Le CV anonyme dans le trou noir du triple ni à la française <!-- --> | Atlantico.fr
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Le CV anonyme obligatoire n’a toujours pas fait l’objet d’un décret d’application.
Le CV anonyme obligatoire n’a toujours pas fait l’objet d’un décret d’application.
©Reuters

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Voté il y a maintenant neuf ans, le CV anonyme n'a jamais été pratiqué. Ou comment une loi non applicable n'a jamais été ni retirée, ni l'objet d'un décret d’application, ni respectée malgré les décisions de justice. La faute aux gouvernements successifs qui n'ont jamais vraiment eu l'envie de l'appliquer, ou tout simplement de s'attaquer au problème des discriminations à l'embauche.

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Atlantico : Neuf ans après son inscription dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le CV anonyme obligatoire n’a toujours pas fait l’objet d’un décret d’application : comment l'expliquer ?

Jean-François Amadieu : En réponse aux émeutes de 2005, le gouvernement de Dominique de Villepin a intégré le CV anonyme dans son projet de loi sur "l'égalité des chances". Les partenaires sociaux ont alors négocié un accord pour la diversité et ils n'y étaient à l'époque pas favorables, comme le président Nicolas Sarkozy. Il n'y a donc jamais eu de décret d'application. Par la suite, en 2012, la publication du décret était dans le programme du Parti Socialiste élaboré par Martine Aubry mais François Hollande ne l'a pas repris dans ces propositions. Ce n'est donc pas un engagement formel du Président. L'ultimatum du Conseil d'Etat, resté sans effet, est maintenant dépassé. On attend donc maintenant mars et le rapport du vaste groupe de travail mis en place à l'été dernier.

Pourquoi le gouvernement est-il si sceptique à propos du CV anonyme ? Le juge-t-il inefficace ?

Une partie de la gauche qui a une certaine influence, notamment la fondation Terra Nova, n'est pas favorable au CV anonyme car elle est pour des mesures de discrimination positive. Le premier ministre Manuel Valls s'est d'ailleurs déjà exprimé dans ce sens. Les milieux patronaux y sont aussi très opposés, notamment l'ANDRH (Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines). Le gouvernement ne veut pas leur déclarer la guerre.

Ce gouvernement, comme le gouvernement précédent, s'appuie sur une étude réalisée dans des conditions rocambolesques, commandée à l'époque par le commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances (partisan déclaré de la discrimination positive), Yazid Sabeg. Cette étude montre que les entreprises françaises feraient de la discrimination positive, donnant quatre fois plus de chances aux candidats aux patronymes africains. Donc d'après cette enquête, si le CV anonyme était appliqué, ce serait contre-productif selon certains. Ce qui est curieux car la discrimination positive est illégale… Les résultats sont d'autant plus étranges que les entreprises françaises ne pratiquent pas dans les faits la discrimination positive. Cette étude a été faite auprès d'entreprises qui ont été prévenues à l'avance et qui se sont conduites de manière anormale. Mais, bien entendu, tout le monde sait qu'il existe de multiples discriminations en France, dont les causes sont multiples, de l'apparence physique au patronyme.

Nous sommes face à une discrimination identifiée et on ne sait pas comment s'y prendre. Est-ce une preuve d'impuissance ?

Contrairement à ce que l'on peut croire, la France n'est pas un pays en pointe sur la question. On avait l'occasion avec le CV anonyme de prendre les devants mais malheureusement les Français n'y sont pas parvenus. On a par exemple ratifié la convention de 1958 de l'Organisation Internationale du Travail sur les discriminations au travail seulement 24 ans plus tard, après de nombreux autres pays. La France n'a mis en place la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) que parce que l'Union Européenne lui avait imposé cette décision en 2005. La France est un pays qui traîne plutôt les pieds vis-à-vis de ces sujets. On a un cadre légal mais il n'est pas appliqué. Il est à craindre que les pouvoirs publics restent  à l'inaction, voire pire, à la discrimination positive.

Le CV anonyme est-il vraiment la meilleure des solutions ? Quels autres outils préconiseriez-vous pour lutter contre les discriminations à l'embauche ?

Si on prend le cas des grandes entreprises et de la fonction publique, selon une étude réalisée au Conseil général de l'Essonne et rendue publique en décembre dernier, le CV anonyme demeure très positif. C'est plus compliqué à mettre en œuvre pour les petites entreprises, certes. Et cette mesure ne se suffit pas à elle-même. Il faudrait la compléter en généralisant notamment les tests professionnels d'aptitude et d'intelligence utilisés par Pôle Emploi. Par exemple, si vous voulez travailler chez Air France, vous passez des tests de langue. N'iront ainsi à l'entretien que ceux qui ont les compétences pour l'emploi proposé.

Bien sûr, il peut encore y avoir des discriminations lors de l'entretien, mais elles sont déjà fortement diminuées car dans les stades ultérieurs, on n'a retenu que les meilleurs. Cela fait réfléchir les recruteurs : si vous avez quelqu'un qui est vraiment excellent, il serait curieux de l'évincer. C'est comme les examens : vous passez un écrit anonyme avant l'oral. L'idée c'est : pourquoi faire mal dès le départ ? On supprime un stade de discrimination. C'est beaucoup mieux que les CV vidéo, très discriminants, apparemment à la mode aujourd'hui.

Il faut aussi s'attaquer à l'accès aux stages et aux contrats d'apprentissages. C'est le réseau familial qui permet avant tout de les obtenir. Il faut donc remédier à cette discrimination selon l'origine sociale. C'est d'autant plus important que ces stages et apprentissages sont le premier pas vers l'emploi.

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