La France au même niveau d’emploi qu’il y a 10 ans : pourquoi le 1% de croissance molle sur 2015 ne fera pas le poids face aux 20% perdus depuis 2008<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est au même niveau d’emploi qu’il y a 10 ans.
La France est au même niveau d’emploi qu’il y a 10 ans.
©Pixabay

Impuissance

Alors que l’exécutif ne cesse de se féliciter d’une croissance plus forte que prévue pour le premier trimestre 2015, le bilan total de la crise démontre l’insuffisance des remèdes proposés. Pour rattraper les 20% de croissance perdue et la stagnation des emplois marchands depuis 10 ans, la France ne pourra se contenter de cette reprise en demi-mesure.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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La reprise économique est en marche et chacun semble s’en féliciter. Avec 0.6% de croissance pour le premier trimestre 2015, la France figure même parmi les bons élèves de la zone euro, qui progresse pour sa part de 0.4%. Sur cette base, l’INSEE indique "Le PIB croît fortement au premier trimestre 2015 : +0.6% après 0.0%". L’envie de partager la bonne nouvelle ne manque pas, mais la dose de résignation que suppose le contentement est douloureuse à assumer. Car 0.6% de progression ne fait que correspondre à la moyenne trimestrielle de la croissance française entre 1997 et 2007, c’est-à-dire tout au long des 40 trimestres qui ont précédé la crise.

En réalité, se contenter d’un tel chiffre revient donc à accepter de ne pas combler la plaie ouverte de l’économie française. Car depuis l’année 2008, la France a été déviée de sa trajectoire de croissance, qui s’établissait à un rythme moyen de 3.9% entre 1994 et 2007. (En termes nominaux, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation). En perdant cette trajectoire depuis maintenant 7 années, la France a donc perdu un total de 20% de son PIB potentiel (19.58% pour être précis) :

Graphique : croissance nominale (rouge) contre tendance (3.9% entre 1994-2007). France. (source : INSEE)

En termes réels, le bilan n’est pas plus glorieux, car la perte de PIB par rapport au potentiel de croissance atteint 14.98%. Ceci si on la compare à sa tendance pré-crise, c’est-à-dire toujours entre 1994 et 2007, pour une moyenne de 2.3% de croissance annuelle.

Graphique : croissance réelle (rouge) contre tendance (2.3% entre 1994-2007). France. (source : INSEE)

Et cette  lourde perte subie sur le terrain de la croissance a provoqué de sérieux dégâts sur le front de l’emploi. Car sans croissance, pas de créations d’emplois. Ce qui peut se vérifier en constatant l’évolution du nombre d’emplois du secteur marchand au cours des 10 dernières années :

Graphique : nombre d’emplois du secteur marchand. T1 2005 – T1 2015. En milliers. (source : INSEE)

Au premier trimestre 2015, la France compte 64 200 emplois de moins qu’au premier trimestre 2005, il s’agit d’une décennie blanche sur le front de l’emploi marchand. Et cette stagnation décennale se décompose en deux secteurs. D’une part, l’effondrement continu de l’emploi manufacturier, qui perd 632 000 postes en 10 années :

Graphique : nombre d’emplois du secteur manufacturier. T1 2005 – T1 2015. En milliers. (source : INSEE)

Et d’autre part, un secteur tertiaire qui subit un coup d’arrêt, après avoir connu une belle progression de 623 000 emplois qui a au moins permis de compenser les destructions d’emplois industriels.

Graphique : nombre d’emplois du secteur tertiaire marchand. T1 2005 – T1 2015. En milliers. (source : INSEE)

Dans un pays sans croissance et sans création d’emplois, la problématique majeure repose sur la dynamique démographique. Car le nombre de personnes qui souhaitent participer au marché du travail a bien continué d’augmenter tout au long de cette période. Entre 2004 et 2012, la croissance annuelle de la population active française a été proche de 0.6%. En extrapolant jusqu’à 2014, l’augmentation de la population active a donc été de 1.7 millions de personnes.

Graphique : population active. France. En milliers. (source : INSEE)

Cette croissance de la population active repose sur deux causes; la simple augmentation de la population en âge de travailler et la volonté de plus en plus forte pour les personnes de plus de 50 ans de participer au marché du travail. Ainsi, en 1995, 31.1% des hommes étaient actifs, contre 38.3% en 2012.

L’effet ciseau se produit à plein. Le nombre de postes du secteur privé stagne ou diminue sur 10 années, alors que le nombre de personnes souhaitant un emploi continue d’augmenter. Et la croissance de 0.6% enregistrée au cours de ce premier trimestre 2015 n’est pas un rythme qui permet de colmater cette brèche. Au mieux, ce chiffre permet de revenir sur des bases moyennes d’avant la crise, c’est-à-dire proche de 2.3% de croissance annuelle :

Graphique : croissance réelle. France. 2004-2014. (source : INSEE)

Mais pour combler le trou qui a été généré par la crise, c’est-à-dire 20% de croissance nominale, 15% de croissance réelle, et une stagnation décennale de ses emplois marchands, la France devra trouver autre chose qu’une simple amélioration marginale de sa situation. Et tous les pactes de responsabilité n’y suffiront pas.

L’enjeu est ailleurs. Il ne s’agit donc plus de se conformer aux règles européennes en attendant que ça se passe, il s’agit de modifier les règles elles-mêmes pour permettre un nouveau calibrage de la croissance européenne.

Depuis la fin 2010, les Etats-Unis sont parvenus à créer plus de 10 millions d’emplois, en enchainant des rythmes de croissance de type 4.6% ou 5%, (respectivement pour le deuxième et le troisième trimestre 2014). Pour en arriver là, la modération a été laissée de côté. Au même moment, les européens, et la France avec eux, ont estimé pouvoir répondre à une crise majeure en utilisant les moyens du bord, c’est-à-dire l’attente de lendemains qui chantent. Les Etats-Unis sont allés chercher la croissance en usant largement de leur banque centrale, comme ils l’avaient fait durant la crise de 1929. Symétriquement, les continentaux européens sont restés les bras croisés, comme ils l’avaient fait pendant la grande dépression.

Si les responsables politiques acceptent le retour d’une croissance molle, c’est-à-dire moyenne, sans se donner les moyens d’aller plus loin, pour corriger en profondeur le manque provoqué par la crise, alors une génération entière aura été sacrifiée, pour rien. La leçon des années 2008-2015 est que la jeune zone euro n’était pas armée pour faire face à une crise d’une telle ampleur. La moindre des choses serait de corriger ce qui peut l’être, et de donner un mandat de recherche du plein emploi à la Banque centrale européenne. Ce qui permettrait de soutenir l’activité économique, sans relâche, jusqu’à l’obtention de l’emploi maximum. Comme l’ont fait les Etats Unis. Accepter les 0.6% de croissance et s’en réjouir, c’est accepter définitivement la défaite de l’Europe, continent du chômage de masse.

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