La réalité derrière les moyennes : qui pense quoi de son avenir économique personnel en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Seuls 29% des Français ont confiance en l'évolution de leur situation personnelle.
Seuls 29% des Français ont confiance en l'évolution de leur situation personnelle.
©Reuters

Pessimistes mais lucides

On savait les Français pessimistes sur l'avenir économique de leur pays, mais quand on leur parle du leur, ils font toujours la moue. Selon le dernier sondage Odoxa pour BFM et Challenges, seuls 29% ont confiance en l'évolution de leur situation personnelle.

Christophe Boucher

Christophe Boucher

Christophe Boucher est économiste. Il enseigne à l’université de Lorraine.

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Atlantico : Selon le nouveau sondage publié par Odoxa pour BFM et Challenges, seuls 29% des Français affirment être confiants dans leur avenir économique personnel. Quelles sont les raisons concrètes qui  poussent les autres à voir cet avenir avec noirceur ?

Christophe Boucher : Ce type d’enquête est intéressant mais les résultats doivent toujours être interprétés avec précaution pour au moins deux raisons. D’abord, les réponses sont éminemment subjectives et biaisées. La formulation des questions et l’ordre des questions, l’environnement, l’humeur du moment, le moment de la semaine voire de la journée influencent la nature des réponses à ce type d’enquêtes. Une étude a même montré que la victoire de son équipe de foot favorite influence la réponse à une question sur la satisfaction à l’égard de sa propre vie. Ensuite, on sait que les ménages français sont structurellement pessimistes. Il s’agit d’un trait culturel assez marqué. A niveau de vie similaire, les ménages français se déclarent toujours moins heureux et plus pessimistes que ceux des autres pays.

Ceci étant dit, au sein d’un pays, les fluctuations conjoncturelles sont très corrélées avec le bonheur. Le niveau de l’inflation, les récessions, le chômage et l’instabilité économique rendent les ménages malheureux. La conjoncture française et les perspectives de croissance à court et moyen terme, sans être très mauvaises, sont plutôt moroses. Nous sommes proches de la récession (l’activité stagne voire se réduit un peu) mais attention nous ne sommes pas dans une récession sévère. Les enquêtes conjoncturelles menées auprès des économistes et des acteurs économiques sont relativement proches de leur moyenne historique. D’un point de vue conjoncturel, la croissance est quasi nulle, le taux de chômage est au-dessus de 10% et celui de longue durée représente maintenant près de la moitié de ces chômeurs, le niveau des prix de l’immobilier est très élevé, la rémunération des placements sûrs est quasi nulle et la pression fiscale s’accroît. Nous avons par ailleurs connu en quinze ans plusieurs crises financières qui ont lourdement pesé sur les portefeuilles des ménages les plus aisés. Il faut noter néanmoins que ces caractéristiques ne sont pas propres à la France.

Par ailleurs, les perspectives à moyen terme sont peu réjouissantes avec l’hypothèse défendue par certains économistes "d’une stagnation séculaire", c’est-à-dire des rythmes de croissance de l’activité déprimés pour les années à venir, en raison entre autres de gains de productivité ralentis. Enfin, il faut noter un certain paradoxe. Dans le court terme, le bonheur suit la conjoncture économique, mais sur le long terme, la croissance du revenu n’entraîne pas celle du bonheur.

Les sondages et enquêtes de ce type s'enchaînent tous les ans. Il y a toujours une part de citoyens qui affirment ne plus croire en l'amélioration de leur avenir économique. Aujourd'hui elle représente les 3/4 de la population mais cela fluctue. Existe-t-il cependant une frange de la population qui soit irréductiblement pessimiste sur ce sujet, que ce soit en fonction de la CSP, de l'âge ou d'un autre facteur ?

Les études sur la mesure du bonheur tendent à mettre en évidence plusieurs déterminants importants. Les ménages les plus heureux sont ceux qui ont un emploi, des revenus élevés, une famille, des amis, qui vivent en démocratie... Au sein d’un pays, les riches sont plus heureux que les pauvres. On observe une corrélation entre revenus et bonheur déclaré.

Enfin, phénomène curieux, au cours de la vie, il y a des âges où, plus souvent qu’à d’autres, on se déclare heureux. Schématiquement, le sentiment de bien-être commence par décliner jusqu’à l’âge de 50 ans environ pour amorcer ensuite une nette remontée conduisant à son apogée au cours de la soixantaine. Les travaux en psychologie et en biologie nous apprennent que la propension à l’optimisme ou au pessimisme est en grande partie un phénomène génétique mais également lié aux traits de la personnalité tels que l’extraversion ou l’estime de soi. Les facteurs sociaux et économiques (statut, mariage, revenu, nombre, d’heures de travail, etc.) sur lesquels les pouvoirs publics pourraient avoir davantage prise n’expliquent qu’une partie seulement des différences d’attitude des individus. Néanmoins, les pessimistes sont le plus souvent des hommes que des femmes, ont entre 30 et 60 ans, n’ont pas d’emploi et/ou de faibles revenus.

On pourrait corréler cela à une autre information anecdotique, celle des ventes record de la Française des jeux. Peut-on affirmer que si les Français jouent de plus en plus c'est parce que la perception de leur avenir économique paraît si noire qu'ils préfèrent s'en remettre au hasard pur ?

Jouer aux jeux de hasard est, en quelque sorte, irrationnel car la plupart du temps les individus n’aiment pas prendre de risque. L’espérance de gain des joueurs est en effet négative. En moyenne, un joueur dépense davantage d’argent en participant qu’il ne peut espérer en gagner compte tenu des probabilités de gain. Mais les études sur le comportement des ménages en situation d’incertitude montrent que nous avons tendance à déformer les probabilités objectives de gagner comme de perdre. Jouer au Lotto, c’est acheter du rêve et l’espoir d’une vie de millionnaire.

Globalement, les joueurs de la Française des Jeux présentent les mêmes caractéristiques que le reste de la population française; leur profil sociologique reflète la diversité sociale du pays. On observe juste une très légère surreprésentation des ouvriers et des employés. L’état de la conjoncture est en effet un déterminant potentiel des comportements de jeux. La piste de l’évolution des inégalités et du rapport des 1%-99% me semble également  intéressante à creuser.

On raille souvent le pessimisme des Français, un des plus importants en Europe. Est-ce que ce trait psychologique peut en partie expliquer cette perception sombre de l'avenir économique ?

Absolument, la France se distingue par un très mauvais classement dans les comparaisons internationales du bonheur subjectif. Les français se déclarent presque toujours moins satisfaits que leurs voisins à niveau de vie comparable. Ce pessimisme concerne non seulement la situation économique mais également les institutions telles que la police, la justice, les partis politiques, etc. Seul le système de santé échappe à cette vision morose.

Plusieurs théories ont tenté d’expliquer ce moindre bonheur typiquement français. Certains mettent en avant la lourdeur de la réglementation étatique et l’absence de confiance entre les acteurs économiques. La verticalité hiérarchique de la société française depuis l’école jusqu’à l’entreprise est également avancée. Certains pointent la contradiction du principe républicain de la promesse de l’égalité qui coexiste avec une représentation très aristocratique du mérite scolaire. D’autres suggèrent la nostalgie de la grandeur coloniale de la France ou des préférences anticapitalistes qui seraient inculquées par le corps enseignant.

On se focalise souvent sur ces pessimistes, mais intéressons-nous à ces 29% qui ont confiance dans leur avenir économique personnel. Quelles sont leurs raisons d'espérer et ont-ils un message à donner au reste des Français ?

Il y plusieurs raisons objectives d’espérer. D’abord, la chute du prix du pétrole et la faiblesse de l’inflation (voire la légère baisse des prix) va dégager un peu de pouvoir d’achat pour les ménages et réduire les coûts de certaines entreprises. Ceci est favorable  à l’activité et à l’emploi. Ensuite, nous avons un moteur encore en marche dans l’économie mondiale, c'est-à-dire les Etats-Unis, qui devraient aider à tirer la croissance européenne. Enfin, on peut attendre un geste de la Banque centrale européenne le 22 janvier prochain ou dans les semaines  à venir qui immédiatement n’aura un effet que sur les marchés financiers, mais qui à l’horizon de quelques mois devrait contribuer à améliorer la situation conjoncturelle et réduire le chômage. Enfin, à moyen-long terme, nous attendons peut-être une nouvelle révolution technologique qui stimulera la consommation, l’investissement et les gains de productivité. Les appareils connectés, les drones, l’intelligence artificielle associée à la géolocalisation (Google car) peuvent laisser espérer. Typiquement, les travaux académiques montrent que les individus les plus optimistes ont des hauts revenus, des perspectives d’évolution de carrière et un niveau d’éducation élevé.

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