Vladimir Poutine parlait-il de l’Ukraine d’aujourd’hui en tentant de justifier le pacte germano-soviétique face à Angela Merkel ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine a tenté de justifier le pacte germano-soviétique de 1939 dans une conférence de presse avec Angela Merkel.
Vladimir Poutine a tenté de justifier le pacte germano-soviétique de 1939 dans une conférence de presse avec Angela Merkel.
©Reuters

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Dimanche dernier, au lendemain du 70ème anniversaire de la victoire de l'Armée rouge sur l'Allemagne nazie, Vladimir Poutine a tenté de justifier le pacte germano-soviétique de 1939 dans une conférence de presse avec Angela Merkel. Son instrumentalisation de l'Histoire n'a pas été appréciée par la chancelière allemande, mais elle donne des indices sur sa stratégie en Ukraine.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico :  Le Président russe revient sur la vision stalinienne de l’Histoire et du pacte germano-soviétique de 1939 et reprend l’idée que Staline avait auparavant proposé à la France et à la Grande Bretagne que ses troupes aient le droit de marcher sur la Pologne pour protéger les Polonais d’une invasion nazie. En réalité, sous couvert de défendre les populations, le but de Staline était d’étendre l’emprise du communisme en Europe de l’Est.  Peut-on faire un parallèle avec ce qui se passe actuellement en Ukraine ?

Michael Lambert :Le retour de Staline comme personnage apprécié par les citoyens russes n’est pas un phénomène nouveau, et remonte aux milieu des années 2000. Il n’en reste pas moins intéressant de voir à quel point le petit père des peuples semble gagner en popularité ces derniers temps, et ce malgré les nombreuses déportations qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après la victoire sur le nazisme, Staline s’est évertué à déplacer des minorités afin d’affaiblir les Etats membres de l’Union soviétique, ce qui explique l’actuelle situation avec les Etats de facto (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabakh), et qui bloque toute tentative de rapprochement entre les Etats du Partenariat oriental et les occidentaux, ce qui arrange objectivement l’actuel Président russe.

Si Staline est aujourd'hui de plus en plus apprécié par les russophones, ça n’est objectivement pas le cas chez les occidentaux, ou celui-ci incarne une triste période de déportations et les répressions massives. On assiste alors à une rupture entre ceux qui se revendiquent de l’héritage de Staline et de l’URSS, et ceux qui la renient et adhèrent à la vision occidentale qui considère que le stalinisme, tout comme le nazisme, eurent des conséquences dramatiques sur le continent.

Au regard de la situation actuelle en Russie et en Ukraine, le président russe a tout intérêt à défendre le personnage de Staline, ce qui lui permet de justifier la mise en place de réformes coercitives et anti-démocratiques au sein de la Fédération, clamant qu’une grande nation, pour ne pas dire civilisation, se doit d’avoir un dirigeant qui sait s’imposer avec fermeté.

Pour ce qui concerne le parallèle entre la Pologne en 1929 et l’Ukraine de 2015, ce dernier semble évident. Dans le cas polonais, Staline avait avancé la lutte contre le nazisme pour proposer aux français et aux anglais d’intervenir, ce qui n’était ni plus ni moins qu’une tentative d’annexion, et n’était en rien favorable à la défense de la démocratie et de la liberté des peuples.

Poutine, à l’image de ce qu’avait proposé Staline, se sert du chaos qui règne en Ukraine et les nombreux danger que représentent ces tensions - que cela soit pour la vente d’armes, les trafics d’êtres humains, la contrebande - pour justifier une intervention militaire du Kremlin. Le Président russe propose alors une ingérence de plus en plus palpable en clamant qu’il souhaite garantir la sécurité au niveau des frontières de la Fédération, et propose même d’envoyer des troupes russes sur place en Novorossia pour faire respecter le cesser le feu. Cette situation rappelle celle de la Transnistrie, ou les troupes russes assurent un contrôle et la stabilité dans l’enclave, mais au détriment d’une relance économique, ce qui paralyse toute la région.

En Ukraine, l’objectif de Poutine est donc d’affaiblir autant que possible Kiev, de manière a justifier une intervention militaire, et ainsi s’assurer que le pays ne puisse jamais satisfaire les critères pour adhérer à l’OTAN et l’Union européenne. Qui plus est, la fracture entre les deux représentation de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale lui permet d’alimenter le processus de guerre hybride en renforçant la fracture entre pro-russes et pro-occidentaux.

Angela Merkel a rapidement repris Poutine pour rappeler la clause secrète du pacte germano-soviétique de partage de la Pologne que Vladimir Poutine avait omis dans son discours. En quoi Vladimir Poutine a-t-il un rapport ambigu avec la vérité historique ?

L’instrumentalisation de l’Histoire est à la base même de la politique d’influence (soft power) du Kremlin. La Russie s’est considéré comme l’héritière de l’Union soviétique dès 1991, c’est la raison pour laquelle elle reprendra son siège à l’ONU ainsi que les armes nucléaires dispersées à travers les anciennes Républiques Socialistes Soviétiques. Il serait malhabile de tenter de dévaloriser l’histoire du pays, de la Russie, qui est le ciment d’une nation.

Toute la question est de pouvoir donner un sens aux actions de Staline et à son régime dictatorial, et de ne mettre en avant que les aspects les plus positifs. Cette démarche est identique dans les Etats occidentaux, avec des figures populaires plus ou moins contestables d’un pays à l’autre, en témoigne la perception radicalement différente entre Londres et Paris sur Napoléon.

Poutine tente alors de modifier, d’arranger, de maquiller l’Histoire de la nation russe, afin de l’utiliser comme instrument pour renforcer le patriotisme, et pour diviser ceux qui n’y adhèrent pas et ceux qui la défendent, ce qui amène aux tensions que l’on connait en Europe de l’Est, de l’Estonie à la Géorgie en passant par l’Ukraine et la Moldavie.

Quels sont les différences entre les représentations occidentales et russes sur cette période nazie ? Que nous disent-elles des intentions de Poutine en Ukraine ? 

Les Occidentaux ont fait la guerre contre le fascisme dans l’objectif de rétablir la démocratie et la liberté en Europe. Alors que les russes (soviétiques) ont fait la guerre pour étendre l’emprise du communisme sur le continent. Cette différence de représentation amène les Occidentaux à considérer les régimes autocratiques comme nuisibles à la liberté. Tandis que les russes acceptent l’autocratie, dans la mesure ou elle fut à la base de leur victoire sur le nazisme.

Qui plus est, pour Moscou la guerre ne fut pas contre la nazisme mais contre “l’Ouest”, déjà perçu comme décadent et comme une menace pour la Russie.

En suivant ce raisonnement, il semble logique que Moscou ait une vision péjorative de l’influence occidentale en Ukraine, dans la mesure ou les Ukrainiens devraient avoir une perception positive du stalinisme ou des régimes autocratiques, ce qui n’est pas le cas à l’Ouest du pays.

L’intention du Kremlin est objectivement d’accroitre son influence dans les Etats non-membres de l’Union européenne et de l’OTAN, et ce dans un objectif de protection des intérêts de la patrie russe, et surtout pour lutter contre l’influence grandissante des Occidentaux, ces derniers étants perçus comme une menace, tout comme l’était la progression du nazisme. Si cette propagande peut sembler aberrante pour les démocraties occidentales, elle semble fonctionner chez les russophiles et notamment auprès des séparatistes ukrainiens.

Que peut-on en déduire des intentions à venir du Président russe sur ce qu'il compte faire en Ukraine?

Cette stratégie de diviser l’identité commune de l’Ukraine en réhabilitant la figure de Staline et en avançant l’influence positive de l’Union soviétique, permet de donner un terreau favorable au maintient de la guerre hybride. La mise en place de cette dernière repose sur les fractures identitaires, économiques, politiques, à l’intérieur d’un même pays. En divisant les ukrainiens, Poutine donne naissance à une instabilité qui peut alors servir à renforcer ses intérêts.

En suivant la logique de ce raisonnement, le président russe devrait proposer aux Occidentaux de participer dans les projets de médiation entre Kiev et les séparatistes, et d’envoyer des troupes russes pour assurer la garantie du cessez le feu. Cette démarche sera nécessairement rejetée par les Occidentaux, ce qui sera avancé par le Kremlin comme la preuve que ces derniers ne souhaitent pas aider l’Ukraine et servir la Paix, et renverra une mauvaise image de ces derniers dans le reste du monde eurasien.

Moscou va tenter de justifier un déplacement de troupes chez les séparatistes, pour s’assurer que ces derniers ne réintègrent jamais l’Ukraine, et ainsi bloquer le rapprochement entre Kiev et Bruxelles.

Cette stratégie n’est pas nouvelle, elle a été éprouvée par le Kremlin en Moldavie lors du conflit avec la Transnistrie en 1992, puis en Géorgie avec la guerre contre l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en 2008. Elle n’en reste pas moins efficace car ni l’OTAN, ni l’Union européenne, n’ont encore développé une approche stratégique d’utilisation du smart power Transatlantique pour répondre aux pressions russes avec pertinence.

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