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L’immigration, angle mort 
de la mondialisation vue de gauche
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Vide idéologique

Le débat télévisé entre Martine Aubry et François Hollande de mercredi soir l'a confirmé, l'immigration est une thématique qui échappe complètement au discours tenu par les candidats sur la (dé)mondialisation.

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt est politologue, spécialiste des relations internationales. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Atlantico : De l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par Montebourg qui en a fait son cheval de bataille, la démondialisation est de tous les discours. En définitive de quoi s'agit-il ?

Jean-Michel Schmitt : C’est un terme surprenant qui renvoie à la volonté de démanteler un processus absolument incontournable aujourd’hui, relevant à la fois de l’évolution des conditions technologiques et des transformations de notre vie sociale. Il y a une tendance, notamment chez Arnaud Montebourg, de confondre la mondialisation comme processus appartenant à une séquence de notre histoire, et la mondialisation comme usage. Comme si l’usage dominant de la mondialisation se confondait avec le processus de mondialisation.

Ce qui est étrange, c’est cette confusion qui interdit à ses auteurs, en l'occurrence pas mal de responsables du Parti socialiste, d’envisager ce qui devrait être une évidence, la mondialisation de gauche. La mondialisation est d’inspiration libérale, mais personne ne s’interroge s’il est possible d’envisager une mondialisation qui consacrerait d’autres principes, et serait une mondialisation de gauche. Personne n’en parle. Or, on en connaît déjà la grammaire, puisqu’elle a été inventée par un français à la fin du 19ème siècle, Léon Bourgeois. Ce dernier parlait de solidarité internationale, de la nécessité de remplacer la concurrence par la solidarité. Et ces termes ne sont jamais employés au Parti socialiste.

Mais la mondialisation de gauche, c’est aussi la libre circulation des personnes, et c’est la migration qui est – du fait de la mondialisation – l’avenir du monde et de l’homme. Il y a une nouvelle gouvernance de cette mondialisation à penser, qui la rendra de plus en plus banale, consubstantielle à notre époque, et accompagnera le migrant au lieu de l’entraver dans un combat d’arrière garde.

L'erreur de la gauche c'est donc de se pencher sur la question de la démondialisation plutôt que sur celle d'une mondialisation de gauche ?

Bien entendu. Parler de démondialisation évoque ce qui devait conduire certaines personnes ombrageuses à parler de « débrouettisation » lorsque l’on a inventé la brouette. Lorsque l’on a inventé la brouette, des esprits ont pensé qu’elle pouvait servir à de mauvaises fins et qu’on pouvait la supprimer. Or, une fois qu’une invention est acquise, il faut l’accepter et se mobiliser, militer pour que le bon usage l’emporte sur le mauvais. La mondialisation c’est comme le cholestérol, il y a de la bonne mondialisation et de la mauvaise ; à l’homme politique de faire en sorte que la bonne mondialisation triomphe. Les exemples de bonne mondialisation ne manquent d’ailleurs pas : rôle des ONG, défenseurs des droits de l’homme, promoteurs du développement...

L’emploi d’un terme comme démondialisation par les socialistes est rétrograde, et on ne s’étonnera pas que cela rejoigne des thématiques du FN. Précisément parce qu'on retrouve une veine populiste, qui vient s’installer dans la peur du changement et la volonté de revenir vers ce qui existait avant, soit une pensée réactionnaire typique.

Comment justifier l'absence de la thématique de l'immigration - jusque dans le débat télévisuel opposant hier Martine Aubry à François Hollande - dans le discours de gauche portant sur la démondialisation, et donc la mondialisation ?

Par pusillanimité, c’est à dire par peur que le mot migration reçoive une connotation négative auprès de l’électorat. Alors que la bonne politique serait de persuader l’électorat que la migration apporte énormément de bienfaits, et qu’il est démagogique de la dénoncer comme négative. Ce qui est négatif, c’est la mauvaise migration, clandestine, celle qui se fait dans la violence et la souffrance.

Je pense que nous nous trouvons dans une atmosphère sociale où une propagande présente la migration comme le bouc émissaire, la cause de tous les maux. Jamais personne n’a trouvé d’intérêt dans la classe politique à faire un travail de démonstration, prouvant à tout un chacun qu'il y a une part énorme de bienfaits à tirer de la migration, et qu’elle s'inscrit dans la nature même de la mondialisation.
De même qu’on ne peut abolir la mondialisation, on ne pourra plus jamais abolir la migration. Or, les politiques ne peuvent le voir car ils agissent d'après une rationalité où seul prime un avantage à court terme : gagner des voix pour l’élection présidentielle. Le détour par l’éducation politique paraît donc périlleux.

Pourquoi intégrer la thématique de l'immigration aux discours des candidats socialistes ? 

Traiter de la question de la migration, c'est penser la mise en place d'un programme de circulation des hommes, qui est un programme inévitable dans la mesure où les moyens de circulations des biens, des hommes et des idées ne cessent d’être facilités. En traitant de la thématique de la migration, on soulagera probablement les souffrances des migrants et les problèmes auxquels sont confrontés les sociétés d’accueil.

Mais cette thématique de la migration continue à faire peur, donc la gauche classique refuse de la mentionner. Avec la migration se pose évidemment la question de la mondialisation, qui est un état du système international jamais atteint jusqu’à présent, où tout le monde dépend de tout le monde, ainsi que des souffrances proches ou lointaines. Et si nous ne participons pas à la résolution de ces souffrances, nous allons vers des dangers qui risquent de nous menacer. La mondialisation, c’est comprendre comment gérer l'interdépendance des uns avec les autres. La migration en est une figure.

D’autres questions sont oubliées, tous les paramètres de la solidarité internationale, en matière de développement, de protection des biens communs de l’humanité... Tout cela relève de la mondialisation de gauche, et il serait temps pour la gauche de les mettre en exergue.

Dans un système mondialisé, la France ne se sauvera pas seule, mais à partir d’une coopération internationale qui implique une réactivation du multilatéralisme global, et c’est quelque chose que la gauche a oublié.  

Une délibération européenne abolissant de façon consensuelle la mondialisation est politiquement impossible. Le risque pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans la course au protectionnisme, c'est que prime restera à ceux qui se tiendront à l’écart. Le protectionnisme européen ne changera donc pas la donne, l'heure n'est pas à la seule européanisation des économies, mais à la mondialisation des économies, des sociétés et des politiques. De toutes les façons, l’échelle est aujourd’hui à un niveau mondial que personne ne peut abolir. On ne peut refaçonner la géographie du monde.

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