Entre bras de fer ou jeu de dupes, la bataille rangée souterraine entre Paris et Bruxelles sur le budget français<!-- --> | Atlantico.fr
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Bras de fer entre Paris et Bruxelles.
Bras de fer entre Paris et Bruxelles.
©Reuters

Le chat et la souris

Le jeu est éternel : le gouvernement français maintient l'illusion qu'il mène des réformes, la Commission européenne fait semblant d'y croire pour ne pas perdre la face. On pourrait penser que le délai de deux ans accordé à la France par Bruxelles pour parvenir aux 3 % de déficit participe du même jeu de faux-semblant, mais il pourrait en réalité s'agir d'un sérieux serrage de vis.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Mathieu  Bion

Mathieu Bion

Mathieu Bion est journaliste et rédacteur en chef adjoint de l'Agence Europe, une agence de presse internationale spécialisée dans la couverture de l'Union européenne et de ses institutions. 

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Philippe Legrain

Philippe Legrain

Philippe Legrain est chargé de cours à l'institut Européen de la London School of Economics. Entre 2001 et 2014, il a conseillé le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Son dernier livre : European Spring: Why Our Economies and Politics are in a Mess – and How to Put Them Right.

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Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

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  • La Commission européenne accorde un délai supplémentaire de deux ans à la France pour satisfaire ses engagements budgétaires.
  • Certains pays y voient une mesure de complaisance.
  • L'échéance de 2017 a surtout pour fonction de faire comprendre à la France qu'elle n'a plus d'autre choix que de procéder à de véritables réformes, et ne pas considérer que la Loi Macron suffira.
  • Cependant des doutes persistent sur le pouvoir coercitif de la Commission.
  • La menace d'une montée en puissance des partis antieuropéens sert de protection à la France, qui ainsi force la Commission à adopter un ton mesuré.

L'allongement pour la France du délai de retour à un déficit au-dessous de la barre des 3% par Bruxelles a été interprété comme un geste de complaisance. Face aux réaction de la part de plusieurs pays du nord, Pierre Moscovici a approuvé cette décision en évoquant les efforts menés par l'exécutif en matière de réformes structurelles, et notamment à travers la Loi Macron. Pourtant même s'il s'agit bien d'un répit, l'échéance de 2017 - en pleine période électorale - laisse à penser qu'il s'agit surtout d'un resserrement de l'étau.

Atlantico : Par le choix de cette date, Bruxelles a-t-elle souhaité mettre un terme au jeu de faux semblant entre d'un côté ses exigences en matière budgétaire, et de l'autre les louvoiements du gouvernement français ?

Alain Wallon : En effet, contrairement à ce que certains pays de l’UE, au nord ou ailleurs, ont cru juste ou simplement utile de contester dans la position adoptée par la Commission, y voyant un geste de faiblesse à l’égard de la France, c’est un resserrement des échéances qui advient. La Commission hausse même d’un cran ses exigences, comme Moscovici l’a lui-même énoncé lors de sa conférence de presse conjointe avec son collègue - et « superviseur » de fait - le Letton Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission en charge de l’Euro. Mais la nouvelle difficulté, et elle est de taille, c’est que le nouveau délai fixé par la Commission, c’est 2017, l’année de l’élection présidentielle, et non 2018 comme l’espérait Paris. La Commission s’invite ainsi, d’une certaine manière, dans la campagne électorale qui s’annonce donc placée d’emblée sous le signe de la réussite ou de l’échec de la promesse faite mercredi par Michel Sapin, dans sa réponse à la Commission, de tenir ce dernier délai. Oui, il s’agit bien d’un sacré tour de vis du juge de paix pour « recadrer » un Etat membre perçu comme un brillant récidiviste de l’astuce et du « système D » - « D » pour Déficit, bien entendu…

Mathieu Bion : De source sûre, la France avait effectivement demandé à ce que ce délai supplémentaire soit de 3 ans. Le but était-il d’avoir au final deux ans ? de repousser l’échéance au-delà des élections présidentielles ? On ne sait pas vraiment. Toujours est-il qu’il aurait été inédit de voir un délai de 3 ans accordé alors que 2 ans est le maximum observé. Alors que les prévisions économiques s’arrêtent en 2016, il aurait de toute manière été difficile voire impossible pour la Commission de permettre d’aller plus loin que 2017. En un an, cela aurait été irréalisable. En même temps, il y a une surveillance au niveau des équilibres macro-économiques pour la France, au stade ultime de la procédure en 6 étapes qui pourrait aboutir à des sanctions pour des déséquilibres macro-économiques excessifs. L’étape ultérieure serait donc l’ouverture d’une procédure formelle et des pénalités financières. Avec le Portugal, c’est le seul pays de la zone euro qui doit supporter à la fois une procédure de déficits supérieurs aux 3%, et une surveillance de la compétitivité à la fois. Même si deux ans semblent être un geste clément, il y a eu un resserrement de la surveillance, avec des jalons posés et qui commencent au mois de juin pour éviter ces procédures. En mars, un conseil des ministres de la zone euro qui doit statuer sur tous les pays, mais surtout sur la France. En avril, elle devra donc soumettre les mesures supplémentaires qu’elle compte prendre pour respecter ces jalons. Et en juin, si l’Europe juge que ces propositions sont insuffisantes, elle pourra proposer au Conseil et aux membres de constater formellement et juridiquement que la France n’a pas pris la mesure de ce qu’on lui demandait, et déclencher des sanctions. La France est donc effectivement dans un étau qui se resserre.

Gilles Saint-Paul : Je ne le crois pas du tout. Ce nouveau répit s’ajoute aux deux années de répit précédentes, ce qui fait un total de 5, et rien ne nous prouve que si les déficits publics ne baissent pas d’ici 2017, la Commission n’accorde un troisième répit. En fait la France obtient des délais tant que ses déficits sont élevés, ce qui signifie que les procédures de surveillance budgétaire avec leurs prétendues sanctions sont lettre morte, comme l’a toujours été le soi-disant pacte de stabilité qui a été violé à plusieurs reprises par la France et l’Allemagne, sans conséquence aucune. Le nouveau délai est un aveu de faiblesse de la part de Bruxelles et prouve que les instances européennes ne sont pas prêtes à mettre en œuvre une procédure de redressement budgétaire envers un pays de la taille de la France.

Philippe Legrain : La date de 2017 choisie par la commission européenne est politique. En creux, la Commission attend une meilleure consolidation budgétaire d'ici la fin du quinquennat de François Hollande. Pour autant, je ne crois pas que 2017 ait été choisie pour cette raison. La Commission a toute latitude pour donner du temps supplémentaire pour respecter les règles du Pacte de stabilité et de croissance et en l'occurrence, elle a choisi de donner un délai de deux ans plutôt qu'un – avec la possibilité qu'elle soit rallongée davantage plus tard-. Accorder trois ans d'un coup aurait en revanche allégé la pression exercée sur Paris, ce que Bruxelles ne souhaite pas bien entendu pas faire.

Si l'on devait caractériser ce rapport de manière factuelle, depuis que le gouvernement est au pouvoir, quelles demandes de Bruxelles en matière économique et budgétaire ont donné quelle réponse de la part de Paris ? Ces dernières ont-elles été vraiment satisfaisantes du point de vue de la Commission ? 

Gilles Saint-Paul : Il y a un ballet parfaitement réglé où la France continue à violer les critères de Maastricht, et où la Commission demande des « efforts » en matière de réformes structurelles et de réduction du déficit. La France présente alors des réformes structurelles parfaitement cosmétiques, dont l’impact positif sur le PIB est réel mais pas plus élevé que celui de mesures allant dans le mauvais sens comme la marche arrière sur les retraites ou le jour de carence des fonctionnaires, le compte pénibilité, l’interdiction du travail à mi-temps, la taxation des CDD, la taxe à 75 % ou la hausse de la fiscalité sur le capital, de sorte qu’au total il n’est pas évident que la France mette en œuvre des « réformes structurelles » au sens où l’entend la commission. Elle s’engage aussi à un « effort fiscal » de 0,5 % du PIB, qui surgit en fait automatiquement de par l’amélioration de la conjoncture internationale, la baisse de l’euro et celles des prix du pétrole. La Commission joue également parfaitement son rôle et se déclare satisfaite des efforts consentis par la France, ce qui lui permet de jeter un voile pudique sur son absence totale de crédibilité et de pouvoir coercitif. Le résultat de ces quinze ans de cirque, c’est une dette publique qui va bientôt dépasser les 100 % du PIB.

D’une manière générale, la question de l’ajustement fiscal n’est jamais prise en compte par le gouvernement, qui n’hésite pas à accroître les dépenses publiques de façon discrétionnaire (recrutements massifs dans l’éducation nationale, guerres en Afrique, milliards « débloqués » afin d’apaiser des groupes d’intérêts en Bretagne ou à Marseille, etc). Résultat : la hausse considérable de la pression fiscale que l’on connait depuis 2011 s’est accompagnée d’une augmentation des dépenses publiques et le déficit n’a été que modérément réduit. Ces évolutions montrent que les règles de Maastricht sont impuissantes à imposer une discipline budgétaire à l’état français. 

Alain Wallon : Les gouvernements qui se sont succédés depuis 2008 et donc pas seulement le dernier en date, celui de Manuel Valls, ont tous pratiqué un jeu consistant, pour gagner du temps, à faire varier le chaud et le froid, à discuter du « sexe » du déficit : quel est sa part structurelle, comment calculer le déficit nominal, etc., et ainsi à multiplier les éléments de débat qui obligent les services de la Commission, ses économistes, son service juridique, les services aussi dans chaque Etat membre appuyant leurs représentants au sein du Conseil, en bref quasiment tout le monde à sortir en permanence sa calculette et s’entourer d’une montagne de documents. Un coup spécialement réussi, dans ce gymkhana de haute volée, peut être versé au crédit de Michel Sapin, fin octobre 2014, sortant soudain un beau lapin de son chapeau : la belle surprise d’une réduction supplémentaire de 3,6 milliards d’euros de plus que prévu, comme une réponse faite exprès aux critiques de la Commission du projet de budget 2015 pour la France. De meilleures rentrées de l’impôt grâce notamment à la lutte contre la fraude et « l’optimisation » fiscales, conjuguées avec d’autres facteurs conjoncturels comme la baisse des taux expliquaient cela. Mais on a pu soupçonner - à tort, qui sait ? - le prestidigitateur d’avoir soigneusement masqué un si beau coup de revers. Cela dit, la Commission n’est pas dupe : elle a une trop longue expérience des débats et des ruses florentines qui peuvent les entourer pour pécher par naïveté ! Pour ce qui est des réponses françaises à ses demandes, elle sait faire la part de ce qui relève d’obstacles indiscutables, par exemple des caractéristiques nationales du dialogue social, de ce qui l’est moins. En revanche, elle est elle-même limitée par sa doctrine économique, laquelle, passée au crible par 28 Etats membres, ne peut se permettre une quelconque originalité. Mais au moins, c’est sans double langage ; sa doxa est connue de tous.

Mathieu Bion : Il y a effectivement un jeu du chat et de la souris qui s’organise. On a pu voir que vers octobre 2014 qu’une partie des efforts quantifiés à 3,6 milliards d’euros quand la Commission lui a demandé en 2014. Il y a quelques jours, Pierre Moscovici a demandé à la France de trouver des efforts à hauteur de 0,2 du PIB soit 3 à 4 milliards… La Commission n’est pas dupe.

Mais si cela devient trop flagrant, et que la France déstabilise trop la zone euro, et c’est ce qui s’est passé en 2003 et 2004, forcément il y a un risque que les autres pays se dédouanent de leurs responsabilités et que cela soit préjudiciable pour l’ensemble de l’économie, ce que la Commission fait tout pour éviter.

Il est vrai que Bruxelles aurait pu sanctionner la France depuis bien plus longtemps. D’autant que la presse européenne peut montrer une certaine indignation quant au traitement de faveur dont jouit la France. Ceci dit, taper trop fort peut aussi être contre-productif : on a pu voir comment des remontrances trop voyantes de Bruxelles pouvaient creuser un fossé entre les populations et les institutions européennes, et alimenter ainsi le discours eurosceptique selon lequel l’Europe est dirigée par des technocrates déconnectés et illégitimes. Cette tendance constitue aujourd’hui pour elle une véritable menace, dont elle a pris compte lors des dernières élections européennes, et qu’il lui faut ménager. Toute la stratégie réside donc dans le fait de demander des réformes en douceur, sans aller trop loin, de rester dans un équilibre alliant un maintien de la pression quant à l’observation des règles que la France a acceptées.

La France peut aussi compter sur son rôle actif sur la scène internationale, lorsque François Hollande souhaite négocier un cessez-le-feu crédible en Ukraine, quand les armées françaises se déploient au Mali… Bruxelles ne peut pas non plus ne pas considérer les actions de la France dans ces domaines. 

Les évènements du début de l’année ont pu permettre de reléguer au second plan les questions budgétaires et économiques. Les décimale de PIB ont pu paraître dérisoires au regard des attentats de Paris.

On peut en arriver à des situations où l’Europe ne communique pas comme de coutume certaines décisions comme celle, récente, où il est demandé à la France de rendre un milliard d’euros de la Politique agricole commune, où elle a fait profil bas.

Philippe Legrain : La Commission a moins d'influence sur Paris que sur Madrid, Rome ou Dublin. Mais pendant la panique liée à la crise du marché des obligations qui a quasiment conduit à la fin de l'euro en 2011-2012, la France a bel et bien choisi de prendre la voie de l'austérité, notamment sous la pression de Berlin et de Bruxelles –quoique beaucoup moins sévèrement que pour d'autres pays. Et pendant que François Hollande était élu sur la promesse d'en finir avec l'austérité, la France a continué d'alourdir fiscalement son économie, bien que plus légèrement depuis que la BCE a mis un terme à la panique de l'été 2012. Le fait qu'Hollande ait rompu cette promesse, et parce que ni lui ni Sarkozy n'ont vraiment fait en sorte que l'économie française soit relancée, les électeurs mécontents de l'euro et de l'austérité ont été séduits par le discours d'extrême droite. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une fausse menace : plus l'économie française stagnera, plus le discours de Marine Le Pen aura une forte résonance.

Cette attitude est-elle caractéristique du gouverenement français actuel ou tous les gouvernements ont-ils agi de la sorte ? 

Philippe Legrain :En 2003, la France et l'Allemagne ont utilisé leur poids conjoint pour échapper aux condamnations pour avoir enfreint le Pacte de stabilité et de croissance. Jacques Chirac était Président, Jean-Pierre Raffarin Premier ministre, et Francis Mer Ministre des Finances. Comparé à cette période, le gouvernement français actuel fait beaucoup plus d'efforts pour se mettre en conformité avec les règles européennes.

La vraie difficulté réside ... Mais tout le monde s'accorde à dire qu'à moyen terme, la France a besoin de finances publiques saines.  Mais il est vrai cependant que la dépression économique, liée à des investissements faibles et un gouvernement allemand mercantiliste qui refuse de jouer son rôle, prendre la direction d'un rétablissement par la fiscalité n'est probablement pas la bonne. Il suffit pour s'en convaincre de regarder ce qu'en pensent les marchés financiers : avec le rachat récent par l'eurozone des créances douteuses, le gouvernement français emprunte désormais à des taux pratiquement nuls : il ne devrait pas être difficile de trouver des investissements productifs. Cela devrait booster à la fois la demande, la croissance à venir avec bien entendu les recettes fiscales qui l'accompagnent.

De son côté, le gouvernement français s'illustre par un volontarisme peu suivi de faits, à l'instar de la loi Macron qui n'impactera l'économie française que de manière chirurgicale. Comment expliquer que le gouvernement ait recours à des "contorsions" dans ses rapports avec Bruxelles, tout en sachant qu'il n'a que peu de chances de passer outre les réformes demandées ?

Alain Wallon :La Commission considère en effet que la loi Macron, rabotée par moult amendements et adoptée dans des conditions (sans vote final) qui affaiblissent sa légitimité, ne correspond qu’à la marge aux réformes dites de structure voulues par Bruxelles qui donne à la France un délai de 3 mois pour lui fournir des détails sur celles qu’elle devra engager. Si « contorsions » il y a de la part du gouvernement français, c’est que, d’une part il ne peut plus refuser longtemps (fin mai, c’est demain…) de répondre avec précision , sans flou artistique, aux demandes qui lui sont faites, mais que d’autre part la plus grosse part des réformes de fond en question touchent à des domaines ultrasensibles comme le contrat de travail, les gains de productivité et donc l’investissement en recherche-développement, l’indemnisation du chômage et les incitations de retour à l’emploi, l’équilibre sécurité-flexibilité de l’emploi, etc., sur un fond de dialogue social très crispé, vire bloqué. La question, dès lors, n’est pas de passer outre ou de se plier aux injonctions de l’exécutif européen, mais comment engager le fer des réformes sans déchirer un tissu social fragile et déclencher des conflits ingérables sans la marge de manœuvre et le rapport de forces politique suffisants.  

Gilles Saint-Paul :Le gouvernement a toutes les cartes en main, car la Commission a trop peur que la sacro-sainte construction européenne soit ébranlée par la montée des populismes ou la hausse des taux. La loi Macron va dans le bon sens mais elle aura peu d’effets, c’est un écran de fumée à l’usage des journalistes anglo-saxons, des marchés et de la Commission. Le principal objectif du gouvernement français est d’éviter de s’engager dans un programme drastique de réduction des dépenses publiques, ce qui aurait des conséquences fâcheuses pour la conjoncture à court terme et le rendrait impopulaire dans son électorat. Tant qu’il peut emprunter sur dix ans à moins de 1 %, il peut se permettre n’importe quoi, y compris des déficits nettement plus importants que ce que prévoit le traité de Maastricht. La commission et la BCE sont pour ainsi dire prises en otage. 

Dans quelle mesure la France agite-t-elle symboliquement le risque populiste et eurosceptique dans son rapport avec Bruxelles ?

Alain Wallon : Plutôt qu’une entrave, c’est une contrainte objective, incontournable. Le contexte n’est pas seulement français, il est européen. Les sirènes de l’euroscepticisme, voire de l’anti européanisme, sont présentes dans de nombreux pays de l’Union, pour ne pas dire dans toute celle-ci. Des partis ou mouvements divers s’alimentent avec une force renouvelée des difficultés et problèmes créés ou aiguisés par la crise économique : l’extrême-droite a progressé un peu partout en encourageant puis en surfant sur la crête de la vague populiste, et des mouvements de contestation puissants des politiques d’austérité menées en Europe depuis plus de six années parviennent à porter au pouvoir des partis comme Siriza ou viennent frapper à sa porte, comme Podemos en Espagne. La Commission doit en toute évidence tenir compte de ces réalités. C’est une question de lucidité et de responsabilité. C’est bien pourquoi le Collège des Commissaires a pris le temps d’un vrai débat politique, une fois entendus les exposés techniques, avant de se prononcer sur les mesures annoncées, qui concernent aussi d’autres pays que la France, comme l’Italie ou la Belgique. L’Allemagne « bonne élève » - et donneuse de leçons -  est même montrée du doigt, bien que beaucoup, beaucoup plus gentiment, pour l’atonie de ses investissements qui pose problème à l’ensemble de la zone Euro…

Gilles Saint-Paul : Cela contribue certainement à la complaisance de la Commission. Il y a également deux autres aspects. D’une part, la France emprunte à un taux extrêmement faible, et Bruxelles craint qu’une attitude intransigeante de sa part risque d’être interprétée par les marchés comme un signe de fébrilité, ce qui se traduirait par une hausse des taux et un retour de la crise de la dette souveraine. D’autre part, la troïka a besoin du soutien de la France dans les négociations avec la Grèce, ce qui contraint la commission à faire des concessions. En fait, le bras de fer entre la France et Bruxelles est comparable à un match de catch : c’est du chiqué. La France fait semblant de faire des réformes structurelles pour faire croire à une bonne volonté de sa part, la Commission fait semblant de croire que ces réformes sont conséquentes pour éviter de perdre la face.

Quelles sont les limites d'une telle relation, jusque quand pourra-t-elle perdurer ?

Alain Wallon : Il y a plusieurs types de limites. Les obstacles peuvent être internes à la majorité aux affaires, et c’est en effet le cas avec la conjonction des dégâts au sein de celle-ci causés par l’usage de l’article 49-3 et par la bataille de courants au sein du PS qui s’en alimente, après l’avoir causé. Ces obstacles peuvent en même temps venir de la radicalité des oppositions externes, d’autant plus promptes à attaquer frontalement le pouvoir en place qu’il fera montre de ses difficultés à gouverner. Les limites plus larges sont celles posées par les partenaires européens de la France au nom des traités qu’ils ont tous signés comme elle. Le moins que l’on puisse dire c’est que la voie est étroite et creusée de nids de poule. Mais c’est pourtant la seule, apparemment.

Gilles Saint-Paul : Ce seront les marchés ou la BCE qui siffleront la fin de la récréation. Les premiers s’ils prennent conscience que notre trajectoire fiscale n’est pas soutenable, ou simplement s’ils réalisent que leur argent est mieux placé ailleurs, par exemple aux Etats-Unis, ce qui entraînera une remontée des taux. La BCE si elle entame un durcissement de sa politique monétaire, soit parce que la conjoncture économique se rétablit, soit pour en finir avec la croyance qu’elle est prête à monétiser toutes sortes d’actifs afin de défendre l’euro et soutenir l’activité, croyance qui affaiblit notre monnaie, ce que les Allemands voient d’un mauvais œil. N’oublions pas qu’avant la crise la Grèce empruntait au même taux que l’Allemagne, en profitant pour financer des politiques démagogiques par la dette ; contrairement à ce que l’on croyait à l’époque, cela n’a pas duré indéfiniment et le réveil a été brutal…

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