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Liberté d'expression : pourquoi on ne gagnera jamais la bataille contre les préjugés racistes et antisémites en les censurant
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Mauvais choix

Manuel Valls a trouvé un écho dans le monde entier en dénonçant le nombre croissant d'actes antisémites en France, et à juste titre. Mais il se fourvoie lorsqu'il appelle à réprimer plus sévèrement les discours antisémites et négationnistes.

Brendan O'Neill

Brendan O'Neill est rédacteur en chef du magazine Spiked, et chroniqueur pour Big Issue et The Australian.

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Quand nos dirigeants apprendront-ils que la censure est la pire outil possible pour lutter contre les préjugés ? Manuel Valls a trouvé un écho dans le monde entier en dénonçant le nombre croissant d'actes antisémites en France, et à juste titre : dans un discours passionné, plein de vigueur, la question qu'il a posé devait retentir partout en Europe : "Où est donc passé l'indignation contre l'antisémitisme ?" La réponse qu'il propose pour combattre ce fléau - une répression plus sévère à l'encontre des discours antisémites et négationnistes - quant à elle, est dangereuse, car elle induit le fait que les Français sont incapables de contrer les délires anti-juifs en utilisant la raison, l'intelligence et le débat.

Lire aussi : 17% des Français pensent que les attentats de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes relèveraient d’un complot: un thermomètre de l’état de la société

Valls s'est enchaîné dans ses propres contradictions. Il avait l'intention de défendre les valeurs de la République française comme la liberté, et même la "liberté d'impertinence". Mais il a appelé les tribunaux français à punir ceux qui comme Dieudonné "incitent à la haine raciale". Il a rappelé que le discours antisémite, la négation de l'Holocauste sont des "crimes, [que] les tribunaux doivent punir avec la plus grande sévérité". Il a réaffirmé sa foi en la liberté d'expression, mais... "pas pour les racistes, pas les extrémistes, ni pour ceux dont l'opinion déplaît aux honnêtes gens". En réalité, il croit en la liberté d'expression, mais uniquement pour ceux qui ont une vision convenable, ce qui ne ressemble plus tout à fait à de la liberté de parole : mais plutôt une liberté accordée comme un privilège exclusivement à ceux dont le discours est jugé acceptable par l'Etat.

Malheureusement, l'attitude de Valls s'inscrit dans une idée largement répandue. Un sondage a récemment montré qu'un Français sur deux est pour une restriction de la liberté d'expression, et 42% pensent que nous devrions éviter de caricaturer le prophète Mahomet. Il n'a pas été le seul dirigeant européen à réagir au massacre de Charlie Hebdo en rappelant l'importance de la liberté d'expression, mais il s'est compromis peu de temps après en demandant des mesures répressives à l'égard des discours de haine. Angela Merkel a, elle aussi, rejoint le "Je Suis Charlie". Pourtant, elle dirige un pays où le négationnisme est illégal. David Cameron a quant à lui défendu le droit d'être offensant, mais il reste le Premier ministre d'une nation qui n'hésite pas à arrêter des gens pour avoir écrit des tweets offensants, ou qui emprisonne ceux qui ont critiqué l'armée britannique sur leurs pages Facebook. L'Europe est parsemée de politiciens qui n'arrivent pas à saisir la vraie définition de la liberté d'expression.

Ce que Valls, Merkel et Cameron ont en commun, c'est la croyance en l'idée que les préjugés peuvent être endigués par la censure, par la mise sous silence de ceux qui crachent leur haine. Non seulement c'est faux, mais c'est surtout l'effet inverse qui se produit. Proscrire certaines idées, les retirer de l'espace public a deux conséquences terribles. Premièrement, ces idées sont retranchées dans l'ombre où elles peuvent s'envenimer et croître en toute tranquillité car elles n'ont pas à s’embarrasser de la critique rationnelle. Cela peut même les rendre plus séduisantes pour ceux qui sont en marge de la société : en fait ces idées deviennent une sorte de fruit défendu, un acte de transgression, donnent une vision exotique d'un monde dangereux, que ceux qui sont contre l’État et la société n'ont plus qu'à embrasser. La France le démontre bien: le négationnisme y a été interdit il y a 25 ans mais le pays est aujourd'hui confronté à un sérieux problème avec la négation de l'Holocauste, en particulier dans certaines communautés d'immigrants étrangères à la société française.

Le deuxième problème posé par la censure, c'est qu'il affaiblit l'autorité morale de ceux qui sont rationnels, ceux qui savent que l'Holocauste s'est réellement produit et que la haine pour les Juifs est une position fétide. La censure nous prive du droit à en découdre avec les préjugés dans la rigueur de l'arène du débat public. Nous en sommes réduits, comme des enfants, à avoir les yeux recouverts et les oreilles bouchées plutôt que de jouer notre rôle de citoyen engagé, traquant les préjugés pour les révéler, et les rosser avec notre rigueur.

Essayer d'écraser les préjugés avec des interdictions implique d'abandonner ce que nous avons hérité des Lumières. John Milton, dans son plaidoyer pour la liberté de la presse, a déclaré: "Laissons la vérité combattre le mensonge ; Qui a déjà vu la vérité essuyer un échec dans une lutte libre et ouverte ?". Vous voulez affaiblir les préjugés ? Sortez-les de la clandestinité, des profondeurs d'Internet, laissez-nous les voir, les connaître et lutter contre elles dans une lutte libre et ouverte."

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