10 questions vitales que les médecins craignent trop souvent de poser à leurs patients<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Des informations sur le passé pourraient permettre de prévenir des maladies graves.
Des informations sur le passé pourraient permettre de prévenir des maladies graves.
©Reuters

Le poids du passé

Une étude américaine montre qu’interroger les patients sur leur enfance permettrait aux médecins de prévenir les risques de maladies graves. Dix simples interrogations suffiraient pourtant à détecter des violences du passé, et prévenir ses conséquences physiques et psychologiques.

Gilles Lazimi

Gilles Lazimi

Médecin généraliste au centre municipal de santé de Romainville responsable des actions de prévention santé. Membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh).

Voir la bio »

Atlantico : En quoi est-il important, pour les médecins généralistes, de poser ces questions sur les traitements subis pendant l'enfance ? Quel en est l’enjeu ?

Gilles Lazimi : L’enjeu est majeur. On sait que ces événements traumatiques vont avoir des conséquences sur le développement de l’enfant en raison du stress chronique sur son développement neuronal et son psychisme. Cela signifiie que ces enfants traumatisés par ces violences, sont inondés d'hormones liées au stress chronique et dont les conséquences peuvent être majeures, avec un risque beaucoup plus important de développer, à l’âge adulte, de nombreuses pathologies physiques somatiques et psychiques. L’étude de Felitti et Anda, menée sur 13 000 personnes, a montré la relation qu’il y avait entre les événements traumatiques de l’enfance et certaines pathologies à l’âge adulte. Sur les dix questions posées dans cette étude, les patients adultes ayant repondu positivement à quatre d'entre elles et plus  ont  par exemple, deux fois plus de risques d’être dépendant au tabac, quatre fois plus de dépressions, deux fois plus de tentatives de suicide, sept fois plus d’alcoolisme, deux fois et demi plus de risques de contracter une IST, deux fois plus de cancer, quatre fois plus de broncho-pneumopathie chroniques liées au tabac, deux fois et demi plus d’hépatites, deux fois plus d’état de santé précaire, risque de toxicomanie par injection multiplié par dix, deux fois et demi plus de risque d’être agressé ou agresseur, une fois plus de diagnostic de diabète, trois fois plus de risques d’avoir une cinquantaine de partenaires sexuels.

Cela veut dire qu’on est dans un état psychique et physique plus altéré que quelqu’un qui n’a pas subi, enfant, de violences. On peut avoir une mauvaise prise en charge de soi, une mauvaise estime de soi-même, des difficultés dans sa sexualité ou dans ses relations avec autrui ainsi qu’une prédisposition à consommer des psychotropes, à être dépressif ou avoir des maladies ou encore à prendre des risques avec son corps et sa santé. En conclusion, on est plus fragile. Ces conséquences sont dues à un stress chronique, une inondation des hormones de stress avec des altérations de la mémoire traumatique et des tableaux complexes peuvent en découler.

>> Et pour accéder au questionnaire... Maltraitance : 10 questions pour comprendre l’impact de votre enfance sur votre santé actuelle

Ces questions sont importantes, pourquoi ne sont-elles pas assez posées aujourd’hui ?

Elles ne sont pas assez posées car pendant longtemps on ne s’est pas occupé des violences, on ne dépistait pas assez les violences contre les enfants ou les femmes. Il faut apprendre à poser les questions, il faut populariser ces remarquables études qui montrent l’augmentation majeure du risque. Au lieu de dire à une personne de ne plus fumer ou de moins boire, il faudrait s’occuper des causes pour lesquelles il le fait, pourquoi une femme se prostitue, etc. Le fait de connaître ces événements permet d’aider ces personnes, parfois sans médicament, car cela permettra de connaître la mémoire traumatique et ses souvenirs, qui sont la cause de nombreuses pathologies.

Est-ce que, quelque part, les médecins n’ont-ils pas peur de poser ces questions ? Y a-t-il une forme de retenue ?

Je pense que les médecins dans leur grande majorité n’ont pas été formés à cela, or on ne sait faire que ce qui nous a été appris. Il faut donc les former. Il y a dix ans encore, les universités n’enseignaient pas ou peu ce qu’est le stress post-traumatique, les conséquences des violences. On a commencé à connaître les conséquences du stress post-traumatique qu’à partir de la guerre du Vietnam grâce aux soldats qui en revenaient. Aujourd’hui, on en parle de plus en plus, après les attentats comme ceux du métro Saint-Michel, par exemple. Maintenant il faut passer à la vitesse supérieure, que les facultés de médecine popularisent ces études. A l’université Pierre et Marie Curie, à Paris, on enseigne les conséquences des violences, les jeunes médecins sont de mieux en mieux formés et le message essentiel positif c'est que, bien accompagnés par un médecin formé, les patients vont mieux.

Dans l’étude, les questions sont très directes. En France ces questions doivent-elles être réadaptées ?

Le test de Felitti est une étude scientifique qui a été menée par des gens très motivés, mais il y a peu d’endroits, dans la réalité, aux Etats-Unis, où l’on pose toutes ces questions. Il faut adapter ces questions à la consultation. Moi je  pose de façon systématique, « Avez-vous été victime de violences verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles ? ». Je peux vous assurer que cela fourni déjà beaucoup d’éléments. C’est un premier temps et les personnes répondent sans aucune gêne. Je pose également « Dans vos rapports sexuels, est-ce toujours vous qui décidez ? ». Ce sont des éléments simples qu’on apprend aux étudiants en médecine, et cela permet de moins traiter les gens, de mener une bonne conduite thérapeutique et d’améliorer la relation patient-médecin.

Est-ce que ce n’est pas difficile de poser ces questions ? Le patient ne risque-t-il pas de se braquer ?

Non, ce n’est pas difficile si on est formé à le faire, si on en connaît l’intérêt. Et les patients sont reconnaissants : s’il n’y a pas de problème, il n’y a pas de souci car si le patient demande le pourquoi de la question on lui dira que c’est parce que ce type de choses peut générer des ennuis de santé. Par contre, s’il y a un problème, la personne qui a vécu quelque chose sera soulagée de pouvoir le dire  car vous leur ouvrez la porte, vous êtes leur médecin, ils ont confiance et vous ont choisi, vous êtes dans le secret médical. Permettre de mettre des mots sur sa souffrance, de ne plus être seul avec ses souvenirs traumatiques et leurs consequences,  c’est essentiel, c'est le premier temps therapeutique, vous n’êtes plus seul , on peut vous aider.

Aujourd’hui les médecins le font-ils déjà et seront-ils amenés à le faire d’avantage dans le futur ?

Ils le font de plus en plus, mais pour cela il faut une formation. Il faut que les ministères de le santé, du droit des femmes et de l’université mettent réellement les moyens qu’il y ait des formations qui soient instaurées. Il n’y a pas d’autres choix. Il faut pousser la sensibilisation aux études comme celle de Fileti et Anda. Montrer à quel point des centres, comme celui de Felliti et Anda, font des travaux remarquables avec lesquels un grand nombre de personnes ayant vécu des traumatismes s’en sortent. Et on s’en sort, et ça c’est important. De plus cela permet d’améliorer l’état de santé, de résoudre un certain nombre de problèmes et de maladies, d’expliquer au patient ce qu’il se passe dans leur tête, pourquoi ils auront des flashbacks, des cauchemars, des evitements , des depressions, des prises de risques...etc. Tout ce qui concerne la vie d’un individu est importante à savoir pour un médecin parce que cela peut impacter sa santé, et donc peut l’aider à comprendre et à mieux le prendre en charge.

Est-ce que cela touche beaucoup de monde ?

Malheureusement, les violences touchent aujourd’hui beaucoup de monde. En France, on estime à peu près que 150.000 enfants ont subi un viol, ou une tentative de viol, avant leur majorité. Cela a des conséquences majeures avec un grand nombre de patients avec des états parfois complexes de stress post-traumatique. C’est très important de poser la question. Une étude de l’OCDE estime que 10% des enfants dans nos pays sont maltraités et pourtant en France, un seul pourcent est signalé.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !