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Lettre ouverte à Alain Madelin et aux doctrinaires de tous bords
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Libérosceptique

Réponse d'Éric Verhaeghe à la lettre ouverte qu'a adressée Alain Madelin à Arnaud Montebourg, dans les colonnes d'Atlantico. Selon l'ancien membre du MEDEF, la "politique constante de dérégulation ou de libéralisation" de ces dernières années est responsable de la crise actuelle.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Cher Alain,

Vous vous doutiez que votre lettre ouverte à Arnaud Montebourg dans les colonnes d’Atlantico ne laisserait personne indifférent, tant elle souffle comme un moment de jeunesse oubliée, comme une chanson de Dave dans un bal du samedi soir. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas trouvé une dose aussi pure de libéralisme orthodoxe dans notre consommation quotidienne d’héroïne économique. Pour ce seul moment de retour à l’adolescence que vous nous avez offert, vous méritez nos remerciements et, au fond, vous nous rendez Arnaud Montebourg sympathique. Sans lui nous n’eussions pas joui de cette récréation pleine de nostalgie.

Il me semble toutefois que faire mine de reprendre le débat avec le Parti socialiste dans l’état où vous le trouvâtes lorsque vous avez commencé votre carrière politique a quelque chose de maladroit.

D’abord, parce que depuis 30 ans plus personne ne peut se revendiquer de la virginité du marché. Je veux bien entendre que nous ne connaissions pas aujourd’hui la concurrence pure et parfaite qui devrait assurer notre bonheur universel, et que vous ne considériez pas notre cadre économique comme libéral. Il n’en demeure pas moins que l’objectif de concurrence pure et parfaite guide l’ensemble des politiques publiques depuis 30 ans et structure l’essentiel de la gouvernance que nous subissons.

La législation bancaire française date par exemple, et vous le savez, de la loi de 1984 adoptée par une assemblée nationale de gauche, jamais remise en cause par la droite. Il est d’ailleurs assez amusant d’entendre la génération Mitterrand du Parti Socialiste appeler de ses voeux une loi séparant la banque de détail et la banque d’investissement, quand cette disposition fut abolie à l’initiative de Pierre Bérégovoy et Laurent Fabius.

Cette politique constante de dérégulation ou de libéralisation, qui tend asymptotiquement vers le marché parfait à l’échelle mondiale, que produit-elle aujourd’hui? Une instabilité financière, sociale et politique, et une destruction de valeur sans précédent dans l’histoire.

Assez légitimement, les générations qui vont devoir assumer le prix de cette instabilité et de cette destruction veulent exercer un droit d’inventaire sur les dogmes imposés depuis trente ans, et qui sont à l’origine de l’effort extravagant qui leur est demandé aujourd’hui pour réparer la crise. En interrogeant la mondialisation comme doctrine indépassable, Arnaud Montebourg mène à sa manière ce projet d’inventaire. Si je ne partage pas ses conclusions, notamment sur le retour de l’Etat, je suis en revanche prêt à me battre pour que son droit à briser les idoles du libéralisme conquérant soit respecté.

La France est d’ailleurs assez frileuse encore dans cet exercice (faut-il y voir l’intimidation de l’Etat qui n’aime pas qu’on change les règles du jeu?), alors qu’un économiste comme Dany Rodrik, dans The Globalization Paradox, n’hésite pas à remonter le fil de cette étrange contradiction où nous vivons, entre une finance globalisée, et des règles du jeu engoncées dans des habits nationaux trop petits. Et Montebourg, dans son style, a le mérite de mettre ce sujet sur la table : comment faire coexister pacifiquement une finance internationalisée, libre comme l’air, avide de profits et de rentabilité, avec des peuples privés de leur droit à la libre circulation, attachés à leur terre comme les paysans du Moyen-Âge, et sans levier véritable pour rééquilibrer les rapports avec les financiers ?

La raison et le bon sens politique commandent aujourd’hui de poser ouvertement ces questions, et de ne pas chercher à les occulter. Le déni du problème constitue à mon sens le principal risque pour notre démocratie : celui de voir le peuple français lassé de ne pas être entendu ni écouté sur ces questions se tourner vers des aventures extrêmement risquées.

Raisonnablement, il faut donc que certaines questions de fond soient posées, sans que les arguments sous la ceinture du type «vous jouez sur les peurs» ne soient ressortis. Nous vivons une crise politique avant de vivre une crise économique: le finance n’est plus gouvernée, mais elle nous gouverne. C’est la finance elle-même qui nous le dit, lorsqu’elle exige la garantie du contribuable pour endiguer les crises systémiques dont son incurie est productrice. Le moment vient d’adapter nos institutions à ce nouveau cadre économique et financier.

Multiplier les pirouettes pour diaboliser ce questionnement est, à mon avis, contraire à l’intérêt des acteurs économiques dans leur ensemble. Le récent rejet du plan de sauvetage de la Grèce par le parlement slovaque le démontre. Les postures économiques décidées sans tenir compte des interrogations des peuples sont vouées à l’échec et produisent des coûts importants. La crise que nous vivons concentre en elle toute la tension profonde entre une globalisation financière et une préservation des visions nationales.

Ayons le courage de débattre de ce sujet pour construire un avenir intelligent. Et acceptons de tourner la page fantasque du marché idéal, qui n’arrivera jamais. Pour ma part, j’y suis prêt, car je n’imagine pas que l’économie de marché puisse survivre si elle ne s’amende pas.

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