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Les raisons du ralliement européen à la banque chinoise concurrente de la Banque mondiale
©Reuters

Colère à Washington

C’est une annonce qui ne plaît pas à l'administration Obama : la France, l’Allemagne et l’Italie, dans le sillage de la Grande-Bretagne, ont décidé de s'associer au projet de Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB), piloté par la Chine. Une initiative qui dénote une perte d'influence des Etats-Unis.

Françoise Nicolas

Françoise Nicolas

Françoise Nicolas est Directeur du Centre Asie de l’Institut Français des Relations Internationales (ifri). Elle est également maître de conférences associé à l'Université de Paris-Est où elle enseigne l'économie et les relations internationales.

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Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : Quelle est la vocation de l'AIIB ? Pourquoi ce projet déplaît-il aux Etats-Unis ?

Françoise Nicolas : Il s’agit a priori d’une banque de développement classique mais dont la vocation est d’aider prioritairement à financer les investissements dans les infrastructures dans la région Asie-Pacifique. Au-delà de cet objectif d’aide au développement, toutefois, il s’agit également pour la Chine, qui sera la principale contributrice, d’une part de faciliter la mise en œuvre de ses projets de développement des Routes de la Soie (par voie terrestre vers l’Asie Centrale et par voie maritime vers l’Asie du Sud-Est) et d’autre part d’accroître son influence et son « soft power » dans la région. Il va sans dire que c’est ce dernier objectif qui suscite le courroux américain. Par ailleurs, ce que les Etats-Unis craignent c’est que les conditions d’octroi de prêts  retenues par cette banque ne correspondent pas aux normes en vigueur dans d’autres institutions d’aide au développement. Si tel était le cas la concurrence de l’AIIB serait jugée à la fois déloyale et dangereuse pour les institutions existantes comme la Banque Mondiale.

Jean-François Di Meglio : L’un des axes principaux de la banque est d’investir dans les infrastructures en particulier ; il y a complémentarité parfaite entre la conception européenne (on devrait même dire "continentale") des investissements à long terme dans les infrastructures, le besoin des grands pays asiatiques de rattraper certains retards dans ce domaine, la capacité des deux côtés concernés à se projeter dans le long terme et peut-être aussi l’idée en Europe que les infrastructures existantes devront à un moment ou à un autre être revues, refinancées, rénovées. Il y a complémentarité du savoir-faire industriel et du savoir-faire financier européens avec les besoins asiatiques.

La concurrence dans des métiers qui ne sont pas vraiment orientés vers les marges bancaires les plus favorables, mais restent des métiers "d’accompagnement" financier n’est peut-être pas la meilleure façon de définir cette nouvelle rivalité, qui, cependant aura sûrement des conséquences en matière "d’influence" chinoise.

Les Européens ne sont pas les seuls à être tentés par cette association avec les Chinois : les Australiens se montrent eux aussi de plus en plus intéressés, ce malgré les pressions exercées par Washington. Qu’est-ce que ces tractations et jeux d’influence disent des recompositions internationales qui ont cours actuellement ?

Françoise Nicolas : Alors que les alliés des Etats-Unis dans la région (Australie, Corée du Sud et Japon en particulier) s’étaient initialement opposés au projet, s’alignant ce faisant sur la position américaine, ils semblent effectivement, tout au moins pour certains d’entre eux, changer progressivement de posture. Le revirement de l’Australie semble indiquer que la puissance économique (et surtout financière) de la Chine peut prendre le pas, dans certains cas, sur la puissance militaire américaine. Le positionnement de la Corée du Sud sera à cet égard particulièrement intéressant à suivre.  Pour l’heure le Japon demeure le seul allié des Etats-Unis à maintenir son opposition, un état de fait révélateur de l’importance de l’alliance militaire nippo-américaine.    

Quel intérêt les Européens et les éventuels futurs participants y trouvent-ils, pour oser braver de la sorte leur puissant allié américain ?

Françoise Nicolas : L’intérêt des pays européens à participer à ce projet est avant tout de nature économique. Ils y voient sans doute le moyen de faciliter l’accès de leurs entreprises au vaste marché d’infrastructures de la région Asie-Pacifique. Par ailleurs, en participant à l’institution en tant que membres-fondateurs, ils espèrent peut-être aussi pouvoir s’assurer que le fonctionnement de l’institution se conformera bien aux règles habituellement suivies par la Banque Mondiale et les banques régionales de développement. Ces règles concernent en particulier le respect de  normes de gouvernance, environnementales ou encore sociales. Le respect de ces règles constitue en effet une condition dont l’importance a été soulignée par les différents gouvernements européens lors de leur ralliement au projet et c’est un argument de poids pour  le justifier.

Jean-François Di Meglio : Le jeu monétaire est en train de changer. Après avoir été un vrai duopole, avec une monnaie chinoise peu internationalisée et finalement "scotchée" au dollar, on observe un rééquilibrage (gagnant si la Chine revend très cher contre Euro des dollars qu’elle avait acquis meilleur marché) des réserves chinoises en devise.

Il y a peut-être la prise de conscience que la remontée du dollar si bien orchestrée par une FED (qui doit parler ce mercredi 18 mars, attention) qui a remarquablement géré la sortie de crise des Etats-Unis n’a pas que des avantages pour les partenaires, et qu’il est temps de créer un autre pôle financier que Wall Street. Fonder de nouveaux marchés de dette en Europe où la devise chinoise peut être plus présente a de l’intérêt, et "engagera la Chine". Il est intéressant de voir que la Chine a refusé de voir sa devise "internationalisée malgré elle" comme elle prétend que le yen l’a été dans les années 90, causant aux yeux des Chinois la crise financière et bancaire japonaise ainsi que la stagnation de l’économie. Il est clair que prendre l’initiative maintenant après une longue période de réflexion est une preuve que la Chine souhaite être autonome, à la "manœuvre", et susceptible de réussir une "internationalisation", voire un changement des règles monétaires que le Japon n’aurait pas réussi.

Comment comprendre que d’un côté les Etats européens s’apprêtent à signer le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) avec les Etats-Unis, et qu’en parallèle ils s’associent avec la Chine pour créer un concurrent de la Banque mondiale ?

Françoise Nicolas : Ces deux projets n’ont pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. Dans le premier cas il s’agit de définir les conditions dans lesquelles les échanges commerciaux (au sens large du terme) seront conduits dans les années à venir entre les deux rives de l’Atlantique. Au-delà, ce sont en réalité les règles du jeu du commerce international qui sont en discussion, or dans ce domaine, la convergence de vues est forte entre les deux partenaires, même si certains points de friction ou de désaccord demeurent. Dans le deuxième cas, les pays européens cherchent à tirer parti de la puissance financière chinoise tout en espérant parvenir à en cadrer l’utilisation, de manière précisément à éviter que la nouvelle structure ne soit véritablement concurrente de la Banque mondiale mais plutôt complémentaire.

Jean-François Di Meglio : Le monde n’est pas seulement polarisé, il est aussi multiple, et il ne s’agit pas exactement des mêmes domaines d’activité. Il faut noter par ailleurs que la prudence est de mise pour les deux sujets. Seules des intentions ont été déclarées à ce stade. Entrer dans le capital de cette banque peut être aussi un moyen d’en modeler les règles. Quant au traité de libre-échange, il est typique d’un monde où les traités globaux (OMC) sont en perte de vitesse, et il n’est pas encore achevé.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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