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Union eurasiatique : quand Poutine exploite la crise européenne
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Back to the USSR

Vladimir Poutine a appelé à créer une "Union eurasiatique" avec les anciennes républiques soviétiques qui deviendrait "l'un des pôles du monde contemporain". Il se défend toutefois de vouloir ressusciter l'URSS. Nouvelle "guerre froide", commerciale cette fois, en vue avec l'Europe ?

Thomas Gomart

Thomas Gomart

Thomas Gomart est historien et directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri) depuis 2015. Il est membre des comités de rédaction de Politique étrangère, de la Revue des deux mondes et d'Etudes dont il assure la chronique internationale. Il a récemment publié "L'affolement du monde : 10 enjeux géopolitiques" aux éditions Tallandier. Pour cet ouvrage, il a reçu le Prix du livre géopolitique 2019, le 18 juin, par Jean-Yves Le Drian.  

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Atlantico : Le projet d’une « Union Eurasiatique » est un projet de longue date, cher à Vladimir Poutine lorsqu’il était encore Président. En quoi consiste-t-il ?

Thomas Gomart : Effectivement, il ne s’agit pas d’une idée neuve… Vladimir Poutine, alors qu’il occupait les plus hautes fonctions de son pays, avait essayé de créer une union mettant en scène un espace économique commun entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, et l’Ukraine dont la plausible participation était plus fantasmée qu’espérée.  

Mais Vladimir Poutine ne s’arrêtait pas là, puisque l’idée était véritablement d’amorcer un processus d’intégration régionale, qui permettrait à la Russie d’organiser sa politique de voisinage.

Pareil projet ne dissimule-t-il pas la volonté de ramener dans le giron russe les ex pays satellites de l’Union Soviétique ?

Si vous fixez comme point de référence l’URSS, n’oublions pas qu’à sa chute, c’est précisément l’inverse qui s’est produit. Entre 1991 et 1999, Moscou a facilité l’indépendance des ex satellites soviétiques, car la Russie n’avait pas les moyens de les retenir. Et la Communauté des Etats indépendants (CEI) fut le cadre intermédiaire spécialement inventé pour gérer ce divorce à l’amiable. 

Ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, et son élection en 2000, que la Russie a renoué avec la volonté de retrouver de l’influence dans l’espace post soviétique.

Sous l’effet de plusieurs facteurs, cette volonté a été en partie couronnée de succès. Premièrement, il y a eu le développement économique exponentiel de la Russie depuis les années 2000, alimenté par la tension sur les prix énergétiques. 
Ensuite, la volonté de regagner de l’influence en politique étrangère et donc la reconquête de l’espace international perdu.

Le dessein du Président Poutine n’était donc pas de renouer avec le cadre géopolitique de l’URSS pour concurrencer l’UE qui intégrait alors les anciens pays du bloc communiste et les anciennes républiques soviétiques baltes?

Vladimir Poutine, alors Président, n’était pas dans l’optique de contrebalancer le poids de l’UE, dans la mesure où la situation intérieure de l’Europe était bien meilleure qu’aujourd’hui. A l’époque, elle préparait l’élargissement de 2004. 

Le dessein de Vladimir Poutine n’était donc pas de concurrencer l’UE par le biais d’une nouvelle URSS. Qui plus est, la Russie n’en avait pas les moyens. En revanche, le Président Poutine souhaitait ardemment que la Russie s’inscrive dans une dynamique post impériale, de sorte qu’elle puisse peser sur la communauté internationale, et ses « anciennes colonies ». Une situation finalement comparable à celle de la France post coloniale dans les années 60.

Ce qui a le plus changé depuis le projet russe de 2003, c’est le contexte géopolitique.  L’Europe est en plein désarroi identitaire, compte tenu de l’état de difficulté très grand que traversent les pays membres de l’UE. Un désarroi qui pourrait profiter à la Russie, en particulier sur la question ukrainienne.

Enfin, et bien qu’il y ait un rapport asymétrique entre l’UE et l’union douanière russe, l’importance réside dans le message que la Russie souhaite transmettre à l’Europe : elle n’est pas détentrice en chef de l’idée d’Europe, il y a différents formats possible… C’est un discours de plus en plus construit politiquement, qui pourrait faire naître une forme de compétition.

Où en est l’« Union douanière » entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan prévue pour début 2012 ?

Elle est entrée en vigueur depuis le premier juillet 2011 (elle fonctionne sur le plan douanier), mais ne sera consacrée que début 2012. Cette union risque d’être opérante assez vite, et la question de la participation ou non de l’Ukraine devrait se poser à brève échéance.

L’Ukraine se heurte régulièrement à son partenaire commercial russe concernant son approvisionnement énergétique, et ne se cache pas de ses aspirations européennes. Pourrait-elle cependant faire le choix de la Russie ?

C’est un pays clé en ce qui concerne l’éventuelle organisation post impériale russe. L’Ukraine n’est d’ailleurs ni ancrée à l’UE ni à la Russie, elle entretient des liens substantiels avec chacun d’eux, mais hésite.

Il est toutefois peu probable que l’Ukraine rejoigne cette union, car ce serait effectivement un renoncement à ses aspirations européennes.

Ensuite, ce serait une erreur en termes commercial et géopolitique, sachant que l’Europe pèse davantage avec son marché intérieur que la Russie. Mais c’est également un pays à genoux sur le plan économique, qui se refinance auprès du FMI et de la Russie, et qui depuis 2010 a resserré les liens de manière significative avec le partenaire russe. Un accord prévoit d’ailleurs l’acceptation de la présence militaire russe sur le sol ukrainien contre un prix préférentiel du gaz. Et l’économie ukrainienne, très énergivore, ne pourrait pas supporter un alignement sur les prix du marché européen. 

Sa dépendance énergétique vis à vis de la Russie sème le doute…

Les élections présidentielles russes approchent (2012), quelles sont les chances de Vladimir Poutine de pouvoir poursuivre son projet d’union en tant que Président russe ?

L’alternance n’appartient pas à la culture politique russe, les présidents sont désignés, voire s’auto-désignent dans le cas de Poutine, et cette désignation est consacrée par le suffrage universel.

Autant dire que Vladimir Poutine est d’ores et déjà réélu pour mars 2012.

Et Dimitri Medvedev ?

Il se verrait bien Premier ministre, et il y a aura probablement des tensions concernant l’attribution de ce poste.

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