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ENA :"Le classement n'a pas été conçu pour être agréable mais pour garantir l'objectivité du recrutement"
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Enachronique ?

La suppression du classement de sortie à l’ENA paraît au premier abord une idée moderne, séduisante, « tendance »… Mais la réalité est malheureusement plus complexe. Il est plus salutaire pour l'école de modifier son enseignement que d'en éliminer le classement final.

Christine Demesse

Christine Demesse

Christine Demesse est président de l’Association des anciens élèves de l’ENA.

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La suppression du classement de sortie à l’ENA paraît au premier abord une idée moderne, séduisante, « tendance »… Mais la réalité est malheureusement plus complexe.

Avant 1945, les hauts fonctionnaires de l’Etat étaient choisis directement par les corps – car ce sont eux, les fameux « employeurs ». Dans certains cas, des concours spécialisés, plus ou moins équitables, étaient organisés. Dans d’autres, régnaient de manière plus ou moins ouverte la cooptation, le jeu des relations sociales et politiques, souvent même le pur et simple copinage. A la Libération, le général de Gaulle, instruit par l’expérience de l’Occupation, avait lancé de profondes réformes, destinées à rénover une administration jugée trop peu professionnelle, trop politisée, reproduisant mécaniquement les inégalités sociales les plus criantes.

L’idée d’inverser la méthode de recrutement initiale pour les hauts fonctionnaires est née de ce constat. En particulier, à l’ENA nouvellement créée, les élèves allaient choisir leur corps ou administration en fonction de leur seul mérite : système simple, brutal, imparfait, mais le moins injuste possible. Des élèves d’origine modeste, des femmes ont pu accéder ainsi très tôt à des responsabilités dont ils n’auraient jamais osé rêver naguère.

Ce système a toujours été critiqué : souvent par les élèves quand ils sont à l’Ecole, parce que c’est un dispositif peu agréable qui entretient l’esprit de compétition et contrarie parfois les vocations. Il est vrai qu’il n’a pas été conçu pour être agréable, mais pour garantir au citoyen la qualité et l’objectivité du recrutement de ceux qui ont vocation à le servir… Il a toujours été critiqué aussi par les politiques et par les réseaux en tout genre, qui ont perdu une part de l’emprise qu’ils exerçaient depuis un siècle sur les nominations publiques.

On veut à tout prix imposer aujourd’hui la suppression du classement et son remplacement par un système qui permettra aux corps et aux administrations de recruter comme de véritables « entreprises », selon une logique « managériale ». Ne nous payons pas de mots, regardons plutôt les faits. Le dispositif proposé est compliqué, laborieux, perclus de garde-fous peu réalistes. Je ne suis pas certaine, en dépit de la bonne volonté évidente de ses initiateurs, qu’il offre des garanties comparables à l’ancien système tout en améliorant réellement la professionnalisation des carrières. On peut craindre qu’il ne nous ramène, quelle que soit la vertu des hommes, le clientélisme politique, le corporatisme professionnel, la
reproduction sociale, bref les bonnes vieilles habitudes de la bureaucratie traditionnelle.

C’est une question importante, qui ne saurait être réglée entre deux virgules, au détour d’un texte de loi. C’est la raison pour laquelle un premier texte gouvernemental, laconique et de circonstance, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Au-delà de ce sujet, est en jeu la capacité des autorités gouvernementales à proposer une véritable vision pour l’Etat et l’action publique. L’ENA n’est après tout qu’une école, avec des élèves de tous âges et de toutes origines, qui recrute et forme une partie des cadres supérieurs de l’Etat. Or c’est un outil décisif. Chaque année, de nombreux candidats continuent d’être attirés par le service public et se présentent aux concours, portés par une véritable vocation. Ils ont besoin qu’on leur propose une ambition, des perspectives exaltantes et mobilisatrices. Sans une transformation profonde des conditions de l’action publique, qui engage non seulement l’Etat à tous ses échelons, mais aussi le champ immense des collectivités territoriales, notre pays continuera d’accumuler de lourds handicaps dans une compétition européenne et mondiale dont nous connaissons désormais tous les enjeux et tous les dangers.

Ce n’est donc pas le moment de perdre son temps et son énergie dans la mise au point de mécaniques d’affectation compliquées, peu convaincantes, dangereuses et fort peu transparentes. Il faut oublier les vieilles lunes et négliger les questions d’amour-propre. Ne
tergiversons pas : il faut garder le principe du classement par le mérite, qui offre seul les garanties d’un recrutement initial le plus objectif possible, le plus conforme aux objectifs républicains. Mais il faut aussi le moderniser, faire en sorte qu’il soit tempéré et accompagné par de bonnes et saines pratiques d’orientation professionnelle, destinées à bien sélectionner et affecter ceux qui ont vocation à servir l’Etat au plus haut niveau.

A un moment où la fonction publique se dote de vraies directions de ressources humaines à l’instar de celles du secteur privé, utilisons celles-ci pour avoir avec les candidats potentiels un vrai dialogue constructif sur les perspectives et les enjeux des postes auxquels ceux ci peuvent prétendre. Cette démarche permettra d’éviter aux candidats de s’engager sur des voies qui ne correspondraient pas à leur profil ou leurs aspirations.

Enfin, la question du classement me paraît moins fondamentale que celle de la formation dispensée à l’Ecole dont on ne parle pas assez. Il est pourtant essentiel de souligner qu’elle s’adapte sans cesse aux évolutions de notre société en mettant en place des modules qui correspondent aux aspirations et aux besoins du monde contemporain.

Tout cela mérite un vrai débat, serein et approfondi. Oui, pourquoi ne pas le dire ? Un débat parlementaire. Le recrutement des hauts fonctionnaires, si on le considère sérieusement et profondément dans toute sa dimension et ses conséquences, est tout sauf une question anodine. Surtout dans le monde et dans la société d’aujourd’hui. Il mérite mieux que d’être traité dans la pénombre des cabinets, en coulisses et en catimini, à coup de subtilités procédurales.

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