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Plaidoyer pour l'entreprise familiale : pourquoi ce mythe des "200 familles"qui s'enrichiraient sur le dos de la collectivité fait beaucoup de mal à la France
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Bonnes feuilles

L’ignorance et le mépris dans lesquels sont tenues les entreprises familiales en France vont de pair avec l’hypertrophie des grandes entreprises et des services de l’Etat. Conséquences : le déclin de notre industrie et des créations d’emplois, ainsi que l’impuissance à remonter dans le train de la croissance. Extrait de "Les 100 000 familles - Plaidoyer pour l'entreprise familiale", de Cyrille Chevrillon, édité chez Grasset (1/2).

Cyrille Chevrillon

Cyrille Chevrillon

Après une carrière dans la banque d’affaires, le cinéma et l’investissement à New York, Londres et Paris, Cyrille Chevrillon a créé en 1992 le groupe qui porte son nom. Professeur Affilié à HEC où il enseigne la finance et la stratégie, il a reçu en 2012 le prix « Course of the Year », décerné par l’alliance de 29 universités et grandes écoles à travers le monde.

 

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Une fois encore, la France va se distinguer, dans l’Europe des années 30, en donnant libre cours à une nouvelle attaque en règle contre l’entreprise privée. C’est le fameux mythe des « 200 familles », qui n’est malheureusement pas encore mort. René Sédillot, historien et journaliste économique, l’a exploré en profondeur 1. La paternité de la formule des « 200 familles » revient à Edouard Daladier, chef du parti radical, deux fois président du Conseil, et qui, emporté par la fougue propre aux orateurs de sa famille politique, fustigea, lors du congrès du parti à Rennes, en octobre 1934, ces « deux cents familles, maîtresses de l’économie française, et en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu’un Etat démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse ». Tout est dit ou presque, même si la référence à Richelieu peut paraître saugrenue, mais après tout, Daladier était agrégé d’histoire… Ce qu’il reproche aux 200 familles, c’est qu’elles utiliseraient leur pouvoir économique pour influer sur la politique. Des propos qu’un Mélenchon ne désavouerait probablement pas aujourd’hui. Mais il faut les replacer dans leur contexte : Daladier avait dû démissionner en février 1934 après les émeutes devant le Palais-Bourbon, et la droite, avec Gaston Doumergue, avait repris le pouvoir. Dans de telles conditions, Daladier tentait d’invoquer le rôle forcément trouble des forces de l’argent. Le slogan fait aussitôt fureur, à l’extrême gauche, notamment au parti communiste, comme à l’extrême droite, avec de forts relents d’antisémitisme. Tout le monde y va de son comptage, pour affiner le concept des « 200 », le but étant de démontrer qu’une toute petite élite économique tient dans ses mains le destin de la France. Cet état d’esprit n’est d’ailleurs pas propre aux années 30, qui verront l’avènement du Front populaire. Au milieu du XIXe siècle déjà, des polémistes s’emparent du sujet. Georges Duchêne publie en 1869 L’Empire industriel, dans lequel il dénonce la féodalité d’affaires « qui a mis la main sur l’Etat ». Il évalue à 183 individus le nombre de ceux qu’il désigne, au premier rang desquels figurent Emile et Isaac Pereire qui, dans les années 1850-1860, contrôlent en effet un certain nombre d’entreprises importantes, comme la Compagnie du chemin de fer de Paris à Saint-Germain, le Crédit mobilier (qu’ils ont fondé), l’Etablissement thermal de Vichy ou la Compagnie générale maritime (qui deviendra par la suite la Générale transatlantique), et qui étaient administrateurs de plus de 40 sociétés. Le livre de Duchêne, « vite oublié, n’a été redécouvert qu’au siècle suivant », nous rappelle René Sédillot 1. Mais les « 200 » ne sont pas les héritiers des « 183 ».

Quelles sont ces 200 familles montrées du doigt par Daladier et Thorez ? Ce sont les actionnaires de la Banque de France. Etrange établissement, à dire vrai, puisque né privé en 1800, fondé par six banquiers parisiens, à l’instigation de Bonaparte, et dont lui-même, sa famille, ses généraux et ses ministres sont actionnaires… En 1803, cette banque bénie du pouvoir politique reçoit le privilège d’émettre, seule, des billets à ordre dans la capitale. En 1806, elle est placée sous le contrôle de l’Etat, qui nomme à sa tête un gouverneur et deux sous-gouverneurs, mais les actionnaires privés y demeurent. Lors de sa fondation, en 1800, il a d’ailleurs été prévu que les 200 plus importants actionnaires (décidément un chiffre symbolique) représentent tous les autres (5 000 en 1848, 16 000 en 1870, 30 000 en 1900) au sein d’un conseil de régence. Entre l’Empire et le Front populaire, le conseil des régents de la Banque de France est une sorte de bottin mondain. « A l’assemblée de la banque, on se salue volontiers entre oncles et neveux, entre beaux-pères et gendres, entre beauxfrères et cousins : par exemple, les Berthier de Wagram sont alliés aux Lebrun de Plaisance et aux Clary, les Oudinot aux Montesquiou, les Béthisy aux Bourbon-Busset, les Lecomte aux Martin de Trévise, les Maupeou aux Dollfus », écrit René Sédillot 1. Les plus puissantes de ces familles sont sans conteste les Mallet, une dynastie de banquiers genevois, les Rothschild, les Hottinguer, les Perier, les Delessert, descendants de huguenots cévenols, les Wendel, les Schneider, les Pillet-Will, les Vernes, les Darblay, les Seillière. Aux yeux de la population, ils symbolisent le pouvoir de l’argent et de l’industrie, mais aussi de la politique puisque nombre de ces familles actionnaires de la Banque de France comptent aussi parmi leurs membres des députés ou des ministres. C’est donc au cours de cette période que s’installe le mythe, pas totalement dénué de fondement, mais pas tout à fait conforme à la réalité, de ces 200 familles, qui jouent un rôle central dans le développement économique du pays, ce que leurs contempteurs feignent assez souvent d’oublier. Et ils sont nombreux ceux qui dénoncent, à l’aube du XXe siècle, le pouvoir de l’argent : Emile Zola, Anatole France, Charles Péguy, Francis Delaisi, Céline… Observateurs pointilleux du petit monde parisien, ils oublient que, loin de la capitale, des entrepreneurs construisent, en famille, de vastes pans de l’industrie française, sans se mêler beaucoup de politique, comme les Breguet, les Sommier, les Babouin à Lyon, les Coignet dans le Forez, les Mame en Touraine, les Fabre à Marseille, les Lefebvre, les Motte et les Prouvost dans le Nord, les Japy et les Viellard en Franche-Comté…

Extrait de "Les 100 000 familles - Plaidoyer pour l'entreprise familiale", de Cyrille Chevrillon, édité chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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