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Angela Merkel vient-elle de réussir à s’imposer comme la chef du monde libre ?
©Reuters

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La Chancelière allemande est en pleine ascension sur la scène diplomatique. Ukraine, Grèce, elle est sur tous les fronts, à tel point que beaucoup de médias de la presse anglo-saxonne voient en elle la véritable chef du "monde libre".

Pierre Verluise

Pierre Verluise

Docteur en géopolitique, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com.

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Atlantico : Face à un Barack Obama en déclin, un Vladimir Poutine perçu comme une menace, ou un François Hollande en position de faiblesse à cause de la situation intérieure de la France, Angela Merkel est-elle finalement la figure qui s'impose aux autres, notamment sur les dossiers sensibles que sont l'Ukraine et la Grèce ? 

Pierre Verluise : Même si je peux avoir des réserves sur des éléments du tableau général que dresse une partie de la presse, Angela Merkel et l'Allemagne sont effectivement dans une phase ascendante. On peut déjà observer que ce pays a su faire les réformes nécessaires au cours des années 2000, celles que la France par exemple n'a pas voulu initier. Cette prise d'importance allemande est manifeste actuellement, mais elle avait déjà commencé sous Nicolas Sarkozy. En témoigne deux dossiers. Primo, en 2007-2008 la transformation du projet d'Union pour la Méditerranée voulu par Nicolas Sarkozy en un "Processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée" incluant tous les Etats de l'UE sous pression d'Angela Merkel. Secundo, la gestion de la crise financière en 2008-2011 durant laquelle Nicolas Sarkozy proposait des mesures – parfois justifiées – qu'Angela Merkel temporisait systématiquement. Elle est restée maître du tempo et du périmètre des concessions, parfois de manière contre-productive d’ailleurs.

Mais ne nous y trompons pas : l'Allemagne est d’abord forte de la faiblesse des autres. En outre, il y aussi en Europe une "faim d'Allemagne" de la part de certains pays attirés par l'image de réussite que renvoie l'Allemagne, et qui attendent d'elle une diplomatie à la hauteur de ses performances économiques. Depuis le temps qu’on demande à l’Allemagne d’avoir une diplomatie à la hauteur de son poids économique, il est difficile de se plaindre quand Berlin donne suite.

Cette position peut-elle être durable ? L'Allemagne en Angela Merkel doivent-elles leur leadership à autre chose qu'une conjonction de facteurs favorables ?

Cette réussite allemande n'est pas le résultat d’un "plan" – pour ne pas dire un "complot" – parfaitement préparé à l'avance. Il est le résultat d'un croisement de circonstances habilement optimisées. L'Allemagne a d'ailleurs un complexe vis-à-vis de la puissance sur le plan international, issu des années 1930. Entre l'après-guerre et les années 1990, on a répété aux jeunes Allemands qu'ils étaient responsables du conflit, et ils ont intégré que la puissance devrait se faire plus sur les questions économiques que dans le domaine militaire. Les conditions d’engagement de l’armée allemande en dehors des frontières nationales sont bien plus contraignantes – notamment sur le plan parlementaire – qu’en France. Le "miracle allemand" s'est donc longtemps construit sur une économie performante en contrepartie d'une faible affirmation sur le plan géopolitique.

Quelles peuvent être les conséquences d'une Allemagne leader qui ne s'est jamais vraiment distinguée par la recherche d'une telle position ? Comment va-t-elle faire avec ce nouveau statut ?

C'est souvent au moment où vous êtes en phase ascendante que vous êtes le plus exposé, et jamais très loin de la descente… Dès lors que l'Allemagne s'expose, elle prend des risques. Et des facteurs internes ou externes au pays font peser une pression sur l’acceptabilité  et la durabilité réelles de son leadership. La démographie est sans doute le point le plus important. La population allemande baisse, a priori la France devrait dépasser l'Allemagne aux alentours de 2040-2050. Or une population vieillissante et déclinante est moins portée sur la puissance militaire et diplomatique. Comme les spécialistes et les dirigeants allemands en sont parfaitement informés, ils savent qu'ils ont devant eux 10 ou 15 ans avant que les problèmes allemands démographiques deviennent irréversibles. C'est peu pour changer la donne, mais cela peut-être assez dans une approche volontariste pour tenter de prolonger la domination le plus longtemps possible, comme les Etats-Unis présentement.

Qui sont les principaux perdants de cette situation ? L'Union européenne peut-elle souffrir de la nouvelle posture allemande ? Et la France, va-t-elle se retrouver encore plus marginalisée dans le "couple franco-allemand" ?

Pas forcément, on peut même tout à fait envisager que tout le monde soit plus ou moins gagnant dans cette situation. L'Union européenne se cherche depuis longtemps un leadership qu'elle pourrait avoir trouvé dans une configuration où l'Allemagne jouerait un rôle important. Bien sûr le tropisme allemand est plus tourné vers l'Europe de l'Est alors que la France, elle, est traditionnellement orientée vers la Méditerranée, ce qui changerait la donne. Mais nous pourrions justement profiter de l'expertise allemande sur la question de l'Europe de l'Est où nous sommes bien moins performants. En dépit de leurs insuffisances, les accords de Minsk 2 démontrent que Paris et Berlin sont capables de travailler ensemble, reste à trouver une bonne volonté en face…  Après, il faudra bien sûr être capable de ne pas remettre systématiquement sur le tapis la question historique d'une "Allemagne dominant le monde"… Une fois encore, "nous sommes nos meilleurs ennemis". 

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