Mahomet aurait-il dit “Tout est pardonné” ? Celui de la Mecque peut-être, mais celui de Médine, moins sûr…<!-- --> | Atlantico.fr
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La Une de Charlie Hebdo reproduit un musulman, prophète ou non, tenant un écriteau "Je suis Charlie".
La Une de Charlie Hebdo reproduit un musulman, prophète ou non, tenant un écriteau "Je suis Charlie".
©REUTERS/Philippe Wojazer

Dichotomie

Selon la classification traditionnelle, les sourates révélées à la Mecque relèvent de la transcendance et constituent un message d’amour, à l'inverse de celles de Médine, plus politiques et militaires.

Mezri Haddad

Mezri Haddad

Mezri Haddad est Philosophe et ancien Ambassadeur à l'UNESCO. Il est l'auteur de plusieurs essais et articles sur la réforme de l'islam et l'un des précurseurs en matière de comparatisme religieux. En France, c'est le seul intellectuel musulman à avoir été qualifié en 2007 par le CNU maître de conférence en théologie catholique.

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Atlantico : Après les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, les voix au sein de la communauté musulmane mondiale ont été divergentes. La Une de leur dernier numéro reproduit justement un musulman, prophète ou non, au-dessus duquel il est écrit "Tout est pardonné". Le prophète Mahomet aurait-il pardonné d'avoir été caricaturé par un journal ? Jusqu'où peut aller la spéculation sur cette question ?

Mezri Haddad :Le prophète que je connais et qui est le mien aurait certainement pardonné à ceux qui l’ont caricaturé.Telle est l’attitude naturelle de la figure prophétique, que ce soit chez les juifs, chez les chrétiens ou chez les musulmans. La réaction de certains de mes coreligionnaires relève soit de l’ignorance, soit de la ferveur exhibitionniste, soit encore de la pathologie victimaire. En tant que musulman, je considère que cette phrase attribuée au prophète, "Tout est pardonné", lui rend le plus bel hommage. Mieux encore, elle restitue au prophète de l’islam l’humanité et l’humanisme que certains musulmans lui ont enlevé. Ceux qui s’estiment offensés par ce dessin et qui se considèrent comme défenseurs de l’islam et de son prophète doivent savoir qu’en moins  de dix ans, nul n’a autant discrédité l’islam et terni la figure prophétique que les musulmans eux-mêmes. A plus forte raison les islamistes, qui ont réduit le Coran à un guide politique, et Mohamed à un chef temporel impitoyablement dominateur, législateur et vengeur. C’est Montesquieu qui disait : "Comme la religion se défend beaucoup par elle-même, elle perd plus lorsqu’elle est mal défendue que lorsqu’elle n’est point du tout défendue". Et si ce philosophe "impie" n’est pas très crédible pour les musulmans, voici ce que Dieu lui-même dit dans le Coran : "c’est Nous qui avons fait descendre la révélation et c’est Nous qui en sommes les seuls gardiens".

Il existerait deux islam différents : l'un, directement issu de l'ange Gabriel, spirituel et qui pardonne, l'autre, qui serait un islam des sourates, originaire de Médine, plus politique et conquérant. Quelle est la place aujourd'hui de cette distinction ?

Il n’y a pas seulement deux islam différents mais une multitude d’islam, ou plus exactement une infinité d’attitudes dites islamiques. L’islam averroïste n’est pas l’islam wahhabite, qui n’est pas l’islam des Frères musulmans, qui n’est pas celui des Talibans, qui n’est pas celui d’Al-Qaïda… Il y a une différence historique, sociologique, culturelle et même cultuelle entre l’islam de Tunisie, celui d’Arabie Saoudite, celui du Qatar, celui d’Iran, celui de Mauritanie, celui du Sénégal, celui d’Indonésie… Il est vrai qu’ils se réfèrent tous au même corpus fondateur, le Coran. D’où votre question sur la différence entre les sourates mekkoises et les sourates médinoises, une distinction qui est d’ailleurs basée sur une classification traditionnelle et dogmatique des sourates, dont la véracité "scientifique" a été remise en cause par l’islamologie moderne et les exégèses historico-critiques. Le classement des sourates dans l’édition originelle et décrétée définitive vers 647, par le troisième calife Othman, ne suit pas l’ordre chronologique de la révélation. On y trouve assez souvent, à l’intérieur de la même sourate, des séquences ou même des versets reçus à des moments séparés. Comme l’a si justement dit plus tard Averroès, "Le Coran fut rassemblé en un ensemble unique, lequel s’imposa à la mémoire en cela même qu’il est rassemblé" ! C’est pour vous dire qu’il n’y a pas un Coran spirituel d’un côté et un Coran temporel de l’autre. Il y a un seul Coran qu’il faut savoir lire et interpréter.

Quelles sont leurs spécificités, et comment en expliquer les évolutions ?

Le Livre s’étant révélé par fragments ou, comme le dit de façon pittoresque la tradition islamique, par "étoilement" (munajjaman), on a considéré à partir de cette classification traditionnelle que les sourates révélées à la Mecque relevaient de la transcendance et étaient un message d’amour, de paix et de fraternité avec les juifs, les chrétiens et même les païens ; à l’inverse des sourates révélées à Médine, qui relevaient de l’immanence et qui seraient résolument politiques, juridiques, militaires… Même si cette distinction manichéenne n’est pas fausse, je considère que le problème n’est pas là, et je vous répète qu’il n’y a pas un Coran spirituel d’un côté et un coran temporel de l’autre, l’un qui appellerai à la paix et l’autre à la guerre, l’un qui prêcherait l’amour et l’autre qui sécrèterait la haine. Le vrai problème est dans l’interprétation du Coran. Il y a très longtemps que les savants musulmans auraient dû ranger aux antiquités les exégèses traditionnalistes, littéralistes et intégralistes, pour interpréter le Livre à la lumière des sciences modernes. Je veux dire à la lumière de l’herméneutique, de l’exégèse historico-critique, qui a d’ailleurs fait passer l’exégèse biblique de l’obscurantisme à la Modernité et de la théocratie à la sécularisation. L’herméneutique, c’est l’explication du texte par le contexte. Si l’on adoptait cette méthodologie dans notre lecture du Coran, on n’aurait aucune difficulté éthique à décréter certaines sourates ou versets comme étant totalement anachroniques. En faisant preuve d’intelligence et de rationalité, ce que Dieu lui-même nous recommande, on s’apercevrait aisément que ce qu’Il prescrivait au prophète sur le djihad par exemple, et que celui-ci ordonnait à sa communauté de Médine contre les polythéistes de la Mecque, n’a plus aucun sens aujourd’hui. Les savants de tradition islamique et les musulmans en général ne doivent aucunement culpabiliser en déclarant anachroniques certaines sourates du Coran, puisque celui-ci dit de lui-même qu’il y a des versets décisifs (muhkam) et des versets approximatifs (mutachaabih). C’est donc Dieu lui-même qui nous incite à la réflexion et à faire preuve de Raison dans l’interprétation de son Livre.                     

A quelles branches de l'islam chacune de ces voies appartiennent-elles aujourd'hui, et à quelle proportion de croyants correspondent-elles ?

Ces deux branches de l’islam appartiennent à un courant littéraliste et fondamentaliste d’une part, et à un courant rationaliste d’autre part. Le premier est majoritaire dans le monde musulman et le second est très minoritaire. Ces deux courants ont d’ailleurs leurs origines remontant aux premiers siècles de l’islam, avec d’un côté le Hanbalisme (stricte orthodoxie), et de l’autre le Mutazilisme (rationaliste), qui a été éradiqué par l’orthodoxie dominante et dont le dernier illustre représentant a été Averroès. Le wahhabisme, le talibanisme, l’islamisme en général s’inscrivent dans la tradition Hanbaliste. Je ne connais pas un seul pays musulman aujourd’hui qui a fait du Mutazilisme sa doctrine religieuse officielle. Pis encore, 90% des musulmans, mêmes les plus "éclairés" parmi eux, considèrent implicitement qu’étant sacré, on n’a pas le droit de toucher aux exégèses traditionnelles et nécrosées du Coran, encore moins au Coran lui-même.

Malgré tout, la base est commune, et les frontières sont poreuses. Quelles sont les principales influences entre les deux que l'on a pu noter ?

Certes, la base est commune mais les frontières ne sont pas si poreuses. Entre l’écrasante majorité qui dit suivre la "sainte tradition", et l’infime minorité qui est savante et éclairée, la distance est abyssale. Elle l’était déjà avant le "printemps" dit arabe, à plus forte raison après, lorsque des voix hypocrites et irresponsables, y compris de non musulmans en France, nous ont persuadés que "l’islamisme modéré" est une bonne chose pour le monde arabe. Je l’avais écrit par ironie dès 2011, "A vous la charia, à nous le pétrole. Chacun sa religion" ! Comme dans la tradition chrétienne, qu’elle soit catholique ou protestante, il faudrait encore plusieurs siècles avant que le Coran s’historicise et que les musulmans se sécularisent. A moins d’un miracle divin !

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