Journée nationale contre l'austérité, mais quelle austérité ? Rappel élémentaire sur une réalité tout aussi têtue que les syndicats (ou le gouvernement)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les syndicats (CGT, FO, FSU) ont appelé à manifester aujourd'hui contre "l'austérité" .
Les syndicats (CGT, FO, FSU) ont appelé à manifester aujourd'hui contre "l'austérité" .
©Reuters

Obstination dans l’erreur

Mercredi 8 avril, à la veille de la manifestation organisée par plusieurs syndicats contre "l'austérité", François Rebasmen a déclaré que le gouvernement n'en avait jamais faite... En prenant à l'appui les évolutions du pouvoir d'achat. Des positions qui en disent long sur les connaissances du gouvernement en matière économique.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Les syndicats (CGT, FO, FSU) ont appelé à manifester aujourd'hui contre "l'austérité" et ses "effets destructeurs". Peut-on objectivement parler d'austérité en France ?

Nicolas Goetzmann : Ce que les syndicats appellent austérité en France, c’est plutôt l’absence de relance. Les politiques d’austérité sont celles qui ont pour objectif la réduction des déficits d’un Etat, la réduction de l’endettement public. Pour arriver à un tel résultat, il s’agit soit de réduire drastiquement les dépenses publiques soit d’augmenter les revenus à travers les impôts. Ou les deux. Mais lorsque les syndicats français appellent à lutter contre l’austérité, ils le font en extrapolant à la France ce qui a eu lieu en Espagne ou en Grèce par exemple, ce qui est véritablement abusif. Parce que l’austérité à la grecque, ce sont des salaires de fonctionnaires qui baissent de 20 à 30%, alors que le nombre total de fonctionnaires dans le pays était réduit de 200 000 personnes, soit un quart du total. En France, une telle mesure correspondrait à 1.3 millions de personnes. Sans oublier, la baisse du SMIC de plus de 22 %, pour arriver à 683 euros, et plus de 30% pour les moins de 25 ans. De la même façon, les retraites supérieures à 1200 euros ont été réduites de 20%. Ce sont des mesures extrêmement lourdes. La Grèce a vu son PIB baisser de 25% sur cette période et le pays connait un chômage également proche de 25%, tout comme l’Espagne. Si la situation de la France n’est pas flamboyante, la comparaison avec les politiques d’austérité des pays du sud est réellement inappropriée.

>> Lire aussi Le patron de la CFDT aimerait voir les études qui prouvent que la flexibilité est bonne pour l’emploi ? Les voici

Le gouvernement et les syndicats se trompent-ils dans l'appréciation qu'ils font de l'austérité ?

Nicolas Goetzmann :François Rebsamen évoque la hausse du pouvoir d’achat des Français pour mettre en avant l’absence d’austérité en France. Mais la hausse du pouvoir d’achat qui a eu lieu en France au cours de la dernière année ne provient pas de la hausse des revenus mais de la baisse de l’inflation. Les revenus stagnent ou progressent lentement, et la baisse du pétrole, la baisse des prix, permettent de faire apparaître cette stagnation comme une progression relative. C’est évidemment un jeu de dupes. Sur cette même base, on pourrait tout aussi bien dire que la baisse des prix en Grèce, qui est la conséquence de l’effondrement de la demande, est une "super bonne nouvelle". C’est absurde. Mais s’il n’existe pas de politique d’austérité à proprement parler en France, la stagnation économique est réelle. A moins que le ministre ne souhaite se féliciter des 0.3% de croissance des années 2012, 2013 et 2014, et de la hausse du chômage. Ce n’est pas l’austérité, mais la médiocrité.

Pour les syndicats, il y a une part d’indécence, car il s’agit de surfer sur le drame des pays du sud, pour mobiliser en France. La stagnation économique est un argument suffisant pour critiquer le gouvernement, ce n’est pas la peine d’aller revendiquer une quelconque similitude avec ce qui se passe ailleurs. La ficelle est si grosse que le gouvernement peut répondre assez tranquillement en montrant les différences entre la France et les pays qui subissent ce régime.

Pourquoi est-il préférable que le gouvernement n'ait pas mis en oeuvre cette conception hasardeuse de l'austérité ? Qu'est-ce que cela aurait donné ?

Nicolas Goetzmann : On peut reprendre l’exemple grec pour se faire une idée. On baisse le SMIC de 20 à 30%, on baisse les retraites de 20%, on licencie plus de 1.3 millions de fonctionnaires, et on attend de voir ce qui se passe. La Grèce a perdu un quart de sa richesse nationale avec ses mesures, pour la France, cela représente 525 milliards d’euros environ. Le résultat est donc un drame absolu qui, de plus, rate sa cible. Car l’objectif de départ est quand même de permettre un meilleur ratio de dette sur PIB. Mais puisque le PIB chute aussi vite, voire plus vite, que les dépenses, il n’existe aucune amélioration de la situation budgétaire du pays. On appauvrit la population de 25% et on se rend compte, a posteriori, que cela ne fonctionne pas. Il n’est pas nécessaire d’être devin pour imaginer que la population française, plutôt éruptive, n’aurait pas toléré un tel traitement. Il suffit de se souvenir des premiers mois de François Hollande pour le comprendre (bonnets rouges, etc..) Le pays aurait certainement basculé dans le chaos, pour rien. Parce que ces politiques sont aussi néfastes que contre-productives. Les seuls exemples de baisse relative des dépenses publiques ont été permis par le mixe suivant : stagnation ou baisse des dépenses budgétaires accompagnée d’une relance monétaire. Pour compenser. Les exemples de la Suède et du Canada, ou du Royaume-Uni le démontrent. Mais l’austérité "à sec", c’est une politique à oublier.

Quelles ont été les vraies mesures d'austérité ? Et quels en ont été les effets sur l'économie ?

Philippe Crevel : Si l’on regarde sur les périodes allant de 2012 à 2014, le pouvoir d’achat par unité de consommation est resté très "flat", avec des croissances extrêmement faibles, voire en recul si l’on considère l’année 2013. Pour autant il ne s’agit pas d’austérité.

Il est certain qu’aujourd’hui, si une dimension de l’austérité a pu être observée, c’est au niveau de l’augmentation de l’imposition qu’on l’a vu. Les classes moyennes tout d’abord, via les allocations familiales rabotées, des conditions de ressources revues à la baisse, le plafonnement du quotient familiale, ou de certaines augmentations d’impôts qui ont spécifiquement ciblé les retraités avec le gel des pensions (régime de base ainsi que régime complémentaire), ou ceux concernés par l’impôt sur les revenus. L’austérité a donc été sélective.

Les ménages, et plus globalement les agents privés ont très fortement été mis à contribution dans la dépense publique, de 2012 à 2014 avec un taux historique de 45.7% du PIB.

Globalement et contrairement à ce qu’avait dit le candidat François Hollande, tout le monde a été mis à contribution. L’augmentation de la TVA par exemple a bel et bien touché l’ensemble de la population, modestes et aisés. Les entreprises aussi, avec l’augmentation des cotisations retraites, plusieurs dispositions sur l’Impôt sur les sociétés, ainsi que tout ce qui touche aux plus-values (même si c’est moins vrai depuis début 2014).

Cette imposition accrue a bien entendu eu un impact sur l’économie réelle, dont les investissements étrangers. La taxe sur les très hauts revenus, ainsi que le matraquage fiscal et social ont eu un impact réel et fort sur 2013, avec un recul impressionnant des investissements étrangers. L’instabilité des cadres législatifs en matière de structures fiscales, le manque de visibilité ont également joué à diminuer les investissements.

On peut évaluer l’impact de ces augmentations depuis deux ans, par une diminution de 0.7 à 0.8% du PIB, soit 0.4% par an. Quand on regarde la croissance à 0.4%, cela signifie que l’on a amputé la croissance possible par deux en France.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !