des expérimentations est liée à la richesse du milieu social. A l'opposé, on a la vie par procuration, plate, en deux dimensions, celles d'un écran devenu omniprésent dans la vie des enfants comme dans celle de leurs parents et force est de constater que cette vie là, par ce qu'elle peut apporter néanmoins, n'est pas aussi créatrice d'aptitudes que le frottement au réel. On mesure bien, quand on est parents ou enseignants, la différence d'impact entre un reportage sur la ferme et une visite à la ferme.

L'école est-elle la seule fautive ?

Bien sûr que non. Elle a cédé à la facilité, à une forme de complaisance qui veut qu'à la fin d'une année de maternelle, le cahier joliment relié de fiches dont l'utilité est contestable fait meilleure figure auprès des parents que des expérimentations sur le réel qui laissent peu de traces. C'est aussi plus facile pour les enseignants et tout le monde est content finalement, mais on passe à côté de l'essentiel. S'en mêle notre manière d'éduquer, en faisant en sorte que l'enfant ne se fatigue pas : que n'a t-on entendu sur la fatigue des élèves ! Bien sûr que si, il faut se fatiguer à l'école, d'avoir appris, cherché, expérimenté. Parce que nous trouvons aussi plus pratique de faire à la place plutôt que de faire avec, privant ainsi l'enfant de sa part d'expérimentation, le privant aussi de cette aptitude à l'effort et à la curiosité qui naît du manque et de l'obligation de surmonter seul une difficulté à sa mesure. Et tout cela conduit souvent à des enfants exigeant d'être servis sans délais et sans condition, ce que nous nous empressons de faire quand ils sont petits, au moment où justement ils auraient besoin de faire par eux-mêmes et que nous tentons de cesser de faire quand il est trop tard. Tout se joue avant six ans, ou presque, ce n'est pas vraiment nouveau.

Quelles sont les conséquences de ces lacunes sur le développement personnel des élèves ? Est-ce que cela compromet leur avenir ?

Les conséquences sont palpables et les recruteurs et managers les connaissent bien, décrivant les incapacités à l'initiative, à la collaboration à l'évolution. Il ne faut pas s'y tromper tout cela relève de la capacité d'analyse des choses, des situations et de l'espace donc des mathématiques, de cet apprentissage dans le réel et dans les trois dimensions à côté duquel passent désormais la majorité des jeunes élèves. Cela ne compromet en rien leur avenir puisque tous les avenirs, toutes les vies, n'exigent pas forcément des capacités d'analyse et d'initiative mais cela donne ce que l'on constate, la reproduction presque à l'identique des classes sociales, d'une génération sur l'autre, même si ces composantes là n'en sont pas les uniques raisons. Les parents élevés jeunes dans la confrontation au réel et l'expérimentation tentent de reproduire cette forme d'éducation bénéfique, transmettent ainsi leurs propres capacités, leurs postes, leurs situations sociales. Les autres sont condamnés à la stagnation. Cette possibilité qu'a eu un temps l'école de permettre à un enfant de dépasser le statut social de ses parents s'est amoindrie et elle ne réussit parfois même plus à permettre à l'enfant d'atteindre le statut social de ses parents, quand bien même il est plus diplômé, mais d'un diplôme dévalorisé car vide des compétences attendues et liées au réel. Effectivement, comme énoncé à la première question : «  un élève de 3ème sur cinq n'est capable de traiter que des exercices de mathématiques très simples, de niveau de CM2 » : entendre, il n'a pas construit faute de fondations solides et empilé sans cimenter. Pour les quatre autres, on s'échelonne le long d'une graduation et au final, un autre sur cinq est au fait de son sujet, c'est à dire 20 à 25 %.

Faut-il repenser l'enseignement des mathématiques ? Comment ? 

Il faut repenser en premier lieu, la vie de nos enfants. Apprendre pour s'émanciper nécessite de combler les manques, les vides, dépasser les cadres. Or ils ne manquent de rien la plupart du temps, n'ont que peu de cadres et nous n'avons pas toujours envie qu'ils s'émancipent de nous. Il faut aussi repenser l'apprentissage, l'entrevoir plus en lien avec le réel, moins abstrait, moins conceptuel. Enfin, il faut repenser les mathématiques qui ne sont pas une discipline pure détachée du reste mais une aptitude à la vie dans un monde technologique, bourré d'objets, nécessitant des compétences et des évolutions de compétences permanentes. Notre quotidien occidental est en fait totalement régit par les mathématiques et nous lui livrons nos enfants à la fin d'un cursus où nous les avons essentiellement protégés, consciemment ou inconsciemment, du monde auquel on les destine. La compétence mathématique est celle de la perception de l'espace, du temps, des mesures et des formes, elle s'apprend par l'action et par le corps entre zéro et dix ans. Les fiches et les fichiers ne sont pas la bonne méthode, les tablettes promises à grands renforts médiatiques ne le sont pas non plus.

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