Les anti-musulmans, l’autre menace terroriste en Allemagne

Atlantico : Dans un pays qui n’a pas connu d’attentats islamistes comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Espagne, comment expliquer l’apparition d’un groupe terroriste anti musulman en Allemagne ?

Robert Benkens : C'est une bonne question ! Mais je crois que l'existence de groupes terroristes anti-musulmans n'est pas automatiquement en lien avec les attaques terroristes. Bien entendu, le potentiel de mobilisation de groupes hostiles à l'égard des Musulmans est plus élevé, plus fort, lorsque l'atmosphère est dominée par la peur.  Il existe un réseau paneuropéen de cellules anti-islam qui sont en permanence en contact et qui se rencontrent lors d'évènements en tout genre, de concerts etc. Ces groupes se stimulent, s'inspirent afin d'agir et de promouvoir leurs idées. Mais ces cellules sont encore petites. Ce qui est essentiel pour eux, c'est l'opinion publique, par exemple dans le contexte de manifestations anti Islam comme Periga à Dresden. Ils essayent d'instrumentaliser la peur, peur qui est présente dans tous les pays européens.

La semaine dernière, les autorités allemandes auraient placé en détention 4 personnes suspectées de terrorisme anti-musulman accusées d'avoir planifié des attaques contre des mosquées et des demandeurs d'asile. Le risque terroriste en Allemagne vient-il d'avantage de l'extrême droite que des groupes islamistes ?

Je n'en suis pas vraiment sûr. Les groupes islamistes ont de l'expérience, d'importantes infrastructures internationales et des soutiens financiers provenant de pays étrangers. Mais d'un autre côté, nous ne devons pas sous-estimer l'extrémisme de droite et son agressivité potentielle. A partir de là, quel groupe terroriste représente la plus grosse menace ? Je crois que l'origine de la terreur n'est pas essentielle, et que malgré ces menaces, nous ne devons pas nous sentir intimider. Parce que c'est exactement l'objectif du terrorisme : créer une méfiance mutuelle au sein de la société jusqu'à aboutir à de la haine. Il ne faut pas les laisser gagner.

Il s’agit du deuxième groupe du genre, après la NSU, groupe terroriste allemand ayant commis des actes racistes entre 2000 et 2011. Quelle évolution peut-on y voir ?

La réponse n'est pas évidente. Ces groupes de sont pas organisés de manière centralisée et ils opèrent de manière clandestine. Les contacts avec les partis observables et officiels sont vagues. Et c'est le danger ! Les fameux groupes néo-nazi "Kameradschaften"en Allemagne attirent les jeunes hommes, ils sont radicaux, flexibles dans leurs actions et ils font la promotion de leurs événements et de leurs idées politiques sur les réseaux sociaux de façon moderne. Ils offrent à la fois une reconnaissance, un sentiment de solidarité et une identité. Ce sont aussi des éléments que vous retrouvez sur la scène islamique. Ces deux acteurs que sont les cellules terroristes islamistes et les groupes terroristes anti-musulman ont en réalité plus de points communs qu'ils ne veulent bien l'admettre. Les sociétés plurielles en Europe semblent avoir des difficultés à rendre les idées des Lumières et les valeurs libérales plus attrayantes. Certes, il y a des déclarations politiques défendant ces principes mais la fascination a disparu. De nos jours, les élites ne comprennent pas toujours les jeunes générations. Beaucoup de jeunes associent le mode de vie occidental à BMW, McDonalds, ou David Guetta. Attention, je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Mais il ne faudrait pas oublier les valeurs et idéaux que sont les libertés individuelles et l'engagement sociétal, qui nous apportent paix, liberté et prospérité. Il faut être clair : si l'on visualise une pièce, le mode de vie et les idéaux sont les deux faces d'une même pièce.

Malgré ces actes racistes ou tentatives, le gouvernement allemand continue de se focaliser sur la menace islamiste. Fait-il preuve d’aveuglement ou surestimons-nous les groupes terroristes anti-musulmans et anti-immigrés ?

Je ne pense pas que le gouvernement allemand néglige la menace provenant de l'extrême droite. En Allemagne il y a de grandes infrastructures avec des programmes d'éducation contre l'extrémisme de droite et une hypersensibilité sur ce sujet qui trouve ses sources dans l'histoire allemande. Les mêmes programmes et campagnes de sensibilisation concernant l'Islam radical débutent tout juste et les besoins se sont accumulés. Mais la société ne doit pas tomber dans la panique parce que cela serait nuisible pour la confiance et le vivre ensemble.

Comme beaucoup d’autres Européens, les Allemands sont de plus en plus opposés à l’augmentation d’immigrés dans leur pays. 44% estiment que l’Allemagne devrait accepter moins d’immigrés. Le nombre est inférieur à celui de l’Italie (80%), de la Grèce (86%) ou même de la France (69%). Sur quoi repose l’hostilité à l’égard des immigrés en Allemagne ? Y a-t-il un lien avec l’Islam ?

Seulement dans une certaine mesure. Il y a une partie de la société qui déplore des médias condescendants en matière d'immigration ou de liberté d'expression. Et ces gens n'ont pas totalement tort ! Ainsi, dans beaucoup de journaux, magazines et discours politiques on retrouve l'idée que l'on ne peut critiquer les lignes parfois anti-occidentales et anti-libérale de la société musulmane parce qu'on ne veut pas encourager les préjudices anti-musulmans.  L'intention est louable, mais nous n'avons pas réellement protégé les musulmans européens avec cette stratégie. Bien au contraire : de manière non intentionnelle nous avons renforcé les extrémistes des deux bords. Les premiers peuvent se présenter en victimes de l'Occident sous le slogan accrocheur "islamophobie". Les seconds peuvent accuser les Musulmans de tous les maux.

Ces groupes anti-musulmans essayent de tirer profit de cette ambiance au sein d'une partie de la société allemande. Il est honteux que ces cellules anti-musulmans s'appellent les "défenseurs" des valeurs européennes libérales ou de la liberté d'expression. Ils dissimulent leurs idées haineuses derrière une façade démocratique. Il est temps que les libéraux en Europe (chrétiens, musulmans, athées) s'élèvent contre les extrémistes des deux côtés.

Comment peut agir le gouvernement allemand face à ces violentes réactions ?

Les politiciens, la police et aussi la société doit garder les yeux ouverts face à la menace venant de l'extrême droite. Mais être en alerte ne doit pas laisser place à la panique comme de grandes restrictions des libertés civiques, résultat d'un état policier grandissant. J'insiste, ce n'est pas seulement le gouvernement, la société toute entière doit combattre l'extrémisme et le fondamentalisme. Dans ce contexte, l'enjeu n'est pas les armes mais les idées !