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Le traité transatlantique, un "Otan économique" pour contrer la Chine ?
©Carlos Barria / Reuters

Bonnes feuilles

Certains l'assument sans détours : le traité transatlantique est mis en place afin d'endiguer la montée en puissance des économies émergentes et surtout de la Chine. Mais ne vaudrait-il pas mieux "jouer collectif" ? Extrait de "Docteur TTIP et Mister Tafta : Que nous réserve vraiment le traité transatlantique Europe/Etats-Unis ?" aux éditions Les petits matins (2/2).

Maxime  Vaudano

Maxime Vaudano

Formé à l'ESJ-Lille, Maxime Vaudano est journaliste web aux décodeurs du Monde.fr. Il a cofondé le site Lui Président, qui se consacre aux promesses électorales de François Hollande.

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« Il y a des raisons géostratégiques critiques pour conclure cet accord. Nous en avons besoin pour solidifier la relation transatlantique, pour créer un équivalent économique à l’Otan. » Dans le discours d’Anthony L. Gardner, l’ambassadeur américain à Bruxelles, la logique de confrontation que sous-tend la négociation du Tafta/TTIP est clairement assumée. En scellant ce pacte, les deux plus grandes économies de la planète seraient en mesure d’endiguer la montée en puissance des économies émergentes et de « placer la barre réglementaire à un niveau suffisamment élevé pour contraindre la Chine à s’adapter aux exigences américaines », comme l’écrit Zaki Laïdi.

« Le fond de l’affaire, c’est que les Occidentaux ne tirent plus profit du système multilatéral qu’ils avaient construit », explique le chercheur. Les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où cent soixante pays s’assoient autour de la table pour libéraliser les échanges mondiaux, sont en effet bloquées depuis le milieu des années 2000 par les conflits entre pays développés et émergents, qui peinent à s’entendre sur des règles communes. « Ce modèle est mort, car il n’y a plus d’hégémonie pour définir le bien commun mondial, mais une multiplicité de pôles qui ont chacun leurs intérêts, poursuit Zaki Laïdi. Le traité transatlantique consiste donc à arracher ce que le multilatéralisme ne permet plus d’obtenir : des règles devenant des standards mondiaux. »

« Si le TTIP entre en vigueur, l’Inde et la Chine vont être contraintes de revenir sur leur position de blocage à l’OMC », prédit ainsi le chercheur turc Sinan Ülgen, du centre Carnegie Europe. Un scénario pas si évident, car les émergents négocient de leur côté des méga-accords dans leur aire régionale et pourraient être tentés de faire front.

« Containment » ou contrepoids

Côté européen, on se refuse pourtant à accréditer l’idée d’une alliance anti-chinoise. « Parler d’Otan économique est un raccourci malsain, lance Édouard Bourcieu, chef adjoint de l’unité stratégie commerciale de la Commission européenne. Nous avons aussi besoin de la croissance chinoise, nous sommes très interdépendants. » L’attitude européenne dans une autre grande négociation internationale, celle de l’Accord général sur les services (Tisa), le confirme : Bruxelles soutient l’intégration de Pékin aux négociations, qui rassemblent depuis 2013 les États-Unis, l’Union européenne et vingt-deux autres pays, tandis que Washington ne veut pas en entendre parler .Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), tente de distinguer les positions de Washington et de Bruxelles en ces termes : « Les États-Unis sont dans le containment [endiguement] de la Chine, l’Union européenne est dans le contrepoids. »

Mais Pékin n’est pas le seul enjeu extérieur des négociations du Tafta/TTIP. « Regardez ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient, ou le comportement de la Russie en Ukraine », poursuit l’ambassadeur américain Anthony L. Gardner quand Euractiv l’interroge sur les raisons d’approfondir la relation transatlantique. Comme nous l’expliquions dans la troisième partie, une levée des restrictions sur l’exportation des hydrocarbures américains permettrait à l’Europe de réduire sa dépendance à la Russie et au monde arabe pour son approvisionnement. Mais l’enjeu ne se limite pas à l’énergie, et la crise ukrainienne en a donné une illustration surprenante à l’ère de la mondialisation : frappée par l’embargo russe sur les produits européens à l’été 2014, la Pologne a dû trouver du jour au lendemain un débouché pour le million de pommes qu’elle écoulait en temps normal chez son voisin russe. Dans une forme d’anticipation du Tafta/TTIP, Varsovie a réclamé (en vain) aux États-Unis d’ouvrir leur marché à ses pommes, alors que l’importation de légumes et de fruits frais en provenance de l’UE y est interdite.

Ces dimensions géopolitiques accréditent le scénario d’une balkanisation du commerce mondial avec la multiplication des accords super-régionaux, qui provoquent le repli des grandes régions du monde sur elles-mêmes – à moins que ces accords ne soient simplement la conséquence de la balkanisation. « Le traité transatlantique pourrait cloisonner les échanges, ce qui serait dangereux, car les États-Unis et l’Union européenne sont des acteurs systémiques qui portent une responsabilité globale », estime Sébastien Jean, du Cepii.

Pour limiter ce risque d’éclatement, le chercheur turc Sinan Ülgen insiste sur la nécessité de laisser le Tafta/TTIP ouvert à d’autres partenaires qui voudraient le rejoindre, sur le même modèle que l’Union européenne. Le Mexique et la Turquie, proches partenaires des États-Unis et de Bruxelles, ont déjà manifesté leur intérêt, mais ne devraient vraisemblablement pas entrer en jeu avant la fin des négociations – qui sont déjà suffisamment compliquées.

« Il ne faut surtout pas fermer la porte en créant une "forteresse TTIP" qui pourrait endommager les liens au sein du monde occidental, plaide Sinan Ülgen, mais créer une incitation pour les pays tiers à se libéraliser pour rejoindre les États-Unis et l’Europe. »

Extrait de "Docteur TTIP et Mister Tafta : Que nous réserve vraiment le traité transatlantique Europe/Etats-Unis ?, de Maxime Vaudano, publié aux éditions Les Petits Matins, 2015.

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