Conseil de Défense : ce serait quoi le budget des armées si la France se donnait vraiment les moyens de ses ambitions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le conseil de Défense se réunit pour statuer sur l'avenir du budget des armées ce mercredi 29 avril.
Le conseil de Défense se réunit pour statuer sur l'avenir du budget des armées ce mercredi 29 avril.
©Reuters

Le prix de la sécurité

Le conseil de Défense se réunit aujourd'hui 29 avril pour statuer sur l'avenir du budget des armées, avec en toile de fond un arbitrage délicat pour François Hollande entre les finances publiques et les moyens de la Défense. Le président n'a cependant pas le choix : si la France veut faire face aux nouvelles menaces, dispersées et non plus étatiques, elle doit se donner les moyens de rénover ses équipements et d'étoffer ses effectifs. Un coût supplémentaire estimé à 10 milliards d'euros par an. 6 milliards de crédits de plus pour l’armée française viennent d'être annoncés.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023). Michel Goya a publié avec Jean Lopez « L’ours et le renard Histoire immédiate de la guerre en Ukraine aux éditions Perrin (2023).

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  • Le budget de la Défense, qui sélèvera en 2015 à 31,4 milliards d'euros, n'a pas été calibré en fonction de menaces mais d'une loi de programmation militaire qui a pour principal but de rembourser des grands programmes d'équipement lancés il y a 20 ans
  • Une somme qui ne permet pas la modernisation du matériel et le maintien d'effectifs suffisants pour combattre cette nouvelle menace d'un nouveau genre qu'est le djihadisme : depuis la fin de la guerre d'Algérie, sur 200 opérations de guerre, seulement 5 concernaient des Etats
  • Pour entretenir une armée correctement équipée pour faire face aux nouvelles armes comme les drones et conserver les territoires conquis, vite quittés par manque d'effectifs, le budget minimum de la Défense devrait représenter 2% du PIB, soit 10 milliards d'euros de plus par an

Atlantico : Quel est aujourd'hui le budget de la Défense ? Face à quelles menaces a-t-il été calibré ?

Michel Goya : Le budget de la Défense prévu pour 2015 est de 31,4 milliards d'euros. Il n'a pas été calibré en fonction de menaces mais d'une loi de programmation militaire qui détermine un contrat opérationnel et une gestion des grands programmes d'équipement lancés depuis 20 ans. Plusieurs de ces programmes, qui concernaient notamment le rafale, les porte-avions et l'hélicoptère NH90, ont été lancés dans les années 1980 et 1990, sous la menace du pacte de Varsovie, à une époque où le budget de la Défense représentait 3% du PIB.

Même si ces nouveaux équipements étaient couteux, car beaucoup plus sophistiqués que le matériel remplacé, il y avait de quoi les financer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et la France n'y a pourtant pas renoncé. L'effort de Défense a été réduit de moitié en 20 ans, on se retrouve donc dans une situation impossible où l'on ne parvient pas à financer ces programmes et chaque année le problème est repoussé.

Quelles menaces sous-estime-t-il ? Quelles sont les principales menaces qui planent sur la France ?

Il est préférable de parler en termes d'ennemis que de menaces. Depuis la fin de la guerre d'Algérie, pour plus de 200 opérations de guerre, seules 5 concernent des Etats. Tout le reste concerne des organisations non-étatiques. Aujourd'hui, il s'agit principalement d'organisations djihadistes. Comme l'a dit en janvier dernier le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, nous sommes désormais en guerre contre le djihadisme. Si ces organisations ne peuvent pas nous envahir, elles peuvent soit nous attaquer via des attentats sur notre territoire, comme en janvier dernier, mais aussi attaquer les intérêts économiques de nos partenaires à l'étranger et déstabiliser des pays entiers, comme au Mali. On les combats au Sahel, au Moyen-Orient et même en France dans le cadre de la loi de programmation militaire. Nous sommes dans une guerre majeure, certes, mais il n'y a pas de réelle stratégie contre cette menace. La France ne mène que des réactions à des agressions par à-coups, mais pas d'attaque globale.

Quels moyens faut-il mettre en place pour contrer l'ensemble de ces menaces ? Selon l'armée, il faut sauver 18 500 postes pour qu'elle puisse remplir ses missions, notamment l'opération "Sentinelle ", dans la durée. François Hollande a déjà sauvé 7 500 des 34 000 postes dont la suppression était inscrite dans la loi de programmation militaire. Sommes-nous allés trop loin dans la réduction des effectifs ?

Ces suppressions de postes relèvent de la pure folie. Entre le moment où je suis entré dans l'armée au début des années 1980 à aujourd'hui, les effectifs de l'armée de terre ont été divisés par deux. Les réformes ont au moins eu trois impacts majeurs :

  • Avec des effectifs peu nombreux, il est impossible d'occuper les territoires conquis. C'est le problème qui s'est posé au Mali : après avoir vaincu l'ennemi, il faut partir et on laisse ainsi le terrain sans surveillance. Il est alors réoccupé par les forces adverses. En Centrafrique, seuls 2.000 hommes ont été envoyés pour contrôler le pays. C'est trop peu. On manque cruellement d'hommes.
  • Les réformes structurelles des bases de défense et le regroupement des équipements ont rigidifié le fonctionnement de l'armée. Il est toujours plus compliqué de s'organiser. Il y a aussi le problème des soldes aléatoires, qui aggravent la situation.
  • 70% des soldats français sont des volontaires, donc dans des contrats courts. Tout le système fonctionne sur la bonne volonté des gens à s'engager et à rester. Si ce n'est pas le cas, le capital humain se dégrade très vite. Les soldats expérimentés vont ainsi se lasser et partir, ce qui est un peu le cas actuellement. Sachant qu'un simple fantassin porte sur lui de quoi tuer 200 personnes, la défaillance d'un seul soldat peut être lourde de conséquences.

Se dire que l'on va économiser de quoi payer les équipements en supprimant 180.000 postes est une grave erreur. On paye aujourd'hui de grands gaspillages. Les difficultés économiques obligent aujourd'hui l'armée à conserver les anciens modèles. Cela coûte très cher à entretenir. On a acheté de nombreux hélicoptères "Tigre" mais l'on vole encore avec des "Puma" plus vieux que leurs pilotes. L'aviation de transport n'a pas été renouvelée à temps donc il y a une perte de capacité de transport. Les ravitailleurs en vol ont plus de 50 ans et ont le plus grand mal à voler.

On a donc du mal à payer des équipements qui datent maintenant des années 1980, dépassés avant même d'avoir été totalement remboursés. Le manque d'investissement a fait prendre à la France un retard considérable, notamment sur la cybercriminalité, les hélicoptères lourds et surtout sur les drones.

La mise en place de ces moyens impliquent quel type de budget, quels montants ?

D'abord, les 7.500 postes sauvés, c'est bien mais ce n'est pas assez. Mais le pire, c'est que cela a un coût. A budget constant, cela veut dire qu'il faut prendre ailleurs. La moyenne du coût d'une opération extérieure depuis 20 ans est entre 700 millions d'euros et 1 milliards d'euros, or l'opération "Sentinelle" a été budgétée à 450 millions d'euros... Alors que l'on savait pertinemment depuis le début qu'il faudrait débourser plus. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian demande quant à lui 3 à 4 milliards pour la mener à bien.

Le minimum serait que le budget de la Défense représente 2% du PIB. Cela équivaut à 10 milliards d'euros de plus par an. Cela permettrait de ne pas dépendre de recettes exceptionnelles et aléatoires.

Où trouver l'argent ?

Il faut recapitaliser complètement la Défense. Il faut faire le même effort qu'en 1990, quand le budget de la Défense - et ce n'était pas un effort écrasant - était d'une soixantaine de milliards par an au lieu des 31 milliards actuels. Depuis 1990, ce qui a été économisé, les "dividendes de la paix", représente 200 milliards d'euros. Tout cela aurait pu être investi. En termes de dette publique cela n'aurait représenté que 9% et en plus cela aurait eu des retombées bénéfiques à l'industrie.  

La France est en sixième position du classement des puissances militaires mondiales, derrière le Royaume-Uni, l'Inde, la Chine, la Russie et les Etats-Unis. Comment font ces pays pour financer leurs armées ?

Ces pays ne sont pas soumis à une orthodoxie budgétaire telle que celle qu'impose l'Europe. Les Russes et les Chinois font une relance keynésienne grâce à l'outil de Défense. Les Américains, même s'ils sont en train de réduire leur budget, ont fait un effort considérable depuis 11 septembre 2001. En France, on sent qu'il y a une menace mais on persiste dans les réductions budgétaires.

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