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L’habitat qui venait du froid : les Babyboomers sont-ils en train d’importer en France la cohabitation à plusieurs familles ?
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Revival hippie

Chez nos cousins nordiques, il n'est pas rare de rencontrer des familles constituées en communautés, qui fonctionnent sur la base de la mutualisation des moyens et de la vie à plusieurs. Les personnes issues du babyboom sont souvent les moteurs de ces regroupements.

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux est professeur émérite à la Sorbonne, université de Paris. Il est le directeur de la Formation doctorale professionnelle en sciences sociales et responsable du Centre de Recherches en SHS appliquée aux innovations, à la consommation et au développement durable. 

Il est aussi notamment co-auteur, avec Fabrice Clochard, de "Le consommateur malin face à la crise. : le consommateur stratège" (juillet 2013) aux éditions de L'Harmattant

Il vient de publier L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée, Peter Lang

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Atlantico : Les habitations communautaires (cohousing communities), sont des maisons ou des ensembles de foyers organisés sur le principe de l'entraide intergénérationnelle. Les familles ont chacune leur propre espace, mais la vie en commun y est tout particulièrement privilégiée. Ce style de vie existe depuis les années 60-70 dans les pays nordiques, et se développe de plus en plus, notamment chez les baby-boomers (lire ici en anglais). Pourquoi les personnes ayant la soixantaine, c’est-à-dire proches d'arriver à la retraite, ou qui s'y trouvent déjà, sont-elles susceptibles de passer d'un mode de vie standard à celui-ci ?

Dominique Desjeux : Quand il est question de mutualisation aujourd’hui, il existe toujours deux sortes de populations :

L’une collectivise les moyens de production, comme la machine à laver ou l’habitat, par valeur uniquement. En France, ce sont les CSP+ qui sont surtout susceptibles de procéder à cette mutualisation, principalement pour des raisons écologiques. Dans les pays scandinaves et anglo-saxons, historiquement, une grande valeur est accordée à la « communauté ». La réflexion autour de ce concept est très poussée dans les pays protestants, ce qui peut paraître paradoxal dans la mesure où la notion de personne, de discernement et de responsabilité individuelle est aussi très forte. Les formes de mutualisation peuvent varier. Il existe aux Etats-Unis les condominiums, qui en France correspondent aux immeubles médicalisés. Ces deux structures ne sont pas exactement les mêmes, mais elles correspondent à un moment de la vie, où l’on a besoin de sécurité et d’un accès à des soins.

L’autre population qui mutualise, c’est celle qui le fait sous contrainte de pouvoir d'achat. Cela existe même en France, dans la mesure où il arrive souvent, par exemple, que des gens qui divorcent continuent d’habiter ensemble parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer chacun un appartement. La mutualisation est avantageuse car elle représente une baisse des coûts économiques, par contre elle se paye par une augmentation des coûts de transaction entre les individus, car il faut beaucoup plus négocier l'accès aux usages des différents matériels mis en commun.

Parallèlement à ces deux populations, il existe un phénomène moins important, mais qui se développe depuis quelques années, qui est celui de la cohabitation intergénérationnelle : des personnes âgées prêtent des chambres à des personnes jeunes, souvent des étudiants, en échange de services, comme faire les courses, le ménage, etc.

Faut-il voir dans ce style de vie l'expression d'une certaine nostalgie à l'égard des années hippies ?

C'est fort possible, mais on sait par des enquêtes que beaucoup de gens qui ont commencé à vivre dans des communautés, parfois sexuelles comme c’était la mode dans les années 1970, ont eu du mal à vivre cela sur le long terme, car ils naturellement besoin de se recréer des espaces privés, et de se recréer de l’autonomie. Et cela se remarque partout dans le monde : dès lors que vous offrez la possibilité aux individus d’avoir plus d’autonomie, ils la saisissent. Cependant, même si les pratiques s’individualisent, ce n’est pas pour autant que le contrôle social disparaît. Celui-ci est toujours là, sachant se réinventer systématiquement à travers internet, la télévision…

En France, l'âge d'or des Trente glorieuses étant passé, et compte tenu des perspectives peu reluisantes en matière d'emploi et de retraite, ce style de vie, qu'il se fasse à l'échelle d'une maison ou d'un lotissement, a-t-il de l'avenir ?

Je pense qu'il a « de l'avenir » sous contrainte de pouvoir d'achat. La mutualisation et la vie collective sont liées à deux phénomènes importants : la contrainte de pouvoir d'achat, et la contrainte de sécurité. Car si la situation économique ne s’améliore pas, et si l’Etat n’assure plus la sécurité, le collectif, qui est un mode de protection, revient naturellement en force. On peut le faire par valeurs, comme je le disais, mais pour moi cela est forcément lié à une minorité, tellement le collectif reste une contrainte pour la plupart. Mais si l’Etat ne protège plus, nous allons retrouver des formes de sociétés patriarcales. Je suis absolument opposé à ce type de société, mais sous contrainte, un tel mouvement n’est pas à exclure.

Hors contraintes, la mutualisation correspond-elle à une phase de la vie ?

Je le pense, car il existe ce qu’on appelle des effets de cycle de vie. Aujourd'hui, une partie des papy et mamy-boomers deviennent des grands-parents assez classiques, et prennent en charge leurs petits-enfants. Ceux-là n’ont pas spécialement besoin de mutualisation. Une autre partie des papy boomers restent relativement autonomes vis-à-vis de leurs enfants et petits-enfants. En compensation à la famille, peut-être que certains d’entre eux se regroupent en communautés. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup restent seuls. A Paris il est frappant de voir la capacité des gens, et notamment des femmes, statistiquement, à rester seuls. Une partie préfère rester solitaire.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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