Plan européen sur les migrants : une réponse à moindre coût politique qui laisse la France en 1ère ligne<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Jean-Claude Juncker lors du sommet exceptionnel consacré à l'immigration clandestine.
François Hollande et Jean-Claude Juncker lors du sommet exceptionnel consacré à l'immigration clandestine.
©Reuters

Tous aux abris

Les 28 États européens se sont engagés jeudi 23 avril, lors d'un sommet extraordinaire consacré aux naufrages des bateaux de migrants en Mer Méditerranée, à tout faire "pour identifier, capturer et détruire les bateaux avant qu'ils ne soient utilisés par les trafiquants". Pour ce faire, il faudrait monter une opération militaire commune, une première dans la lutte contre l'immigration clandestine.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Cette opération "est compliquée, cela prendra du temps, imposera un mandat des Nations unies, un accord du gouvernement libyen, la mobilisation de moyens militaires, et necessitera d'accepter des pertes humaines", avertissent diplomates et experts. Qu'en pensez-vous ?

François Hollande a indiqué que Paris et Londres allaient saisir le Conseil de sécurité des Nations unies afin que l'ONU autorise une intervention sur le territoire libyen pour détruire les moyens des passeurs. "La décision a été prise de présenter toutes les options pour que les navires puissent être appréhendés, annihilés", a déclaré François Hollande à l'issue du sommet. "Cela ne peut se faire que dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité et la France prendra une initiative, avec d'autres", a-t-il ajouté. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a également déclaré que les Vingt-Huit allaient étudier les moyens d'intensifier les efforts visant à empêcher les candidats à l'immigration de gagner la Libye.

Passées ces déclarations d’intention, nous verrons le moment venu devant l’ONU, qui répondra présent. Lorsqu’il a été question d’intervenir au Mali, la France s’est retrouvée désespérément seule. L’Europe a tout à prouver dans ce domaine, qui serait celui de l’intervention sur place pour s’attaquer aux passeurs et à leur trafic.

Mais en réalité, si on veut vraiment stopper ce que certains sont en train  de faire de la Libye, une zone internationale de non droit sous contrôle djihadiste, il faut intervenir bien au-delà des simples bateaux à anéantir, contre les forces qui a terre organisent le chaos en permettant aux passeurs d’agir. Il faut le faire en lien avec le gouvernement reconnu du pays aujourd’hui soumis à la partition. C’est d’autant plus nécessaire que nous savons que cette immigration massive vers l’Europe, par cette voie d’eau qu’est la Libye, correspond à un objectif politique des islamistes, tout en prenant en otage l’Europe par l’exposition au risque de mort des milliers et des milliers de migrants. 

L'Union européenne va dans l'immédiat renforcer les opérations de surveillance et de sauvetage en Méditerranée. Le plan propose de doubler, de trois à six millions d'euros, le budget mensuel alloué à Frontex, l'agence chargée de la surveillance des frontières, afin de renforcer les moyens alloués aux missions maritimes Triton en Italie et Poséidon en Grèce. Ces moyens sont-il suffisants au regard de la crise ? L'Europe aurait-elle les moyens de proposer un plan plus ambitieux ? 

On a le sentiment avec les décisions qui viennent d’être prises, que l’on s’est surtout empressé de répondre à la pression des ONG et des organisations de soutien aux migrants, des médias qui les relayent, pour donner des réponses à moindre coût, au sens politique du terme, aux opinions publiques  nationales. 

Les pays qui peuvent fournir le matériel qui permet le renforcement de cette surveillance sont peu nombreux dans l’UE et encore une fois, c’est la France qui va être en première ligne, alors que l’ensemble des pays européens devraient être mobilisés. L’Europe ne se montre pas à la hauteur de ce qu’elle prétend représenter, comme étant en mesure de parler d’une seule voix, mais aussi d’agir d’un seul pas.

On doit d’abord avoir à l’esprit que ces migrations massives représentent un enjeu politique majeur que la question humanitaire, qui est bien réelle, ne saurait épuiser. La surveillance des risques de dérive mortelle des bateaux, présentée comme la réponse essentielle en termes de dignité et de responsabilité morale de l’Europe, dans cette situation est un leurre. D’ailleurs, le discours médiatique dominant qui prend ce parti pris est souvent absent de toute analyse, parce que favorable en arrière plan à un accueil massif des migrants, qui n’encourage pas à approfondir la question.

On nous fait oublier que les migrants qui prennent les bateaux sont la partie émergée de l’iceberg, alors que des millions d’autres, qui n’ont pas les moyens d’un passage vers l’Europe, restent sur place. On voit bien que le problème ne saurait ainsi se résumer à la question de l’accueil qui de toute façon a ses limites. Il faut voir absolument les choses plus globalement et viser surtout à ce que soit enrayé ce qui s’est mis là en place, en envoyant un message clair et sans ambiguïté aux migrants, qu’ils n’ont pas à espérer être accueillis sans compter sur le territoire européen. Certains expriment que finalement, en prenant l’exemple de l’Allemagne, avec ces migrants on répondrait aux besoins d’apport de population extérieure nécessaire pour faire face aux difficultés démographiques de l’Europe, et à ses enjeux économiques. Mais en réalité, il en va d’une politique d’immigration qui doit être de la maitrise des Etats et non s’impose n’importe comment et dans n’importe quelles conditions pour répondre bien mal à la réalité des besoins.

Une autre façon de voir devrait aussi se faire jour. Pourquoi considérer que de vivre dans un cadre culturel qui n’est pas celui de la richesse matérielle du monde occidental est nécessairement invivable et justifie de migrer, pour des populations qui ont un mode vie fondé sur des valeurs pourtant tout à fait respectables, avec un lien social d’une autre teneur. La richesse illusoire qui attendrait les migrants dans les pays européens serait ainsi censée tout faire, nivelant toutes les cultures ? Il y a là un malentendu qui devrait être levé. C’est d’autant plus vrai que ceux qui défendent l’accueil massif des migrants sont les mêmes qui font la leçon sur l’idée qu’il faudrait adapter nos société en reconnaissant les cultures des migrants ! Il y aurait donc là un nouveau discours à fonder en lien d’ailleurs avec les responsables politiques et de gouvernement des pays sources de l’immigration, par-delà les pays en guerre qui génèrent des réfugiés, évidemment.

Le troisième volet du plan traite de l'accueil. Il propose aux États d'accueillir "au moins 5 000 personnes" ayant déjà obtenu le statut de réfugié, dans le cadre d'un projet de réinstallation. Il est destiné aux Syriens pour les dissuader de tenter la traversée. Dans le même temps, l'UE veut renvoyer au plus vite les migrants économiques. Quels sont les avantages et les limites de la stratégie adoptée par l'UE ? 

Le président du Conseil européen parle encore de simplifier les procédures d'examen des demandes d'asile et de reconduire dans leur pays d'origine les candidats à l'asile dont la demande est rejetée.

Voyons bien tout d’abord qu’une part non négligeable des migrants qui prennent ces bateaux viennent de pays qui ne sont pas en guerre, qui connaissance même une forte croissance pour certains comme la Cote d’Ivoire ou le Tchad. La croissance de l’Afrique en 2014 a été de plus de 5%. Ils émigrent souvent pour des raisons économiques avec pour horizon une terre européenne présentée comme l’Eldorado dont la carte postale est vendue par les passeurs pour multiplier leurs clients.  

Concernant l’accueil, on se doit ici de rappeler qu’il est impérieux que l’Europe répartisse les efforts, alors qu’au sein de l'Union européenne, les pays recevant le plus grand nombre de demandes d'asile en 2014 sont : l'Allemagne avec 202 645 demandes; la Suède, 81 180, l'Italie, 64 625 et la France, 62 735. Suivent le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche et la Hongrie, qui reçoivent entre 5000 et 20 000 demandes, les autres pays de l’UE jouant un rôle extrêmement modeste à cet endroit. Il faut modifier cette anomalie afin que chaque pays prenne ses responsabilités, s’il doit il y avoir accueil dans le cadre de la politique de l’asile. Il en va de la même réalité concernant les dispositifs de décision, avec autant de situations différentes qu’il y a de pays membres. On voit donc combien le débat doit être porté sur la coopération entre ces derniers avec un certain degré d’harmonisation de la législation comme but à se fixer. C’est aussi la condition pour lever la pression qui s’exerce spécialement sur l’Italie, comme porte de l’Europe des migrations actuelles, vécue comme insupportable par les Italiens aujourd’hui et l’Europe comme les abandonnant à leur sort.

Quant à la reconduite des migrants dans leur pays d’origine pour ceux qui seraient déboutés de leur demande d’asile, on sait parfaitement que ces reconduites restent marginales par rapport à ceux qui, dans cette situation restent sur place comme irréguliers. Autrement dit, on imagine les conséquences d’un tel phénomène si on se met à accueillir massivement les migrants pour passer par cet examen de leur situation, laissant s’accumuler de nouveaux sans papiers par dizaines de milliers dans nos pays, présageant d’une catastrophe sociale et politique majeure. Rappelons que le nombre de SDF en France a augmenté de 44% depuis 2001 et qu’ils sont une majorité à être nés à l'étranger, 55%, dont plus de la moitié dans un pays d'Afrique (Maghreb et Afrique subsaharienne). Sans compter encore avec les moyens que cela serait censé mobiliser, car pendant l’examen de leur demande d’asile, les demandeurs ont droit à des prises en charge financières pour vivre, telle l’allocation temporaire d’attente, voire un logement en étant accueilli dans les Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), puisqu’ils sont censés ne pas pouvoir travailler sous ce statut, en dehors d’une autorisation spéciale passé un an d’attente.

Et puis, on oublie aussi totalement la dimension culturelle, c’est-à-dire la problématique de l’intégration. Ces migrants venus d’Afrique ont en général connu des régimes peu démocratiques et pratiqué une notion de la liberté souvent très limitée, dont la conception de la religion n’est pas toujours tournée du côté de la tolérance. L’influence du Wahhabisme et des Frères musulmans par l’entremise de financements des pays du Golfe de mosquées en Afrique subsaharienne, et ce, depuis une vingtaine d’années, a vu se transformer le rapport à la religion dans cette région du monde et poser de nouveaux problèmes, dont les conflits locaux armés impliquant celle-ci dévoilent les contours d’une nouvelle réalité. Le fait que des migrants musulmans aient décidé de jeter par-dessus bord des chrétiens lors d’une traversée alors qu’à terre les islamistes les décapitent, est aussi un fait notable qui souligne certains risques. Les derniers événements en France où un terroriste avait projeté de s’en prendre à des églises, ne doit pas au regard de tout cela laisser indifférent, même s’il ne faut pas généraliser. 

On ne peut négliger ainsi d’aborder, lorsqu’il est question d’accueillir de nouveaux venus dans les pays européens, la question de savoir qu’elle place ils puissent s’y faire et la façon dont ils entendent s’y installer. Leur acclimatation à nos codes culturels, implique une politique d’intégration exigeante, qui ne transige pas avec certaines valeurs. On ne peut non plus faire l’économie de s’interroger sur les risques de communautarisation des migrants que comprend une large politique d’accueil sur fondement humanitaire. Il y a  en toile de fond dans ce domaine des risques, l’islam étant particulièrement concerné, alors que dans plusieurs pays européens on a changé totalement d’attitude face aux musulmans au regard de la volonté d’une part croissante d’entre eux de se replier sur eux-mêmes, tout en affirmant de plus en plus des revendications communautaires à caractère religieux qui visent à l’adaptation à leur culte de la règle commune.

Ce plan européen est-il convaincant ? Manque-t-il d'ambition comme certains l'ont estimé ?

Il manque une vision d’ensemble dans les réponses apportées par ce sommet. Lorsque l’on parle de flux migratoires, c’est à la géopolitique des migrations que l’on s’adresse, et à des enjeux qui frappent à tous les niveaux des questions internationales.

Parallèlement au rôle d’accueil et d’asile de l’Europe, ne serait-il pas moins coûteux et politiquement plus efficace d’agir directement sur les causes des départs, y compris en intervenant sous mandat de l’ONU pour rompre la logique de guerre que certaines factions imposent et qui se rejoignent pour la plupart dans l’islamisme et la violence qu’il contient. D’autant que nous sommes là face à un phénomène qui, du Nigéria à l’Irak, fait des dégâts à divers niveaux des sociétés qu’il faudra d’autant plus de temps que l’ont attend, pour les réparer, et permettre l’installation de régimes stables à perspective démocratique. Faudrait-il encore que les dirigeants des Etats européens, ne doutent pas de leurs valeurs et du modèle qu’historiquement ils portent, mais aussi du rôle que l’Europe peut jouer dans ce jeu où se redessine le monde depuis la fin du communisme à l’Est, face à la puissance américaine, la Chine ou la Russie, voire l’Inde montante.

Enfin, la nécessité d’une dimension militaire de l’action ne doit pas hypothéquer une politique de l’Union européenne en matière d’immigration qui doit pouvoir prendre la dimension d’une politique extérieure globale, qui se fonde sur un véritable partenariat avec les pays tiers en matière de coopération et de responsabilisation, qui reste à mieux articuler aux enjeux. On a alloué 28 milliards d’euros aux pays africains dans le cadre des sommets annuels entre l’UE et l’Afrique, pour la période 2014-2020, dans le cadre d’accords de développement, de la sécurité et de la paix. Il faudrait ici avoir une politique très ambitieuse en terme de moyens mais aussi de contrôle de l’utilisation des fonds et de programmes communs d’action, avec pour objectif central d’enrayer véritablement une logique des flux migratoires qui n’est satisfaisante ni pour les pays de départ ni pour les pays d’arrivée. Ce serait aussi créer les conditions d’une base solide de coopération économique d’égal à égal, dont nous pourrions espérer recevoir les fruits grâce à des accords d’échanges favorables, qui changerait le ressenti européen vis-à-vis d’une Afrique encore perçue, entre autres à travers ces migrations, comme incapable de sortir de son adolescence économique et politique voire d’une par trop tardive convalescence postcoloniale.

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