Le défi de la dépression : derrière le crash volontaire Germanwings, les ravages d’une maladie qu’on sait si mal traiter<!-- --> | Atlantico.fr
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La depression, une maladie encore mal connue
La depression, une maladie encore mal connue
©Reuters

Indépassable ?

La dépression dont souffrait le pilote de l'Airbus A320 serait la cause de son geste mortel. Entre des traitements aux effets multiples, un diagnostic parfois compliqué, et des risques de rechute, cette pathologie résiste aux nombreux efforts de la médecine. Et elle touche toutes les catégories d'âge, quand elle n'est pas, de plus, sous-estimée.

Adeline Gaillard

Adeline Gaillard

Adeline Gaillard est psychiatre à l’hôpital Sainte Anne (Paris) et spécialiste du traitement de la dépression.  Elle est également auteur d'un livre « Antidépresseurs », coécrit avec le Dr David Gourion, sorti fin octobre 2015 aux éditions Delachaux et Nestlé.

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Atlantico : Commentant le geste du copilote de l'A320 écrasé dans les Alpes, le docteur Bernard Debré, auteur du "Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" a déclaré que son traitement contre la dépression était "sans doute responsable du drame". Quels éléments viennent à l'appui de cette supposition ?

Adeline Gaillard : Il faut prendre ces propos avec beaucoup de précaution, car beaucoup de gens suivent ce type de traitement et il ne s'agirait en aucun cas qu'ils l'arrêtent subitement. Il est vrai que les patients qui ont des dépressions sont plus à risque de suicide, et que les patients qui ont des formes sévères sont surtout ceux qui sont mis sous antidépresseurs. On ne peut pas s'étonner que des suicides interviennent. Il est vrai que lorsqu'un antidépresseur est donné, celui-ci n'agit pas tout de suite.  Pendant les deux à quatre semaines qui suivent la personne peut être toujours aussi triste et déprimée, et présente donc plus de risques de se suicider. En outre, pendant cette période à risque, des antidépresseurs peuvent augmenter l'énergie physique, ce qui peut dans certains cas favoriser un passage à l'acte. C'est pourquoi les prescriptions doivent être encadrées, et si nécessaire, être accompagnées d'anxiolytiques. Et bien entendu il faut que le médecin voie très régulièrement le patient pour prévenir ce risque.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu'est la dépression ? Quelle est la différence avec la bipolarité ?

La dépression correspond à l'apparition pendant au moins 15 jours d'une tristesse très importante accompagnée d'une perte des envies, de plaisir, de l'élan vital. Elle s'accompagne de symptômes physiques tels que la perte d'appétit et de sommeil, la diminution de la libido. Et lorsque la dépression devient sévère, des idées noires apparaissent, dont l'envie de se suicider, avec un fort sentiment de culpabilité, de dévalorisation et de désespoir. Ce qui amène à penser que la mort est la seule issue. Il ne faut surtout pas confondre avec le coup de déprime temporaire.

La dépression et le trouble bipolaire sont tous les deux des troubles de l'humeur. A la différence près que le trouble bipolaire se traduit par une alternance de phases dépressives et maniaques. Ces phases maniaques sont des phases d'euphorie, où les personnes ne ressentiront plus le besoin de sommeil, auront des projets exagérés, auront une surestimation de soi. C'est dans ces moments-là qu'elles effectuent des dépenses inconsidérées et prennent des décisions à l'emporte-pièce. La dépression se traite avec des antidépresseurs, la bipolarité, avec des régulateurs de l'humeur.

Dès ses 22 ans, le copilote a été suivi pour dépression. On a encore du mal à admettre qu'un jeune ou un enfant puisse être touché. Y a-t-il encore des blocages dans la détection à ce moment-là ?

La première cause de mortalité chez les 15-30 ans est le suicide, devant les accidents de la route. Pour certains âges de la vie on constate plus de risques de dépression, notamment chez les jeunes. Il est difficile de diagnostiquer la dépression chez eux car ce sont principalement des problèmes de comportement qui sont constatés, et le jeune a plus de mal à confier sa tristesse.  

Le problème se pose-t-il aussi pour les personnes âgées ?

C'est aussi un moment difficile pour la détection,  car les personnes âges expriment différemment les choses. Elles sont souvent plus isolées, et peuvent avoir tendance à manifester leur détresse au travers d'un comportement hostile.

Les femmes aussi sont plus fréquemment sujettes à la dépression au moment de la grossesse, après l'accouchement et au moment de la ménopause.

Il y a autant de types de dépressions que de personnes dépressives, est-on tenté de dire… Dans quelle mesure cela complique-t-il notre capacité à apporter le traitement adéquat ?

Le traitement se fait avec des antidépresseurs, mais tous n'agissent pas de la même manière. Certains sont plus stimulants, d'autres plus sédatifs et il faut donc adapter le traitement en fonction des symptômes. Il faut faire un choix, et si le traitement ne fonctionne pas, il faut procéder à une réévaluation pour en essayer un autre. On peut comparer cela à un pari : si ça marche, tant mieux, sinon, on continue de chercher.

Certaines personnes ont des prédispositions, et peuvent avoir des parcours de vie bien à elles. Est-ce aussi une donnée qui rend le traitement encore plus difficile à établir ?

Il existe une irritabilité génétique des troubles de l'humeur. Lorsque des parents ou des frères et sœurs ont fait des dépressions ou sont bipolaire, on présente plus de risques. Il s'agit d'une vulnérabilité qui peut être majorée  par des traumatismes dans l'enfance, des situations de stress, des licenciements, des divorces… Cela ne veut pas forcément dire que les personnes qui ont cette hérédité ou vivent ces événements feront des dépressions, mais la probabilité est renforcée par l'agrégation de facteurs.

En outre, plus on fait de dépressions, plus on risque d'en faire par la suite. C'est une maladie qui peut évoluer pour son propre compte, ses épisodes se déclenchant pour des facteurs non identifiés.

Les épisodes dépressifs doivent être mieux repérés, car aujourd'hui une personne déprimée sur deux n'est pas soignée, ou l'est insuffisamment. Cela signifie qu'il ne faut pas seulement chercher à aider la personne à se sentir mieux, mais qu'il faut viser la rémission totale des symptômes. Pour cela il faut prévenir les rechutes, donc poursuivre le traitement dans certains cas, traiter les autres maladies psychiatriques qui peuvent être associées, etc.

Sommes-nous en capacité en France de traiter tous les cas de dépression de manière optimale ?

Aujourd'hui en France, les premières personnes à rencontrer les cas de dépression sont les généralistes. Or ils sont débordés de patients, insuffisamment payés, et ne sont pas tous formés spécifiquement pour repérer les dépressions. De plus, ce type de consultation nécessite un temps qu'ils n'ont pas.

Par ailleurs, l'accompagnement psychothérapeutique en France n'est pas optimal. Il est facile de trouver un psychothérapeute à Paris, mais pas forcément dans certaines zones. Sans compter que les psychothérapies ne sont pas remboursées. C'est un vrai problème de santé publique. Il faudrait faciliter l'accès des patients aux psychothérapies, qui aident à prévenir les rechutes dépressives, il faudrait aider les généralistes pour qu'ils puissent mieux détecter les dépressions, et mieux former le corps médical à la prescription des psychotropes. La France est réputée pour en être le plus gros prescripteur, mais la réalité est plus complexe : on prescrit trop de psychotropes probablement parce que dans les cas ou des psychothérapies seraient mieux adaptées, les patients n'ont pas forcément les moyens de se les payer. Les prescriptions d'anxiolytiques sont trop nombreuses, mais pour les antidépresseurs c'est différent : ces derniers sont souvent mal prescrits, à des personnes qui n'en ont pas toujours besoin, et par contre les dépressions sévères sont bien souvent insuffisamment traitées, ou à des doses trop faibles. La question qui se pose concernant le copilote de l'Airbus est de savoir s'il était correctement traité : était-il assez suivi, les doses convenaient-elles ? Pour schématiser, dans un tiers des cas le patient se rétablit complètement, dans un autre tiers les symptômes baissent mais pas assez, et dans le troisième rien ne se passe. Il ne faut pas baisser les bras parce que les premiers traitements ne fonctionnent pas.

Peut-on vraiment guérir de la dépression ?

Beaucoup d'épisodes dépressifs sont sans lendemain. Par contre il va sans dire que lorsqu'on a fait une dépression, on a plus de risques d'en refait au cours de sa vie. Il faut tenir compte de cette vulnérabilité, mais ce n'est pas à cause de cela qu'il faut se sentir exclu de certains métiers ou activités. Durant les mois qui succèdent un premier épisode, il est important de bénéficier d'un suivi. En revanche pour les cas à répétition, un suivi régulier toute la vie s'impose. 

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