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"Arnaud Montebourg ne peut pas dénoncer l'influence de Nicolas Sarkozy sur les médias et souhaiter dans le même temps supprimer la télé-réalité"
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Dé-télé-réalité

Invité à s’exprimer ce vendredi dans le journal Libération, Arnaud Montebourg annonce qu’il compte interdire la télé-réalité s’il est élu Président en 2012. Est-ce vraiment aux hommes politiques de déterminer le contenu des programmes TV ?

Francis Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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Atlantico : Arnaud Montebourg a déclaré ce vendredi matin à Libération vouloir durcir le cahier des charges des chaines privées et sonner le glas de la télé réalité. Est-ce réalisable ?

Francis Balle : Interdire la téléréalité ? Pourquoi pas ? Mais par le biais du CSA et pour les chaînes publiques. C’est d’ailleurs ce que fait déjà le CSA en interdisant les émissions jugées trop « trash ». En ce qui concerne les chaines privées, elles doivent continuer à vivre comme des entreprises privées, obéissant à la loi du marché. Si les téléspectateurs ne veulent plus d’émissions « trash », c’est à eux de les snober.

Arnaud Montebourg voit le problème à travers le petit bout de la lorgnette. Concrètement, par démagogie, à l’endroit des émissions qui ne font pas honneur à la télévision dans son ensemble, il veut procéder par interdiction, ce que la législation en l’état actuel, ne lui permet pas de faire. Il y a une autorité administrative indépendante, c’est le CSA. C’est à elle que revient le devoir et le droit d’allouer les fréquences et de subordonner, lorsqu’il s’agit d’un éditeur privé de radio ou de télévision, cette licence à un cahier des charges, à une convention qui lie le titulaire de l’autorisation au CSA, avec des obligations générales (qui sont celles de la loi) et des obligations particulières (relatives à la ligne éditorial du média).

Ce qui est aujourd’hui extrêmement fâcheux, c’est que les obligations qui pèsent sur le secteur public soient déterminées par décret. Elles sont concrètement entre les mains du pouvoir exécutif. Ce qui serait logique c’est que ces obligations soient également entre les mains du CSA, et plus fortes qu’elles ne le sont aujourd’hui. En revanche, lorsqu’il s’agit d’entreprises privées, les obligations qui pèsent sur le secteur devraient être plus légères que celles qui pèsent aujourd’hui.  Il s’agit d’entreprises privées, par définition, leur verdict, ce sont les audiences et ce que rapporte la publicité.

Est-ce que le Président de la République a vocation à intervenir sur le contenu des programmes télévisés ?

Je croyais que l’on était dans un régime de liberté d’expression… Dans un régime de liberté d’édition, les éditeurs sont libres de déterminer eux-mêmes leurs programmations. Avec bien-sûr l’intercession du CSA dont la vocation, professionnellement parlant, reste de veiller à ce que la dignité de la personne humaine ne soit pas entachée, à ce que la sensibilité des jeunes ne soit pas mise en cause, etc.

Mais en l'espèce, les propos d'Arnaud Montebourg marquent une forme de censure. Nous n’avons pas à dicter aux éditeurs ce qu’ils doivent faire. La loi peut éventuellement leur dicter ce qu’ils ne peuvent pas faire. A l’intérieur de ce périmètre dicté par la loi, tout est permis.

N’y a-t-il pas une contradiction de la part d’Arnaud Montebourg dans le fait de dénoncer la nomination du Président de France Télévisions par le Président de la République, et de vouloir en parallèle imposer aux médias sa manière de voir les choses ?

Ce n’est pas du tout scandaleux qu’il y ait une certaine cooptation entre la politique et le monde des médias. On dit que c’est un recul des libertés… La liberté c’est de faire en sorte que les chaines publiques restent de vraies chaines publiques et que les chaines privées restent privées. Mais ce n’est pas au gouvernement de dire aux chaines privées ce qu’elles doivent faire. Arnaud Montebourg ne peut pas dénoncer l'influence de Nicolas Sarkozy sur les médias et souhaiter dans le même temps supprimer la télé-réalité.

Il n’a pas compris la logique qui est celle de l’autorité de régulation qui s’interpose entre le marché et les éditeurs privés et entre le pouvoir politique et les éditeurs publiques qui eux ont des missions à remplir. Les éditeurs n’ont pas de mission à remplir, seulement celle de satisfaire le téléspectateur.

Dans le documentaire « Fin de concessions » de Pierre Carles sorti en octobre 2010, Arnaud Montebourg déclarait : « c’est le moment de taper sur TF1, c’est pour ça que je vais vous donner un coup de main ». Comment expliquer cette obsession d’Arnaud Montebourg à l’égard de la première chaine française ?

C’est très facile de céder à la tentation du bouc émissaire. Mais TF1 n’est tout de même pas responsable de tout. De toute façon, je crois qu’il faut relativiser. TF1 n’est plus ce qu’elle était, la chaine est passée de 40% de parts de marché il y a encore 10 ans, à 25% aujourd’hui. L’abondance de chaines et Internet font que TF1, s’il veut rester un groupe, ne peut pas ne pas avoir à ses côtés des chaines qui redistribuent ses programmes, ou qui servent de banc d’essai.

Cette sortie est évidemment démagogique. Taper sur TF1, cela plait à une certaine clientèle. Il est de bon ton de dire que l’on regarde Arte dans les enquêtes d’opinion, alors que l’on passe son temps plutôt devant TF1. Nous sommes tous des snobs, les sondeurs savent très bien qu’il faut opérer des redressements. Nous surestimons la place que nous accordons à la culture et sous-estimons celle que nous accordons au divertissement. 

Comment évolue les relations de pouvoir entre hommes politiques et médias ?

Cette relation ne s’est ni normalisée, ni banalisée. Nous avons toujours en France vis-à-vis des médias quels qu’ils soient, une attitude très archaïque, très liberticide. Nous ne leur faisons pas confiance, nous en faisons des boucs émissaires. On en est toujours à l’époque où Balzac disait : « Si la presse n’existait pas, il ne faudrait surtout pas l’inventer… ».

Rien n’est plus facile que de cogner les journalistes qui exercent en France un métier dont la mission est beaucoup plus délicate que dans les pays qui ont normalisé leur relation avec les médias. Ces autres pays ont compris que tous les médias ne sont pas des courroies de transmission, qu’ils ne sont pas tous à la solde de quelqu'un.

Il existe toujours un réflexe lorsqu’un nouveau média apparait. On ne se demande pas ce qu’il va apporter de nouveau ou à quoi correspond sa ligne éditoriale, mais plutôt de qui il serait l’agent ou la courroie de transmission. Cela montre à quel point les journalistes sont à la fois courtisés en public et diabolisés en privé.

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