Pourquoi la loi santé est un sale coup porté aux plus défavorisés et au modèle social français<!-- --> | Atlantico.fr
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Vers une santé à deux vitesse ?
Vers une santé à deux vitesse ?
©Pixabay

Effet secondaire

La loi santé de Marisol Touraine ne résoudra pas les problèmes du système médical français. Pire : en entravant la liberté d'installation, et en donnant les clés aux assurances privées, le système de médecine à deux vitesses arrive à grands pas.

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon est président de la Fédération des médecins de France.

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Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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  • Alors que la loi Santé défendue par Marisol Touraine a pour vocation d'améliorer l'accès aux soins, les dispositifs prévus risquent à termes de provoquer l'effet inverse. 
  • En effet, la loi souhaite placer l'Etat, via les agences régionales de santé et les hopitaux au coeur du système de soins de ville.
  • Pourtant, comme dans le modèle britannique, une fonctionnarisation du système de Santé aurait pour conséquence l'émergence d'une médecine déconventionnée au prix libre, accessible aux plus aisés, donnant corps à un accès au soin à deux vitesses.
  • La réforme symbolise également le caractère plus prégnant à venir des mutuelles, rappelant la médecine "au portefeuille" pratiquée outre-Atlantique.
  • Par ailleurs, la médecine de proximité a déjà fait ses preuves, en démontrant à la fois son efficacité et sa fiabilité. La réforme de Santé dénigre tout à fait les effets positifs du "médecin de famille" qu'elle s'apprête à sensiblement décourager.

Atlantico : En quoi la loi santé est-elle un frein à la liberté d'installation des médecins libéraux, et en quoi cela contribue-t-il à aggraver la pénurie de médecins dans les zones en tension ?

Frédéric Bizard : Cette loi est très orientée anti-exercice libérale. Elle est faite pour favoriser les "maisons de santé" avec un modèle salarial. Mais elle ne répond à aucune des crises fondamentales du système. Elle a pour objet d'introduire un tiers payant qui ne répondra pas aux causes des difficultés d’accès aux soins, son objectif semble être davantage d’amoindrir l’indépendance professionnelle des médecins libéraux pour renforcer la mainmise de l’Etat sur les professionnels de santé. Avec cette loin, on veut passer d’un modèle à la française reposant sur des mécanismes de marché, à un modèle à l’anglaise qui s’apparenterait à un service public de la santé. Ce tiers payant généralisé met fin à l’indépendance financière des médecins vis-à-vis des assureurs, et met donc à mal l’exercice libéral de la médecine, tout simplement. Dans ces conditions, il deviendra peu intéressant de s’installer en médecine libérale à 30 ou 35 ans. Or, elle représente 95% de l’offre médicale en ville. D’ailleurs on voit apparaître de nouvelles formes de déserts médicaux, plus uniquement dans les zones rurales ou les zones urbaines sensibles, mais dans des grandes villes comme Paris, où une consultation à 23 euros ne permet pas de supporter le coût de la vie. Et je rappelle que 25% des médecins ont plus de 60 ans, le pire est donc à venir…

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Deuxième problème : le service public hospitalier restreint les vraies missions de service public (comme les urgences ou la fin de vie…) en voulant créer des monopoles de l’hôpital, ce qui met fin à un pilier important : la liberté de choix du patient. Et quand il n’y aura plus sur un territoire qu’une "maison de santé", ce sera la même chose. Or, la liberté de choix et la pression concurrentielle est inhérente au modèle français.

Enfin, troisième problème, le transfert massif de données aux Agences régionales de santé, des services déconcentrés, avec un directeur nommé en Conseil des ministres, et donc totalement aux mains du politique…   

Jean-Paul Hamon : Il est question dans cette loi de "conventionnement sélectif". Cela veut dire que si l’ARS décide qu’une zone est surdotée, elle pourrait refuser le conventionnement, voire déconventionner des médecins qui y sont déjà. Mais dans l’absolu, il n’y aura bientôt que des zones sous-dotées quand on voit que même Paris commence à connaître des difficultés. Il y a 30 ans, 60% des médecins s’installaient en libéral, ils ne sont plus que 30% aujourd’hui. Et aujourd’hui, pour 2 installations, il y a 19 départs…

Face aux contraintes croissantes sur le conventionnement, risque-t-on de voir des médecins purement et simplement se déconventionner massivement ?

Frédéric Bizard : Il y a déjà des réflexions chez les médecins sur cette question. C’est une menace sérieuse et réelle pour l’exercice de la santé libérale, car les médecins ont tout intérêt à faire le maximum pour contourner cette loi. Mais en attendant cette perspective, il faut s’attendre à un délai de plusieurs années. On risque plus de voir les médecins multiplier les fermetures de leur cabinet, le temps d’avoir un amendement à la loi qui leur soit plus favorable. 

Jean-Paul Hamon : C’est un vrai danger. Des cellules de déconventionnement ont déjà commencé à se créer en Bretagne ou dans la région de Tarbes où 70 médecins ont préparé une charte de solidarité pour désobéir à la loi. Des initiatives similaires se préparent en Normandie… Des médecins un peu partout pensent à quitter la convention et il faudra inventer un nouveau système. Et cela d’ailleurs ne date pas de l’arrivée de la gauche au pouvoir, c’est un problème qui a dix ans maintenant.  

La loi santé est-elle, comme beaucoup de critiques le soulignent, la victoire d'une mainmise des mutuelles privées sur la santé française ?

Frédéric Bizard : Si on pouvait identifier un gagnant dans cette loi, ce sont clairement les assureurs privés. Ils n’aiment pas l’indépendance professionnelle des médecins, et préfèrent des professionnels à la botte de l’Etat. Le tiers payant va amoindrir cette indépendance et va développer les réseaux de soins conventionné. Ce sera le pire des systèmes : une inspiration anglaise et des aspects américains, à savoir le low cost pour tous et la médecine au portefeuille typique des Etats-Unis. Le gouvernement veut imposer un seul flux financier pour payer les médecins, y compris dans la partie complémentaire, ce qui a déplu aux assureurs qui veulent être en direct avec les médecins, pour faire pression sur eux. Et elles ont obtenu gain de cause ! Ils vont pouvoir orienter les usagers vers leurs réseaux de médecin et pourront imposer demain des listes de prescriptions de médicaments choisis, pas toujours dans l’intérêt du patient. Cette loi n’est que régression…  

Jean-Paul Hamon : Il y a beaucoup de ministres, de députés, de rapporteur de la loi qui sont passés par la MNEF, la Mutuelle bretonne… avec des emplois plus ou moins fictifs… Les conflits d’intérêt sont immenses. Un des rapporteur de la loi dans sa déclaration de conflit d’intérêt a reconnu recevoir de Generali 4797 euros mensuels comme médecin du travail à temps partiel… Le lobby des mutuelles a bien réussi son travail. Et quand la loi sera en application, ce sera la porte ouverte aux réseaux médicaux labellisés par ces assurances.

Se dirige-t-on alors vers une santé à deux vitesses, entre des patients aisés consultant des médecins déconventionnés, et personnes plus modestes cantonnés à des médecins salariés de dispensaires au fonctionnement lourd et peu adaptable ?

Jean-Paul Hamon : C’est surtout le manque d’information qui est discriminant, pas le manque d’argent. Ce ne sont pas les médecins qui vous prennent le plus cher qui vous soignent le mieux. Mais en 14 ans, le système français dans le classement de l’OMS est passé de la 1ere place à la 19e place.

Il faut revenir à un système où l’hôpital n’est plus le premier recours, il faut y interdire les consultations extérieures, et ne permettre aux urgences que de recevoir des malades venus en ambulance ou sur un courrier de leur médecin. Rien que cette bonne éducation de la population, alliée à une réforme des urgences qui accueillent chaque année 12 millions de personnes qui n’ont rien à y faire – notamment car cela leur rapporte 3 milliards –  résoudrait beaucoup de problème. Il faut aussi aider les médecins à pouvoir évoluer dans des structures légères et pas dans ces "maisons de santé" hypertrophiée réunissant 30 ou 40 médecins pour qui il faut un directeur des ressources humaines et un gestionnaire financier…

Face au risque de cette médecine à deux vitesses, pourrait-on voir l'amplification d'un phénomène encore marginal : la désaffiliation des particuliers aisés de la sécurité sociale, puisque le système à deux vitesses n'a plus rien de solidaire ?

Jean-Paul Hamon : Se désengager de la Sécurité sociale n’est pas très simple. Il faut une énergie colossale et ne pas avoir peur des procédures. Par contre, le vrai risque est plutôt de voir cette Sécurité sociale contrainte de rembourser les patients comme si de rien n’était s’il y a un déconventionnement massif. Que se passera-t-il en effet si, sur un territoire, il n’y a plus que des médecins non conventionnés pour s’occuper de patients, qui, eux, cotisent pourtant à la Sécurité sociale ? On ne tardera pas à voir des manifestations de patients en colère…

Frédéric Bizard : En tant qu’économiste, je note que l’on n’a pas trouvé de meilleur système que celui d’une assurance avec un premier niveau de protection publique, basé sur la solidarité des bien-portants avec les malades. Or, ce système ne peut être qu’obligatoire pour garantir les cotisations des bien-portants… Ce qui est en cause, ce n’est pas l’efficacité de cette mutualisation, puisqu’il garantit que vous ne vous appauvrissez pas en cas de maladie grave. Ce qui est en cause, ce n’est pas les fondamentaux du modèle, c’est de le faire passer dans le XXIe siècle. Avec cette loi, par aveuglement et idéologie, on veut enterrer ce modèle pour aller vers quelque chose qui semble plus étatique, et dans une logique plus "comptable".

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