Ne pas rire tue : pourquoi la santé publique doit vraiment se préoccuper du sens de l'humour<!-- --> | Atlantico.fr
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L’humour a été invoqué à de multiples reprises ces derniers jours pour faire face à la tragédie de Charlie Hebdo.
L’humour a été invoqué à de multiples reprises ces derniers jours pour faire face à la tragédie de Charlie Hebdo.
©Reuters

C'est remboursé par la sécu ?

Le drame qui s'est abattu sur Charlie Hebdo n'a pas eu pour effet de départir les membres survivants de la rédaction de leur sens de l'humour, bien au contraire ! C'est la nature humaine qui reprend ses droits, tout simplement.

Martine Medjber-Leignel

Martine Medjber-Leignel

Martine Medjber-Leignel, psychothérapeute et enseignante à l’Ecole Internationale du Rire est co-auteure avec la journaliste Joëlle Cuvilliez de Le rire pour les nuls (First Editions). Elles co-animent le club de rire de Vincennes tous les mardis de 19H à 20H au Centre de Loisirs 21 rue d’Estiennes d’Orves, métro Bérault. Elles ont également publié  Maintenant, réjouissez-vous! (First 2014) et 50 exercices de rire (Eyrolles 2014). Elle anime le blog Yoga du rire.

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Atlantico : L’humour a été invoqué à de multiples reprises ces derniers jours pour faire face à la tragédie de Charlie Hebdo. Certaines études (voir ici) ont mis en évidence le rôle du rire dans le soulagement de cas de dépression ou d’anxiété : pourquoi l’humour, et par extension, le rire, nous soulagent-ils ainsi ?

Martine Medjber-Leignel : Le fait de rire permet de relâcher la pression, de conduire le plus directement au lâcher-prise. Cet acte oblige à expirer tout le gaz carbonique qui se trouve dans les  poumons, puis à inspirer de nouveau de l’oxygène, ce qui permet de régénérer le sang, les cellules nerveuses et les neurones. Eclater de rire, c’est donc un peu comme ouvrir grand les fenêtres d’une maison !

La dépression, les ruminations, les pensées négatives sévissent au niveau de la tête. Le rire, lui, permet de revenir au corps et à l’instant présent. Même s’il est possible de rire seul, généralement cela se fait à plusieurs. Partager le rire avec autrui crée une ouverture d’esprit et de cœur qui permet de se soustraire à la pression et à l’autocritique. Fondamentalement, le rire est une prise de recul sur nous-même, sur la vie et les événements, même les plus graves.

L’organisation d’une soirée consacrée à Charlie Hebdo et à l’humour dimanche 11 janvier sur France 2, ainsi que le fait que des chroniqueurs radio et télé aient tout de même cherché à faire rire, sont donc des réactions naturelles ?

C’est une façon de relâcher la pression émotionnelle car le choc à été violent pour tous ; c’est aussi une manière d’offrir une respiration salvatrice au milieu de cette tragédie et de célébrer la vie quoiqu’il arrive. Que faire de mieux que d’éclater de rire lorsque les mots ne suffisent plus ? Il se trouve que j’ai participé à la Marche républicaine de dimanche dernier en compagnie de quelques membres du club de rire de Vincennes : comme tout le monde, nous partagions la même énergie pacifique, ce qui n’a pas empêché des éclats de rire de s'inviter. Le rire fait partie de la vie, en parallèle de tous les désespoirs.

D’autres études ont montré que lorsque des personnes hospitalisées rient devant un film, elles ressentent moins de douleur physique. Comment expliquer que l’humour devienne un palliatif à la morphine ?

Le fait de rire permet de sécréter des endorphines, ce sont les hormones du plaisir et du bien-être, elles ont une action antalgique. C’est par exemple la fonction des clowns qui se rendent auprès des enfants hospitalisés pour créer une sorte de parenthèse dans la douleur. En Amérique du Sud, lorsqu’un enfant se fait mal, les adultes l’invitent à rire, justement pour que son corps sécrète les hormones qui lui permettront de dissiper la douleur. Le journaliste Norman Cousins, rédacteur en chef du Saturday Review a même décrit dans son livre : comment je me suis soigné par le rire comment, grâce à une cure de  rire, il a pu lâcher ses médicaments et guérir d’une spondylarthrite ankylosante réputée incurable.

Maladies cardiovasculaires, déficiences pulmonaires, fécondation in vitro… L’humour aurait des effets bénéfiques dans toutes ces situations. Dans quelle mesure peut-il se substituer au traitement médicamenteux ?

L’organisme, normalement, s’autorégule et sait apporter les anticorps nécessaires à la vie et à la bonne santé. Mais parfois des stagnations de toxines se produisent, et une respiration qui ne prend pas sa source dans le ventre entraîne une inertie du diaphragme et un grand nombre de maladies aussi bien digestives qu’émotionnelles. Apprenons à respirer comme les chats et les bébés, c'est-à-dire totalement : l’inspir démarre en soulevant le ventre, puis l’oxygène remplit nos poumons, c’est une respiration dite complète ou diaphragmatique. Le rire permet de remettre du mouvement dans les systèmes sanguins, lymphatiques et nerveux et ainsi de renforcer le système immunitaire. En observant l’activité cérébrale des rieurs, des chercheurs ont pu constater que les "centres de récompense", situés dans la partie gauche du cerveau étaient activés. Ce sont les zones cérébrales qui libèrent la dopamine, un neurotransmetteur essentiel dans les sensations de plaisir. Cette observation devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes de la déprime et de trouver ainsi des traitements révolutionnaires pour la soigner.

Le docteur Patch Adams, clown médecin rendu célèbre grâce au film Docteur Patch, interprété par Robin William a créé aux Etats-Unis, grâce aux six millions de dollars de droits d’auteur, une clinique du rire gratuite qui a soigné 15 000 patients en douze ans. Le personnel fournissait des moyens de se divertir aux patients, ceci afin de doper leur santé : "le nez rouge est ma thérapeuthique favorite" disait Patch Adams. Le docteur généraliste indien, Madan Kataria a pour sa part créé le yoga du rire en 1995. Les médecins sont donc nombreux à avoir conscience du fait que le rire peut prévenir, mais aussi, dans certains cas, guérir. Ainsi depuis Aristote on préconise de rire au moins dix minutes par jour. A quand remonte votre dernier fou-rire ?

L’humour est souvent présenté comme un bouclier, mais y a-t-il des effets négatifs à trop en user ?

Effectivement, l’humour, s’il est trop sardonique, peut se "dévoyer". Mais il faut bien avoir conscience que l’humour étant mental est culturel, il n’est pas partout le même dans le monde et que notre collègue peut ne pas nous amuser du tout , alors qu’il est persuadé d’être drôle ! Ce qui est universel en revanche et bénéfique pour tous c’est le rire, qui est un acte de liberté totale, une forme de reprise de pouvoir sur sa vie et une ouverture envers les autres

Comment faire pour développer et entretenir ce sens de l’humour si salutaire ?

Le décalage, la surprise provoquent le rire, l’humour est  un angle de vue qui se construit selon la sensibilité et l’éducation de chacun, son rôle n’est donc pas de fédérer mais de nous ouvrir les yeux, de nous offrir un regard complémentaire grâce à sa pertinence et son acuité. Mais la provocation ne suffit pas, il est indispensable pour une bonne santé sociale de partager des moments de fraternité, de rire et de bienveillance, le rire relationnel, toutes générations confondues, ouvre les cœurs et nous rapproche les uns des autres, rire ensemble sans raison et pour le plaisir de rire tisse un terreau social d’espoir et de joie, ce dont nous avons je pense grand besoin.

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