Marion Cotillard, Mélanie Laurent, l'atout glamour : de l’écologie à l’humanitaire, pourquoi les stars ne se valent pas toutes pour la défense des grandes causes<!-- --> | Atlantico.fr
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Marion Cotillard et Mélanie Laurent accompagnent François Hollande aux Philippines pour sensibiliser aux enjeux climatiques.
Marion Cotillard et Mélanie Laurent accompagnent François Hollande aux Philippines pour sensibiliser aux enjeux climatiques.
©Reuters

Parce qu’elles le valent-elles bien ?

A dix mois de la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris, François Hollande a lancé depuis les Philippines "l'appel de Manille", afin de sensibiliser les différents acteurs internationaux à la question climatique. Pour donner plus de poids à son message, il était accompagné de Marion Cotillard et Mélanie Laurent.

Nathalie Heinich

Nathalie Heinich

Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, est membre de l'Observatoire des idéologies identitaires. Outre ses nombreux ouvrages de recherche, elle a publié deux textes d'intervention : Ce que le militantisme fait à la recherche (Gallimard, "Tracts" , 2021), et Oser l'universalisme. Contre le communautarisme (Le Bord de l'eau, 2021). Nathalie Heinich a publié Le Wokisme est-il un totalitarisme ? aux éditions Albin Michel (2023).  

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Atlantico : Marion Cotillard et Mélanie Laurent ont accompagné François Hollande aux Philippines pour lancer "l'appel de Manilles". Quel est l'intérêt, sur le plan de l'efficacité, de demander à ces célébrités de participer au plan de lutte contre le changement climatique ?

Nathalie Heinich : Dès lors que des personnes sont dotées d'un capital de visibilité, elles sont a priori créditées d'une valeur qui a pour effet de rendre plus intéressants leurs faits et déclarations que s'il s'agissait d'un inconnu. C'est la conséquence immédiate de leur capital de visibilité : celui-ci produit du prestige, de la crédibilité et de l'attachement. C'est pourquoi ces personnes sont susceptibles d'apporter un crédit supplémentaire à la cause auprès d'un public qui a priori n'a pas d'expertise particulière.

Pourtant François Hollande est mondialement connu…

On ne dispose pas du même capital de visibilité selon qu'on est un gouvernant ou une actrice. Les conséquences et les ressources sur lesquelles se base ce capital ne sont pas les mêmes. Les gouvernants ont du pouvoir, mais ce dernier est systématiquement considéré comme suspect de servir à la personne qui le détient plus qu'à autrui, et suspect de dissimuler des intentions inavouées ou des inactions peu avouables. Le capital de visibilité des stars, lui, est basé sur leur talent et/ou leur beauté, et n'est a priori pas suspecté de dissimuler des intérêts cachés.

Marion Cotillard et Mélanie Laurent sont certes connues, mais n'ont pas le même impact international et émotionnel qu'une personnalité comme Lady Di. Dans quelle mesure peut-on donc dire que pour faire parler d'une cause bien particulière, les stars ne se valent pas toutes ?

Elles ne se valent pas toutes parce que leur capital de visibilité n'est pas fondé sur les mêmes ressources: dans le cas de Lady Di, il s'agit d'un membre d'une famille royale, avec tout le prestige attaché à ce statut, auxquelles s'ajoutent ses caractéristiques personnelles (beauté, vie sentimentale problématique etc.) dont j'ai essayé de montrer dans mon livre le rôle dans l'impact mondial qu'a eu cette personnalité, parallèlement à sa position statutaire dans la hiérarchie de la visibilité.

N'y a-t-il pas une part d'irrationnel dans la participation de célébrité à des causes pour lesquelles elles n'ont pas de compétences particulières ?

Si la question est de savoir comment faire travailler des gens compétents sur un sujet très complexe, la participation de célébrité n'a pas de sens. Cependant, l'enjeu n'est pas de leur faire prendre des mesures, mais d'alerter des populations a priori non sensibilisées en effectuant un travail de communication. Il s'agit de trouver des images qui attirent l'attention des gens et si possible leur sympathie. En ce sens, la participation de stars est tout à fait rationnelle, à condition de ne pas confondre la communication avec l'action politique. Mais généralement elles ont l'intelligence de se contenter d'apporter leur image.

A quelles conditions est-il utile pour une cause, qu'elle soit humanitaire ou climatique, de s'adjoindre l'image d'une célébrité ?

Il faut que la cause soit suffisamment importante en soi, et insuffisamment populaire. La cause climatique est abstraitement populaire, mais concrètement personne ne veut rien faire car les intérêts de chacun continuent de l'emporter. Sensibiliser davantage les gens peut donc avoir une utilité, y compris avec des arguments "stupides" comme la beauté d'une star. S'ils veulent défendre le climat, les politiques doivent prendre des mesures impopulaires, et pour compenser cette impopularité ils se font accompagner de gens populaires.

George Clooney au Darfour, Lady Di contre les mines antipersonnelles, Emma  Watson pour défendre la cause des femmes… Quels sont les critères de sélection de la célébrité ambassadrice ?

Les conditions ne sont pas nombreuses : il faut être célèbre, et ne pas avoir une personnalité trop sulfureuse. Il n'est même pas besoin d'être particulièrement intelligent ou accompli au plan personnel, le capital de sympathie suffit amplement. Ce sont essentiellement des vedettes du cinéma, de la musique et du sport, sans qu'il soit besoin d'aller chercher plus loin. Aussi "vide" cela puisse-t-il paraître, tout cela est très superficiel, car la présence d'une star pour faire parler d'une cause dépend surtout de son emploi du temps et du carnet d'adresses du chargé de communication.

Quelles sont les retombées concrètes pour la cause qui est représentée par la personnalité ?

On peut mesurer le nombre de clics, la présence dans les médias, mais au-delà de ça il est compliqué de déterminer la part que la communication a dans l'accomplissement  d'un objectif humanitaire. Mais c'est une limite qui se pose pour n'importe quel plan de communication.

Dans quels cas cela peut-il ne pas fonctionner, voire desservir le combat en question ?

Il faudrait une soudaine impopularité, une belle bourde, une compromission politique évidente… Les stars ne sont pas toutes intelligentes, loin s'en faut, il peut donc arriver que certaines d'entre elles tiennent des propos à l'opposé de ce qui est attendu d'elles. Pour éviter tout impair, il faut donc, très pragmatiquement, s'assurer que la célébrité ambassadrice soit suffisamment professionnelle. L'élite intellectuelle peut trouver ces actions superficielles et démagogiques, mais beaucoup de citoyens ordinaires y sont sensibles. En outre, la star n'a pas à être particulièrement sérieuse : la seule chose qui compte est la visibilité. Le reste, l'identité de la star… cela n'a que peu d'importance pourvu qu'elle soit connue et dans une période de forte popularité.

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