Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ça n’est pas que de la science fiction...)<!-- --> | Atlantico.fr
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La zone euro est-elle en danger ?
La zone euro est-elle en danger ?
©Reuters

Lendemains difficiles

La Grèce veut renégocier sa dette mais rencontre un mur d'opposition. Le ton monte, au point que le Premier ministre Alexis Tsipras en est venu à réclamer "des indemnités de guerre" à l'Allemagne. Si les relations ne s'apaisent pas entre partenaires européens, l'éventualité d'un éclatement de l'euro pourrait ne plus être si fictionnelle que cela.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Abandon du cours du franc suisse par rapport à l'euro par la Banque nationale suisse, montée des partis populistes aux ambitions controversées vis-à-vis de l'Europe concrétisée par la victoire de Syriza, décision de la BCE de mettre en place une politique d'assouplissement monétaire contre le gré de l'Allemagne... Si l'esprit humain a de manière générale tendance à minimiser les risques, justement parce qu'il ne souhaite pas être confronté au pire, les signes avant-coureurs d'un délitement de l'union monétaire s'accumulent.  

Atlantico : Que se passerait-il concrètement si la monnaie unique disparaissait brutalement ?

Nicolas Goetzmann : L’économiste german-américain, Rudiger Dornbush,  avait pu déclarer : «Une crise prend bien plus de temps à venir que ce que vous pensez, et lorsqu’elle arrive, cela se produit bien plus vite que vous ne l’auriez pensé».La situation actuelle est effectivement propice à mouvement de rupture de ce type. Mais si un tel évènement est aujourd’hui possible, il reste encore improbable.

Concrètement, une dissolution de l’euro aurait pour première conséquence de réactiver immédiatement les banques centrales nationales, et c’est la capacité de chaque Etat à afficher un discours monétaire solide et crédible qui déterminera l’essentiel de la suite des évènements. Bien évidemment, si ce discours tombe dans la facilité et la médiocrité, les pays devront en subir les effets financiers. Ce qui peut aller très loin dans l’idée du désastre. Si, au contraire, une stratégie monétaire crédible est affichée, immédiatement, menée par une équipe reconnue, les « marchés » suivront. En l’occurrence, il est difficilement imaginable de voir les 19 pays de la zone euro répondre avec la même cohérence. Une période de fortes turbulences est donc une certitude.

L’autre point essentiel, c’est le volet juridique. L’intégralité des contrats signés en euros passeront devant les tribunaux, ce qui fera peser une incertitude juridique totale sur l’existant dans l’ensemble de la zone. Ce n’est pas un point mineur, les intérêts économiques croisés sont immenses.

Les intérêts politiques seront principalement guidés par la capacité des Etats à gérer ces intérêts économiques. Chaque état ayant naturellement une propension à tirer la couverture à soi, la confrontation ne pourra pas être amicale. Les tensions entre anciens colocataires sont évidemment à prévoir.

Jean-Yves Archer : La décision suisse vient nous rappeler qu'en matière monétaire, le pouvoir souverain existe. Ainsi, dans le cas de la zone euro, si dislocation il devait y avoir, il faut bien mesurer que plusieurs hypothèses sont envisageables. Quatre méritent d'être décrites ici. Il y a tout d'abord le cas d'un pays sorti du cadre de l'euro pour non-respect des traités. Ceci fait penser à l'hypothèse d'un clash retentissant avec la Grèce mais pose une question juridique non dénuée de portée : rien n'a été prévu pour définir les conditions d'exclusion d'un pays de l'eurozone.

Puis, il y a le cas d'une méfiance totale des marchés et d'une sortie du jeu des échanges mondiaux de notre monnaie unique. Ceci n'est pas une hypothèse impossible même si elle semble se rapprocher de la théorie du cygne noir. Les Etats auraient alors à définir les nouvelles conditions de la création monétaire sous une contrainte temporelle inouïe. On peut imaginer que dans ce cas, bien des Etats adopteraient le dollar comme monnaie du fait de l'urgence et des blocages effectifs des transactions intra-eurozone.

Troisième hypothèse, plusieurs pays du Sud parviennent à négocier leur sortie respective et l'euro devient alors une monnaie plus nordique et plus cohérente. Quatrième hypothèse qui ne relève pas de la fiction, on peut concevoir que lassés de la situation d'ensemble, l'Allemagne et les pays composant son hinterland décident de créer une nouvelle monnaie – une sorte de nouveau mark – pour devenir l'emblème monétaire de la puissance économique de la Mitteleuropa que le groupe de Visegrad appelle de ses vœux.

En Allemagne le Parti pour l'Alternative est en phase avec l'idée qu'il convient que les partenaires les plus proches de l'Allemagne aient une monnaie commune répondant alors aux critères de la zone économique monétaire optimale définie, en théorie économique, par Robert Mundell.

D'autres scénarios sont envisageables mais je ne crois pas à une disparition totale de l'euro au profit d'un violent reformatage du nombre de pays demeurant habilités à faire partie de l'eurozone.

Jean-Marc Daniel : Il ne faut pas se tromper sur les menaces qui pèsent sur la zone euro. Les arguments soi-disant techniques sur l’avenir de l’euro comme l’abandon du change fixe du franc suisse par rapport à l’euro ignorent l’essentiel. Ce qui compte dans une union comme l’union monétaire européenne est la volonté politique des participants de s’associer et de respecter des règles communes. Si l’euro disparaissait, cela signifierait que cette volonté n’existe plus si tant est qu’elle ait existé. Il est des pays et des unions monétaires qui se sont défaits pacifiquement comme la Tchécoslovaquie et d’autres qui se sont défaits dans le drame comme la Yougoslavie ou, on le voit encore en ce moment, l’Union soviétique. Quoi qu’il en soit, les divorces, entre les hommes comme entre les institutions humaines, sont rarement paisibles

Le retour aux devises d’avant l’euro supposerait la redéfinition d’une gamme de billets pour chaque pays puis les conditions d’échange des anciens billets. Pour l’instant, rien n’est prêt physiquement pour la disparition de l’euro. Chaque fois que des unions monétaires ont changé de périmètre (dans le sens de l’extension comme dans celui de la réduction) il ya eu une phase de transition. Quand l’histoire a forcé le destin et a forcé la main des dirigeants, cette phase de transition a été anarchique, cela conduisant en général à de l’inflation. Il est probable que la fin de l’euro signifierait une très forte inflation dans les pays du Sud, France comprise alors que dans les pays du nord, on peut considérer que la stabilité des prix serait garantie. Quand l’Empire austro-hongrois s’est défait, la Tchécoslovaquie a très vite stabilisé sa devise grâce notamment à une assez forte discipline de sa population, alors que l’Autriche et la Hongrie, clairement identifiées comme des vaincus de la guerre, ont sombré dans l’inflation

Yanis Varoufakis, ministre des Finances du nouveau gouvernement grec, aura l'occasion de défendre à nouveau sa position mercredi 11 févrirer lors d'une réunion exceptionnelle des ministres des Finances européens.  Suivant quel scénario la Grèce pourrait-elle être le point de départ de la fin de l'euro ?

Nicolas Goetzmann : Pour que la Grèce provoque la fin de l’euro, plusieurs scénarios paraissent envisageables. Bien que fictifs.

Une sortie « maitrisée » économiquement

Le premier est le refus de la Grèce de se soumettre aux demandes de ses partenaires. En brandissant le mandat que lui a donné le peuple grec, Syriza peut aller jusqu’au bout et provoquer sa propre sortie. A partir de là, plusieurs réactions sont à prévoir. Si la contagion n’a pas lieu, les partis euro critiques actuels dénonceront alors une Europe inégalitaire, qui se permet de renvoyer son membre le plus fragile après lui avoir imposé une injuste cure d’austérité. La zone euro serait alors perçue comme une zone de compétition économique exclusive, dont les « mauvais élèves »  sont renvoyés. Le fait, par exemple, que la Grèce soit le berceau de la civilisation européenne n’ait aucune importance pour un tel ensemble, en dit long sur son ambition. Ce qui aurait pu être un ensemble politique n’est en réalité qu’un centre commercial. D’autres Syriza émergeront alors, jusqu’à la fin politique de l’ensemble. La montée en puissance de Podemos en Espagne, premier parti dans les sondages, en est le premier exemple.

Une sortie non maitrisée

La sortie de la Grèce donnera un signal aux marchés financiers. La zone euro qui était considérée jusqu’alors comme indivisible, devient alors divisible. Les arbitrages se feront en conséquence et les pays le plus fragiles se retrouveront rapidement menacés. Les banques des pays périphériques peuvent rapidement être attaquées, et on repart alors pour un tour avec une doctrine des pays du nord qui continue de se durcir. Ce risque de contagion est en réalité maximal; ne pas vouloir le prendre en compte relève d’une arrogance maladive de la part des dirigeants.

La réussite de la Grèce en dehors de la zone euro

C’est le scénario le plus cocasse. Il s’agirait pour la Grèce de sortir de la zone euro, et, après un choc sévère supplémentaire sur son économie, de recommencer à retrouver une croissance rapide. Notamment avec l’aide de nouveaux partenaires comme la Russie. Une telle hypothèse n’est envisageable que si le gouvernement en place parvient effectivement à remplir son rôle, assurer le respect de la règle fiscale, réformes structurelles, lutte anticorruption etc. Si après deux années, le pays est en ordre de marche, que le chômage baisse et que l’espoir renait, les autres pays de la zone euro pourraient commencer à avoir des doutes sur leur propre situation. Mais ce scénario me paraît le moins crédible, il suppose une sortie de la Grèce maîtrisée économiquement, une non contagion au reste de la zone euro, une réussite totale du gouvernement grec, et un aveuglement continu des européens. Cela fait quand même beaucoup, même si l’aveuglement européen reste une valeur sûre.

Jean-Yves Archer : Les trois hypothèses qui viennent d'être décrites par Nicolas Goetzmann font sens et s'inscrivent dans le champ des avenirs possibles. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de noter que l'Italie est en récession depuis plusieurs années: la croissance y est négative depuis 2012. Ainsi : -2,3% en 2012, -1,9% en 2013, -0,3% en 2014 et un prévisionnel 2015 situé dans une fourchette de +0,3 à +0,5%. Parallèlement, la dette connait une évolution préoccupante : 122,2% en 2012, 127,9% en 2013, 132,4% en 2014 et un prévisionnel de 134,2% en 2015. Ainsi, la dette s'est accrue de plus de 12 points de PIB en trois ans ce qui est, en arrondi, un rythme double de celui de la France qui tangente pourtant déjà les 100% de son PIB. Dans ce contexte, il est fort possible qu'une tension sur les taux grecs amènerait les marchés à revisiter la solidité des économies du Sud de l'eurozone et à accélérer le risque de fractionnement de la zone en emportant l'Italie dans ce fracas monétaire.

Jean-Marc Daniel : On assiste à un bras de fer où les Grecs se refusent à quitter l’euro tandis que leurs partenaires multiplient les conditions les concernant comme s’ils voulaient les obliger à prendre l’initiative de leur sortie.

Au stade où nous en sommes, on peut considérer que si les Grecs quittaient l’euro, cela se ferait de façon concertée.

Il y a alors trois hypothèses possibles :

- la Grèce retrouve les drachmes d’avant 2002 sans que cela n’affecte les autres pays. C’est un peu ce qui s’est passé dans les années 60 pour la zone France quand le Mali a décidé de la quitter. La sortie a été négocié avec les autres pays de la zone et le Mali a pu préparer sa sortie, notamment en imprimant des nouveaux billets ;

- le chacun pour soi, chaque pays imitant la Grèce et reprenant sa totale liberté de politique monétaire. Dans ce cas-là, les banques centrales de chaque pays seraient à la manœuvre et prendraient l’initiative de renationaliser la politique monétaire ;

- une situation intermédiaire dans laquelle la zone se fracture en deux blocs, la Grèce n’appartenant à aucun des deux. Il y aurait alors un bloc sud endetté réintroduisant une forte inflation pour effacer ses dettes. Ce bloc comprenant notamment la France et l’Italie reviendrait aux politiques d’inflation/dévaluation d’antan, dont il avait réussi à se débarrasser dans les années 80. Le bloc du nord, construit autour de l’Allemagne entamerait un processus inverse de hausse de sa devise et de stabilité des prix voire de déflation. Cette hypothèse suppose la dissolution de la BCE et la création de deux nouvelles banques centrales, ce qui fait d’elle la plus improbable.  

Le gouvernement grec est confronté à l'opposition de ses partenaires européens. Récemment, c'est Wolfgang Schaüble qui a déclaré être dans l'impasse après son entrevue du jeudi 5 février avec Yanis Varoufakis : "Nous sommes d'accord pour dire que nous ne sommes pas d'accord". L'Allemagne pourrait-elle décider de ne plus payer pour les autres ?

Nicolas Goetzmann : Ce scénario est encore totalement fictif, mais il permet de comprendre la situation actuelle. L’Allemagne domine la zone euro de la tête et des épaules, et sa population trouve ça « normal » puisque son poids économique est prédominant. Si d’autres pays européens jugent l’Allemagne trop stricte, sa population a plutôt tendance à se considérer comme étant trop souple. Et ce sont les « autres » qui profiteraient des largesses allemandes. Dans de telles conditions, si Syriza parvient à obtenir des concessions importantes, cela provoquera un fort sentiment d’injustice en Allemagne, et du rejet. Et puisque l’Allemagne est déjà le pays ou l’euro est le plus impopulaire, même si cela est totalement contradictoire avec ses propres intérêts, la rupture serait proche. D’autant plus que la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe pourrait elle-même considérer que l’évolution de la zone euro va à l’encontre de la loi fondamentale allemande, et précipiterait alors un désengagement du pays sur certains volets. C’est-à-dire, pour être clair, la fin de l’ensemble.

Jean-Yves Archer : Européen convaincu, je ne peux hélas qu'apporter mon accord à cette analyse notamment sur la montée de l'impopularité de l'euro dans les villes hanséatiques. Au plan technique, je forme le souhait que les Grecs qui présentent désormais un solde budgétaire primaire excédentaire ne seront pas maximalistes et accepteront un allongement de la maturité de leur dette (sans exiger la rente dite perpétuelle) et sans exiger d'excessives renégociations sur le principal. Mandaté par son peuple pour négocier âprement ne veut pas dire jouer avec un lance-flammes face à ses partenaires qui, là, ne pourraient que se braquer à l'instar des récentes déclarations du Portugal. Comme l'a écrit Jean Cocteau : "Le tact dans l'audace, c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin". Pour le reste, je ne peux que répéter qu'une Allemagne lassée est un pays au bord de l'abandon de l'euro.

Jean-Marc Daniel : Pour l’instant, personne n’a réellement payé si ce n’est chaque pays pour lui-même au travers des politiques d’austérité. Le Fonds européen de stabilité financière a acheté par exemple pour 145 Mds € de dette publique grecque ; mais pour ce faire, il a emprunté et n’a fait appel aux impôts de personne. La solidarité est pour l’instant sous forme de dette et non d’impôt. Ce que l’Allemagne pourrait décider, c’est de refuser de continuer à s’associer à un processus qui par l’accumulation de dettes et par les assouplissements monétaires conduit d’abord intellectuellement puis ensuite pratiquement à faire de l’inflation un élément de résolution des problèmes. Plus généralement les pays comme la Finlande ou les pays baltes sont plus agacés par le comportement des Grecs que par le fait de payer ou de ne pas payer. Le fait que de la création de l’euro à 2009, les salaires de la fonction publique ont augmenté de 116% en Grèce contre 36% en moyenne dans la zone irrite les autres pays d’autant que sur cette période la Grèce n’a jamais respecté le pacte de stabilité et de croissance.

Dans ces conditions, des prétentions nouvelles des Grecs achèveraient de les déconsidérer aux yeux de leurs partenaires et pourraient conduire assez vite au point de non retour.

La Grèce a marqué à la fin du mois de janvier sa proximité avec la Russie, ce qui n'a pas manqué de provoquer plusieurs réactions, comme celle de Martin Schulz : "J’ai appris avec consternation que la Grèce a aujourd’hui abandonné la position commune de l’Union européenne sur la Russie. Vous ne pouvez pas, d’un côté, demander la solidarité de l’Europe comme le fait M. Tsipras pour ensuite poser comme premier acte officiel la fin de la position commune européenne" (voir ici en anglais). D'autres pays auraient-ils intérêt, dans l'hypothèse d'une disparition de l'euro, à rechercher un partenariat économique et politique plus marqué à l'Est ?

Nicolas Goetzmann : Que la Grèce ait des affinités, notamment religieuses, avec la Russie, affinités également partagées par Chypre n’est pas une surprise. Il est même absurde de ne pas le voir et la réaction de Martin Schulz semble naïve à cet égard. Mais dans un scénario d’éclatement de l’euro, ce qui est le plus inquiétant ici, c’est effectivement une confrontation Allemagne-Russie. Car L’Allemagne vise à l’est depuis plusieurs années. Ainsi, un éclatement européen ne la mettrait plus en situation de représenter l’ensemble de l’Europe, mais de se représenter elle seule. La compétition d’influence à l’est serait alors directe entre les deux pays. La Pologne, les Pays Baltes, l’Ukraine… apprécieront.

Jean-Yves Archer : La mise sous tension que veut imposer la Grèce à l'Europe suppose des excès et des maladresses. Si tout ce bruit devait, en revanche, se concrétiser par le renforcement des liens entre la Grèce et la Russie par-delà les positions officielles de l'Union, il y aurait un vrai problème de cohérence et d'alignement stratégique. Dans l'hypothèse d'une disparition de l'euro, l'Allemagne bâtirait un ensemble d'Europe centrale (Mitteleuropa) qui changerait bien des équilibres en Europe. Comme pourrait alors l'écrire l'économiste Jacques Sapir, la France représenterait un bel enjeu pour la Russie : un contrepoids géostratégique.

Jean-Marc Daniel : Le nouveau gouvernement grec fait vibrer la corde nationaliste et inscrit ses revendications dans la théorie d’un monde orthodoxe victime des agressions répétées de l’Occident. C’est de la politique pure qui doit selon l’expression même des nouveaux dirigeants d’Athènes combler ce qui est le plus lourd déficit dont souffre la Grèce, à savoir ce qu’ils appellent un « déficit de dignité ». La disparition de l’euro remettrait en cause la notion même de construction européenne. Elle signifierait un retour au protectionnisme soit monétaire sous forme de dévaluations brutales soit directement sous forme de restriction aux échanges commerciaux. Ce repli généralisé se ferait indépendamment de la Russie ou de la Chine.

Après des décennies d'échanges commerciaux facilités politiquement, comment les économies nationales pourraient-elles réagir ?

Nicolas Goetzmann : Pour absorber un tel choc, les Etats européens auront rapidement intérêt à soutenir leur demande intérieure plutôt que de poursuivre la doctrine mercantiliste actuelle. Il s’agit d’abord de stabiliser son économie, son taux de chômage, et d’instaurer une politique rendant l’économie de chaque pays un peu moins dépendante aux échanges extérieurs. Il ne s’agit pas de forcer le protectionnisme, mais que chacun surfe sur sa propre consommation en priorité, avant de penser à exporter à tout prix. Car c’est ce type de politique qui est l’origine du climat actuel de délitement, il ne s’agit pas de poursuivre. Les Etats-Unis vont bien parce qu’ils ne dépendent que d’eux-mêmes, ils n’exportent que 11% de leur PIB. Même la France en exporte plus du double. Que chacun prenne soin de sa demande intérieure est la condition essentielle à un développement plus harmonieux des échanges internationaux. Cela évite d’accuser les autres de vouloir provoquer des déséquilibres. Comme le font la Chine et l’Allemagne depuis 15 ans.

Jean-Yves Archer : L'euro disparu, c'est presque 28% des contrats du commerce mondial qui seraient monétairement orphelins. Autant dire que le dollar en profiterait pour relancer sa suprématie dans une perspective future – mais pas si lointaine – de compétition avec la monnaie chinoise. S'agissant de la France, je pense que renouer avec une monnaie strictement nationale nous limiterait et serait globalement un handicap. Se tourner vers la livre Sterling (dans le même désarroi que lors du projet de fusion du 16 juin 1940) semble irréaliste compte-tenu des divergences de nos économies et de nos secteurs financiers respectifs. Il reste des hypothèses avec d'autres pays (Espagne, Belgique, etc.) qui ne nous dispenseraient pas d'être obligés de recourir au dollar pour libeller nos échanges extérieurs. Comme pour les produits énergétiques à ce jour.

Jean-Marc Daniel : Il est certain que le repli protectionniste se traduirait par un appauvrissement immédiat. Ensuite, au gré des redistributions opérées par l’inflation, on assisterait à un désendettement général. A terme, les pays auraient le choix entre la stagnation du pouvoir d’achat compensée par la baisse du chômage ou un nouveau départ dans la mondialisation avec des politiques de stabilisation du change reproduisant peu ou prou les politiques d’austérité d’aujourd’hui.

Au regard des conséquences politiques et économiques d'un tel évènement, quelle serait la meilleure réaction du gouvernement français ?

Nicolas Goetzmann : Si l’hypothèse de base est une sortie de l’Euro, il n’y pas de réelle question de positionnement, il faut agir. Encore une fois, la première chose à faire est de mettre sur pied une politique monétaire crédible avec une équipe reconnue. Aller chercher un banquier central digne de ce nom, et si possible, apprécié par les marchés pour ses compétences. Parce que cela ne court pas les rues, et il faudrait même être prêt à engager un étranger. Les Anglais sont bien allés chercher un canadien, Mark Carney, et le résultat est plus que satisfaisant.

L’objectif est de reprendre la main et donc de mettre en place, très rapidement, un pacte de réformes à mettre en œuvre. Si la reprise en main du monétaire peut permettre d’améliorer la tendance de la conjoncture économique, il faudra en profiter à la seconde même. Se servir du choc pour construire un futur. Les fameuses réformes structurelles, un plan d’infrastructures etc.

Ensuite, il faut évidemment jouer l’apaisement avec l’Allemagne, parce que le niveau des échanges bilatéraux est colossal entre les deux pays. Et une main tendue aux pays qui vont souffrir le plus.

Jean-Yves Archer : J'aimerais croire que notre pays resterait arrimé au peloton de tête des économies européennes, donc en lien étroit avec l'Allemagne. Or, chacun peut constater l'évolution historique. Il y a dix ans, une Skoda était un véhicule de très moyenne gamme. Désormais, reconfigurée par VW, cette marque fournit des véhicules qui concurrencent aisément Peugeot ou Renault. Cet exemple sectoriel montre que notre spécialisation internationale s'éloigne du modèle du haut de gamme rémunérateur et d'autres secteurs sont dans la même perspective. Pendant ce temps-là notre gestion publique est erratique sur plus d'un sujet depuis plus de 20 ans. Dès lors, en monnaie locale (en nouveau franc) je crois que nous aurions 3 ou 4 ans de pression à la baisse sur notre monnaie soit via des dévaluations subies (exemples de Jacques Delors en 1982) soit via une dépréciation dynamique en taux de change flottant. Dès lors, notre équation nationale serait simple à résumer : rebond de compétitivité ou appauvrissement étendu ?

Jean-Marc Daniel : Le gouvernement français ne doit pas se tromper de combat. Il faut préserver l’euro avec ou sans la Grèce. Si les Grecs refusent d’appliquer le mémorandum de 2012 définissant les réformes structurelles à mener pour obtenir l’aide de l’Europe, il faut envisager leur sortie de l’euro, mais il faut le faire de façon ordonnée et faire en sorte que cela soit perçu comme un cas exceptionnel et non comme le début d’un processus. La France a été protégée jusqu’à présent par l’euro qui lui permet entre autres d’emprunter à des taux très bas, inférieurs aux taux britannique ou américain. La fin de l’euro serait pour elle le début d’une régression inflationniste de son économie et la fin d’un projet politique qui fut au départ avant tout le sien.

Propos recueillis par Alexis Franco

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